1 – Au Canard qui Fume

Le bruit d’un homme qui tambourinait à la porte réveilla Liam en sursaut. Il dormait dans une petite chambre mal isolée, à l’étage de l’auberge. Quelqu’un avait visiblement très envie d’entrer au Canard qui Fume, alors même que l’établissement était encore fermé.

– J’arrive, cria une voix depuis les cuisines. Ça va, j’arrive !

Liam entendit la porte du rez-de-chaussée s’ouvrir, et plusieurs personnes entrer dans l’auberge. Il se frotta les yeux, rejeta sa couverture sur le côté et se leva. Pris d’une grande curiosité, il ouvrit discrètement la porte de sa chambre et se cacha, accroupi dans l’escalier, pour écouter ce qu’il se passait.

Dans la salle de restauration de l’auberge, ‘Pou faisait face à trois hommes très bien habillés. Il portait son tablier de cuisine et avait l’air très surpris.

– Messieurs, les salua-t-il. Nous ne sommes pas encore ouverts, mais vous pourrez vous restaurer si vous revenez d’ici une heure.

– Ce n’est pas l’objet de notre visite, dit un homme qui portait une longue cape bleue. Le jeune Liam habite bien ici ?

‘Pou fronça les sourcils, l’air contrarié.

– Veuillez m’excuser, dit-il, mais mon repas risque de brûler. Je vais vous chercher mon mari.

Il s’éclipsa rapidement en faisant signe aux visiteurs de prendre leurs aises durant sa brève absence. Ceux-ci s’installèrent à une table, et commencèrent à commenter la décoration des lieux. Depuis les cuisines, on entendait quelque chose crépiter, et une bonne odeur d’œufs brouillés se répandait dans toute l’auberge.

– C’est tout à fait charmant ici, dit l’homme en bleu. Nous devrions venir y dîner, un de ces jours.

Les deux autres hommes acquiescèrent. L’un d’entre eux se lécha les babines, et dit d’un air gourmand :

– Avec un nom pareil, ils doivent faire du très bon canard.

Toujours caché dans l’escalier, Liam se demandait ce que ces hommes pouvaient bien lui vouloir. Il avait beau chercher dans sa mémoire, il ne se rappelait aucune bêtise qui mériterait une visite aussi matinale. Les trois hommes étaient assez intimidants. Celui qui portait une cape bleue semblait être le plus gradé, mais il parlait aux autres avec une certaine familiarité. Ils ne ressemblaient pas à des soldats, et n’étaient pas armés. Leur tenue en faisait tout de même des hommes d’importance, peut-être des fonctionnaires du Royaume.

‘Pa apparu dans l’encadrement d’une petite porte dérobée. Il était probablement en train de préparer les chambres de leurs prochains clients. Il s’approcha de la table à laquelle les visiteurs étaient assis.

– Vous vouliez me voir, dit-il.

L’homme en bleu se leva et s’inclina légèrement.

– Je suis Aymar Lannoy, professeur de l’Académie, chargé de l’Observatoire des Manifestations Potentielles.

Comme pour prouver ses dires, il montra du doigt une broche qu’il portait à sa cape. Le bijou argenté représentait un astre entouré d’un anneau, mais Liam n’arrivait pas à déterminer s’il s’agissait de Stérope ou de Pomone. Comme tous les enfants, il avait appris le nom et l’apparence des sept planètes, mais les reconnaître restait difficile.

‘Pa s’inclina à son tour. Il était certes aubergiste, mais il connaissait les codes et les bienséances.

– Enchanté, Monsieur Lannoy. Je suis Sylvain Aubusson, patron de cette auberge avec mon mari, Thibault, que vous avez vu tout à l’heure. Si j’ai bien compris, vous cherchez notre fils ?

– Si Liam Aubusson est bien votre fils, alors oui, nous le cherchons. L’Observatoire des Manifestations Potentielles a déterminé qu’il devait commencer son apprentissage dès la rentrée prochaine.

‘Pa se gratta la tête d’un air surpris.

– Son apprentissage ? Vous voulez dire… à l’Académie ?

Aymar acquiesça et sortit un parchemin de sa cape.

– Exactement. Comme vous le savez certainement, tous les enfants qui entrent en résonance avec au moins l’une des sept pierres sacrées doivent aller suivre une formation de six ans à l’Académie, afin de maîtriser leur pouvoir et de servir le Royaume. Liam est dans ce cas. Sa situation est tout à fait banale : douze ans est l’âge habituel pour développer son potentiel.

‘Pa sembla sonné par cette nouvelle. Il tira une chaise, et s’assit lourdement.

– Je ne comprends pas, dit-il. Enfin, je veux dire… C’est assez inattendu. Ni Thibault ni moi n’avons de potentiel, et nous n’avons jamais envisagé cette possibilité.

Aymar tendit à ‘Pa son parchemin.

– J’ai amené avec moi la déclaration officielle du potentiel de Liam, si vous voulez vérifier. De plus, si je puis me permettre, je suppose qu’il est un enfant au moins partiellement adopté. Il n’y a donc rien de surprenant. Et même si ce n’était pas le cas, sachez que le potentiel n’est pas strictement héréditaire. La résonance peut arriver à n’importe qui.

‘Pa observa le parchemin et hocha la tête. Il semblait calculer rapidement en pensée quels seraient tous les changements à faire dans leur quotidien après cette annonce.

– Qu’est-ce que ça veut dire, concrètement ? demanda-t-il.

Aymar se rapprocha de ‘Pa et lui désigna de petites écritures au bas du parchemin.

– Tout est expliqué ici, dit-il. Vous avez simplement quelques documents à nous envoyer pour que nous puissions compléter le dossier de votre fils. Ensuite, au premier jour de l’automne, vous devrez l’envoyer à l’Académie pour qu’il fasse sa rentrée. Si vous en faites la demande, nous pouvons fournir un moyen de transport. Tout ce dont il aura besoin lui sera fourni et financé par l’Académie. Comme il dormira à l’internat, vous pouvez tout de même mettre dans sa valise tout ce que vous jugez nécessaire à cela.

‘Pa se massa les tempes, tentant d’assimiler toutes ces informations.

– Est-ce que nous pourrons le voir, de temps en temps ? demanda-t-il.

Aymar lui lança un regard compatissant. Ce n’était probablement pas la première fois qu’il arrachait ainsi un enfant à sa famille.

– Les visites à l’Académie sont acceptées, mais au vu de l’organisation que cela demande, je vous conseille plutôt d’attendre qu’il rentre vous voir pour les vacances.

‘Pa hocha la tête silencieusement. Aymar attendit quelques secondes, puis, voyant qu’il n’avait pas d’autre question, sortit de sa cape un deuxième parchemin, une plume et un encrier.

– Je vais simplement vous demander de signer ce document, pour attester que vous avez bien reçu notre visite et pris connaissance de l’affectation de votre fils à l’Académie.

‘Pa lut le parchemin attentivement, hocha la tête à nouveau, puis signa. Aymar récupéra tout ce qu’il lui fallait, et les deux autres hommes se levèrent pour partir avec lui. Ils avaient presque passé la porte, lorsque Aymar se retourna en souriant.

– J’oubliais, dit-il. Votre fils n’a pas à s’inquiéter. Il n’a rien à faire avant la rentrée. Le règlement intérieur de l’Académie lui sera également expliqué dès son arrivée.

– D’accord, marmonna ‘Pa. Merci de votre visite, messieurs. Passez une bonne journée.

Aymar s’inclina et sortit, accompagné des deux hommes qui n’avaient presque pas parlé. ‘Pa soupira, puis se leva.

– Liam, dit-il. Je sais que tu es là. Tu peux descendre, maintenant.

Penaud, Liam se leva et rejoignit son père. Il aurait pu se douter que ‘Pa et ‘Pou, qui connaissaient si bien chacun des bruits que pouvait émettre l’auberge, l’auraient entendu sortir de sa chambre.

– ‘Pa, dit Liam, je veux pas y aller. ‘Pou a promis de m’apprendre à faire le canard à l’orange de l’auberge cette année ! Je veux rester avec vous et devenir cuisinier, comme ‘Pou !

‘Pa lui caressa les cheveux en le regardant avec des yeux tendres. Le petit garçon affichait un air boudeur, mais son père savait qu’au fond, c’était probablement de la tristesse qui l’envahissait. Il avait toujours voulu être cuisinier, et il commençait même à être très doué dans ce domaine.

– Tu sais, Liam, il y a beaucoup de petits garçons et de petites filles dans le Royaume qui aimeraient bien être à ta place. À l’Académie, tu peux apprendre plein de métiers extraordinaires qui te permettront aussi de gagner beaucoup d’argent, et, si tu le souhaites, d’ouvrir ta propre auberge.

Liam croisa les bras, l’air énervé.

– Mais je suis quasiment sûr qu’on peut pas apprendre la cuisine, là bas !

– C’est vrai, dit ‘Pa. Mais tu pourras apprendre à manipuler les sept pierres, à prédire les mouvements des astres et leur influence sur nous, ou encore à créer les bijoux qui servent à canaliser toute cette magie. Tu pourras même être alchimiste. Tu sais, l’alchimie, au fond, ça ressemble un peu à de la cuisine.

– Mais je veux rester avec vous ! Je veux pas aller vivre avec plein d’autres enfants que je connais pas ! J’ai des amis, moi, ici !

‘Pa se rassit et fit signe à Liam de venir s’asseoir sur ses genoux. Il lui montra le parchemin qu’Aymar lui avait laissé. En haut à gauche figurait le blason de l’Académie, représentant une version simplifiée de la galaxie des Sept, entremêlée de joyaux.

– Tu peux voir sur ce parchemin, Liam, que l’Observatoire a déterminé que tu avais un potentiel. Dans notre Royaume, il est interdit de gâcher ce potentiel. Je ne veux pas te forcer, et tu sais que j’aimerais énormément que tu restes avec nous apprendre à t’occuper de l’auberge. ‘Pou adore te montrer tout ce qu’il sait faire. Mais nous n’avons pas le choix. Si nous ne t’emmenons pas à l’Académie, nous risquons d’avoir de gros ennuis.

Liam baissa les yeux. Il n’avait pas envie de causer des problèmes à ses parents. Mais il n’aimait pas être forcé de suivre une formation qu’il n’avait pas choisie. On dit toujours aux enfants qu’ils doivent réfléchir à ce qu’ils veulent faire plus tard. Liam, lui, le savait depuis longtemps, et on lui retirait maintenant ce rêve juste parce qu’il avait un soi-disant « potentiel ». Certes, les métiers auxquels formait l’Académie avaient l’air très intéressants, mais ce n’était pas ce qu’il voulait, lui. Il avait du mal à comprendre en quoi un beau bijou et un télescope pouvaient apporter plus de satisfaction que ce qu’il ressentait quand il avait préparé un bon repas.

Puis il pensa à Pauline, sa meilleure amie. Elle avait toujours voulu être mage. Mais, à presque quatorze ans, elle commençait à deviner qu’elle ne développerait jamais de potentiel. Au fond, Liam trouvait ça triste et injuste. Il aurait bien donné tout son pouvoir à Pauline, pour qu’elle puisse aller à l’Académie à sa place. Mais il savait bien que les choses ne fonctionnaient pas ainsi. Elle allait être déçue, et peut-être un peu jalouse. Mais elle serait encore plus peinée de savoir que Liam avait tenté de repousser cette obligation.

– C’est d’accord, dit Liam. Enfin, comme tu dis, je n’ai pas le choix. Mais je te promets que je vais faire de mon mieux là-bas.

‘Pa tenta de sourire, mais le chagrin qu’il ressentait était visible. Il ne s’attendait pas à devoir laisser partir son petit garçon si tôt. Ses plans de vie étaient bouleversés, même si cela présageait un avenir radieux pour Liam. Il déposa son fils au sol, puis se leva.

– Bon, dit-il, ce n’est pas tout, mais nous devons nous dépêcher de préparer l’auberge avant que les clients arrivent !

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Xanne
Posté le 01/02/2021
Salut!

On rencontre donc Liam et sa famille à l'auberge. Liam ignore tout de son potentiel, ce qui va probablement être exploité pour nous faire découvrir le fonctionnement de l'académie à travers ses yeux. Ce que j'apprécie particulièrement avec ce chapitre, c'est que contrairement à d'autres protagonistes à qui l'on décèle une particularité et à qui l'on promet un avenir radieux, Liam montre clairement qu'il n'en veut pas, non pas parce qu'il est hautain ou parce qu'il manque de confiance en lui, mais parce qu'il sait déjà depuis longtemps ce qu'il veut faire de sa vie. En plus de nous introduire à un monde où les lois choisisse le destins de certains enfants, ce chapitre nous montre clairement que Liam est heureux et qu'il n'a aucune envie de changer son quotidien. J'espère qu'il pourra renouer avec la cuisine d'une manière ou d'une autre.
On sent bien l'amour dans cette famille, mais on comprend rapidement que cet amour ne peut pas grand chose contre le fonctionnement du royaume.
En tout cas ce premier chapitre me plaît bien.
À bientôt!
Aline Prov
Posté le 08/02/2021
Hello !

Merci beaucoup pour ton passage et pour ton commentaire ! :)

J'ai en effet pas mal envie de me détacher de certains clichés de héros, et j'aime bien essayer de donner de la substance à Liam comme ça. Je suis contente de voir que ça ne marche pas trop mal ^^

J'espère que la suite te plaira !
Hastur
Posté le 15/01/2021
Hello, me revoilà !
J'ai beaucoup apprécié ce premier chapitre. Il y a de l'amour et de la tendresse familiale, c'est réconfortant pour nos cœurs de lecteur. Et Liam, dans sa candeur, dans la manière qu'il a de parler, me semble particulièrement réaliste pour un enfant de douze.

Par contre les Académiciens, je les ai détesté en fait. D'où tu arraches un enfant à sa famille ? Ah ah. Cela paraît normal dans ce royaume, mais d'un point de vue objectif, c'est ultra violent e tout ça ^^. Cela me rend très curieux des autres formes de violences déguisées qui peut recéler cette Académie !

Deux petites notes:
"Dans la salle de restauration de l’auberge,"
Je supprimerais le de l'auberge. On sait que l'on y est déjà.

"Tu sais, l’alchimie, au fond, ça ressemble un peu à de la cuisine."
Il ne faut pas goûter j'imagine par contre hu hu hu ^^

A très vite pour la suite ! Bon courage pour l'écriture !
Aline Prov
Posté le 15/01/2021
Hello !

Je suis contente de te revoir ici et de lire que ce chapitre t'a plu ^^

Il est possible que la vie dans ce Royaume soit faite de plusieurs violences à découvrir, et qui pourraient se retrouver dans l'Académie ;)

Merci pour tes remarques (non, je ne pense pas qu'il faille goûter les préparations alchimiques non plus x) ), pour ton passage et pour ton commentaire !
Svenor
Posté le 02/01/2021
Pareil que pour le prologue, ta plume est très agréable à lire, et j'aime beaucoup les personnages pour l'instant. Les académiciens ont l'air sympathiques, et j'ai hâte de voir arriver Liam à l'académie. Il y a juste une question que je me posais, je ne sais pas combien d'enfants sont envoyés à l'académie, mais si trois académiciens doivent aller prévenir chaque enfant du pays, le travail doit être énorme, est-ce que Liam est une exception, ou est-ce que les classes à l'académie sont très petites ?

Il y a une phrase qui m'a un peu gêné aussi : "des bruits que pouvait émettre l’auberge". Je trouve que le verbe émettre ne convient pas trop au contexte.
Aline Prov
Posté le 02/01/2021
Salut à nouveau !

Je suis contente que ce chapitre te plaise également ! Pour ce qui est de ta question, j'y ai déjà pensé et il y aura quelques petites explications à ce sujet.

Et c'est vrai que cette phrase est assez bizarre, à la relecture. Je vais tenter de trouver un autre verbe !

Merci beaucoup pour ton commentaire, j'espère que la suite te plaira !
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