PROLOGUE — PACTE SCELLE

Par Akiria
Notes de l’auteur : Coucou !
Je reviens doucement avec la même histoire. Je l'avais déjà postée, mais je l'ai archivée. Je la retravaille depuis un petit bout de temps. Un temps que j'essaie de trouver depuis l'arrivée de mon bébé qui a maintenant 13 mois.
Donc la voici de nouveau avec quand même beaucoup de changements.
Dites-moi si vous trouvez les dialogues naturels, si ce prologue est trop dense, trop narratif, s'il y a un travail à faire sur les transitions ou tout autre aspect.
Ne vous gênez pas.

Bonne lecture !

Le vent soufflait doucement sur la terrasse du manoir, agitant les rideaux en lin clair et portant avec lui une délicate fragrance de roses. Mais cette ambiance feutrée ne suffisait pas à apaiser la colère de Marie.

— Ah  ! Ce scélérat a tué une dizaine de jeunes femmes et il court toujours  ! s’exclama-t-elle en déchirant et froissant l’une des pages de son carnet avec vigueur.

Son père, assis face à elle, demeura pensif, les yeux rivés sur son verre.

— Oui… souffla-t-il simplement.

— Le calvaire qu’elles ont dû endurer ! 

Marie serra les poings, une grimace crispant son visage. 

— Les gens racontent que celles retrouvées ont toutes été… étranglées et souillées… Et regarde ! Pendant ce temps, La Gazette, elle, nous abreuve encore et toujours des nouvelles des batailles en cours, des taxes, de la famine et de la peste… Mais pour elles, ces pauvres âmes, à peine quelques lignes sur leurs disparitions qui terrifient pourtant nos villages depuis six mois !

Marie referma d’un geste sec son carnet où elle rassemblait dessins, écrits et quelques articles de journaux puis se redressa aussitôt avec toute la dignité de son rang. Autour d’eux, les domestiques s’affairaient avec discrétion, n’osant troubler Philippe et sa fille, absorbés par leur discussion sur les drames qui secouaient la région. La tête droite, Marie balaya le patio du regard, trouvant l’atmosphère trop pesante.

— Père… j’ai peur, reprit-elle plus calmement. Aujourd’hui ou demain, une autre disparaîtra.

Philippe hocha la tête lentement.

— Moi aussi, j’ai peur, mais… surtout pour ta vie.

Marie se leva après avoir abandonné son carnet sur la table, elle s’approcha de son père assis et posa timidement ses mains sur ses épaules pour le rassurer.

— Je ne risque rien, je n’ai pas l’autorisation de quitter le domaine.

— Marie. Je conçois que cela te soit difficile. Tu as vécu des années avec légèreté et insouciance, et tu te retrouves maintenant enfermée. Cependant, je ne te prive point de visites et tu as assez d’espace dans ces lieux. Alors, cesse de constamment me rappeler que tu es cloîtrée entre ces murs !

Marie esquissa un sourire amusé.

— Je ne cherchais qu’à te rassurer, père.

Philippe se leva à son tour et planta son regard dans celui de sa fille, s’efforçant de sourire.

— Écoute, je dois me rendre à la messe. Je t’en prie, ne reste pas seule, même si tu te crois en sécurité ici, ajouta-t-il tendrement.

— Oui père, je t’en fais la promesse.

— Marie.

— Oui.

— Je préfère te prévenir, mais… nous allons devoir partir.

— Je comprends, dit-elle en baissant la tête. Quand partirons-nous ?

— Je n’ai pas encore pris de décision, néanmoins… prépare-toi. Je dois te laisser à présent ; je veillerai à ce que tes grands-parents viennent te rendre visite avant notre départ.

— Puis-je t’accompagner cette fois ? J’en profiterai pour leur dire au revoir, père ? supplia-t-elle.

— Il n’en est pas question, répondit-il fermement, les sourcils froncés. Ne recommence pas Marie ! Tu retrouveras tes habitudes quand nous aurons quitté cet endroit. Ce meurtrier rôde toujours.

— Oui, je sais père, bredouilla-t-elle.

— Fais preuve de patience. Sur ce, je te laisse.

Marie l’observa partir, le cœur serré. Il prenait soin d’elle, mais sans la chaleur d’un père. Jamais un regard prolongé, très peu de gestes tendres. Une distance qui la blessait. Elle était la seule à l’approcher et à se montrer tactile.

De retour dans sa ville natale depuis un an, la jeune Marie n’imaginait pas que celle-ci deviendrait le théâtre d’atrocités. Elle se trouva particulièrement affectée lorsqu’elle apprit le décès de sa très bonne amie Camille deux semaines auparavant. Après les pleurs, la tristesse de sa perte, elle était aujourd’hui en colère. Une colère qui l’obligeait à tout cracher sur le papier. Alors, en sortant de table, elle retrouva sa chambre pour écrire sa douleur encore présente.

Mais elle n’était pas la seule à être tourmentée.

Tout son village l’était. Les débats étaient de plus en plus nombreux après la messe du dimanche. Les gens se réunissaient pour traiter de cette histoire et, ce jour-là, du dernier meurtre, celui de Camille. Les alentours étaient animés par plusieurs rumeurs, il se disait que ces horreurs étaient l’œuvre d’un démon qui cherchait à obtenir toutes les jeunes filles de la région prêtes à se marier. D’autres affirmaient que c’était un châtiment divin, tout comme la peste, la famine, car les habitants commettaient trop de péchés. Certains villageois accusaient les victimes elles-mêmes. Puisqu’il n’y avait aucune trace d’effraction, c’est qu’elles avaient choisi de suivre leur bourreau. Après l’acte, il les aurait donc tuées pour les punir, un sort que beaucoup d’entre eux jugeaient mérité.

— Ne craigniez-vous point la colère divine en vous adonnant à de telles bassesses ! s’écria Philippe d’une voix portante, le ton sec.

Les messes-basses et les chuchotements cessèrent aussitôt. Les concernés se dispersèrent et s’en allèrent vaquer à d’autres occupations tandis que Philippe regagna sa monture, la respiration forte.

Les entendre proférer de pareilles inepties l’agaça profondément, mais lui confirma surtout à quel point certains manquaient de compassion. Des familles étaient en deuil, d’autres attendaient encore le retour de leurs enfants et espéraient la capture et la mise à mort de l’assassin. Un criminel qui, malgré l’indignation grandissante des villageois et la détermination du roi et son cardinal à mettre fin à cette affaire en envoyant la maréchaussée, continuait d’agir en toute impunité, faisant une nouvelle victime toutes les deux semaines.

Philippe revint à l’église pour effectuer une dernière prière avant de rentrer. Il salua les fidèles et le prêtre, puis se rendit au manoir.

Sur le chemin, le trot de son cheval résonnait sur le sol tandis qu’il repensait à la raison de leur retour dans ce paisible bourg : offrir à Marie un cadre stable, près des siens pour qu’elle recouvre la santé.

Pendant cinq ans, elle l’avait suivi dans ses voyages, rythmés par les exigences de son métier de négociant-marchand, un travail qu’il exerçait depuis vingt-cinq ans avec passion. Une passion qui l’appelait avec une force presque oppressante. Ce départ était donc l’occasion parfaite pour lui de retrouver l’agitation des ports, les marchés bruyants, et le parfum salé de la mer.

Pourtant, il n’ignorait pas le risque. En l’emmenant de nouveau, il exposait Marie à une rechute, avec pour conséquence la mort également. Depuis son arrivée au village, l’état de sa fille s’était nettement amélioré. Elle avait retrouvé l’appétit et repris des forces. Ses troubles gastriques et ses maux de tête, bien que toujours présents, s’étaient espacés et la faisaient moins souffrir. Malgré cela, elle n’était pas guérie, et aucun remède ne semblait faire effet.

Il avait déjà été contraint de l’abandonner autrefois. À sa naissance, après la mort de Lise, il l’avait confiée à ses beaux-parents pendant les sept premières années de sa vie. Il l’avait ensuite inscrite dans un couvent parisien, une décision que Marie avait perçue comme un abandon, voire une punition. C’est seulement à l’âge de douze ans qu’il la retira de cet endroit qu’elle détestait tant et l’emmena partout avec lui, reproduisant le schéma de son défunt père, en lui faisant découvrir son métier et différents coins du monde.

Quelle autre option lui restait-il ? Il avait encore le temps d’y réfléchir.

***

Dès son retour au manoir, Philippe fut assez étonné de ne pas voir sa fille l’accueillir dans l’allée caillouteuse, craignait-elle à ce point de sortir ? s’interrogea-t-il. L’attendait-elle à l’entrée ? Non plus.

— Marie ? lança-t-il d’un ton neutre.

Aucune réponse. Il haussa un sourcil.

— MARIE ! cria-t-il cette fois, mais toujours rien.

— Où est-elle ? demanda-t-il le regard sévère en croisant les domestiques.

— Elle estoit avec moy y a pas plus d’une demi-heure. Elle doit point être bien loin. Peut-être qu’elle est en la grande salle ou dans sa chambre, à lire comme toujours, répondit la cuisinière, avec son fort accent bourguignon.

Philippe se rendit dans les appartements de Marie, mais elle n’y était pas. Tout était intact. Ses vêtements toujours à leur place. Sa cape allongée sur le lit. Son carnet sur la table, la plume encore humide d’encre, comme si elle s’était volatilisée en plein milieu d’une pensée.

Philippe descendit à la hâte, dans le hall, il bouscula les domestiques, ouvrit les portes du salon à la volée, son souffle court. Encore une fois, personne.

Il sentit un frisson glacial lui parcourir l’échine. Il réalisait lentement que l’impensable s’était produit : une disparition en plein jour, dans une maison pleine de serviteurs attentifs.

Dans un dernier espoir, il décida d’aller dans le jardin, le seul endroit où elle ne pourrait entendre ses appels.

— Elle me fait un tour, c’est bien son genre, marmonna-t-il pour se rassurer.

Hélas, elle n’y était pas non plus.

— Trouvez-là, cria-t-il à en perdre la voix.

Les gens de maison surpris et affolés se mirent à courir dans tous les sens en hurlant le prénom de Marie sans relâche. Plus les minutes défilaient et plus la recherche s’intensifiait, plus Philippe tremblait de colère et d’incompréhension.

Après plus d’une heure sans la moindre trace de Marie, aucun indice sur sa disparition, sa patience s’effondra. Son silence laissa place à une explosion de fureur, aboyant sur tout le monde.

— Retrouvez-la ! Il est impossible qu’elle se soit volatilisée de la sorte ! Cela ne se peut ! C’est impossible ! Impossible, vous dis-je ! Fouillez chaque recoin du domaine !

Les recherches s'étendirent au-delà de ses terres et jusqu'à l’aube, en vain.

***

Le lendemain soir, Philippe, qui n’avait pas dormi de la nuit ni de la journée, accueillit les hommes de la maréchaussée, suivi de Jean, l’ancien voisin de Lise, qui considérait Marie comme sa propre fille. Lorsque ce dernier, bouleversé, lui reprocha avec véhémence de ne pas être parti de ce village plus tôt, Philippe se crispa. Il répondit d’abord d’un ton dédaigneux, cherchant à masquer la frustration qui s’ajoutait à sa colère. Mais très vite, il écourta la conversation, redoutant de perdre patience.

 

***

 

Les jours passèrent, et malgré les recherches et les investigations, Marie demeura introuvable. Tous les serviteurs et les gardes furent interrogés dans l’espoir de comprendre comment elle avait pu échapper à la vigilance de chacun. La nouvelle choqua de nouveau les habitants. Cette situation renforça leur crainte, c’était forcément l’œuvre d’un démon. Comment un homme pouvait être aussi discret ? Comment lui était-il possible de transporter un corps sans éveiller de soupçons, sans laisser de traces de son passage, et ce, en plein jour et surtout si rapidement ? Sans explication, les meurtres et les disparitions cessèrent aussitôt.

Philippe, accablé, s’enferma dans son manoir. Il se montrait distant et désagréable avec son personnel, une attitude qu’ils ne lui connaissaient pas. Chaque jour, ses serviteurs le découvraient sombrer davantage. Il trainait avec sa robe en lin tachée, empestant le vin et la sueur. Ses cheveux poisseux, ses cernes marqués et sa barbe hirsute accentuaient l’air hagard qui s’était emparé de lui. Parfois, il errait nu dans son bureau, parlant seul et proférant des paroles dénuées de sens.

Cette nuit-là, comme toutes les autres depuis la disparition de Marie, le silence oppressant du manoir fut brisé par les pas hésitants et les murmures de Philippe. Mais cette fois, il semblait plus fébrile encore.

— C’est impossible, marmonnait-il en vacillant dans les couloirs sombres de l’étage.

Très vite, les domestiques, réveillés par ses plaintes tantôt criantes, tantôt basses, se pressèrent pour s’assurer qu’il ne se mettait pas en danger. L’un d’eux s’approcha de lui, voulant le raccompagner dans sa chambre, mais Philippe le repoussa et s’écria :

— Ne me touchez pas ! Vous avez manigancé tout ça, hein ? Non… je sais quoi faire. Oui, je sais ! Je vais envoyer des Nômes à sa recherche. Ils sauront eux ! Oui, ils sauront, termina-t-il tout bas en essuyant la salive qu’il avait crachée dans sa colère.

Les serviteurs échangèrent des regards inquiets. Ils n’étaient toujours pas habitués à ses discours incohérents et ses excès de rage. Ils espéraient qu’il finirait par retrouver ses esprits. Et ce vœu se réalisa. Après plusieurs semaines d’abattement et de démence, Philippe parvint à se reprendre en main. Parfois, il retombait dans ses moments de folie et d’ivresse, rêvant de Marie, revenant à la maison avec un sourire radieux.

Puis, une nuit de pleine lune, en début d’automne, après l’un de ces rêves, il se rendit dans les bois, en se munissant d’une torche et d’un petit sac. Il s’y enfonça, la lune, immense, perçait à travers les feuillages et les branchages. Philippe regarda le ciel et hurla des mots avec colère. Les chiens à proximité se mirent à aboyer, un vent froid s’engouffra entre les arbres. Il s’installa dans un coin, récita une incantation, puis il prit sa gourde et but une liqueur d’un rouge sombre semblable à du vin. Une légère goutte épaisse coula sur son menton qu’il essuya d’un geste.

— Viens là ! cria Philippe.

Les flammes de sa torche tremblèrent puis finirent par s’éteindre lorsqu’une ombre apparut subitement. Elle s’approcha ensuite lentement de lui, sans toucher le sol, et dit d’une voix pénible, aiguë et pénétrante :

— Dois-je entendre que tu consens à ma proposition ?

— J’ai été trahi !

— C’est évident, répondit cette longue et imposante silhouette aux cheveux argentés avec amusement. Tu dois te venger.

— Oui ! Je réclame vengeance, et rien ne saurait m’en dissuader !

Un rictus déforma les traits du spectre.

— Qu’il en soit ainsi.

— Cette malédiction durera tant que tu vivras ! Et quel meilleur réceptacle pour toi qu’un Nôme ! 

— Et d’une belle espèce en plus.

— Je veux leur souffrance, je n’ai et n’aurai aucun regret pour cette famille ! lança Philippe, les dents serrées avant d’éclater en sanglots.

— Non… tu ne le regretteras point ! répliqua l’inconnu ravi.

***

Philippe, plus de trois mois après la disparition de Marie, partit vivre à Florence. Peu après son arrivée, il se remaria et, quelques années plus tard, décéda sans laisser d’héritier.

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Djidji Trakos
Posté le 19/02/2025
l'ecriture est fluide et l'intrigue très interessante. Le déroulement de l'histoire est logique avec des paragaraphes claires et précis. Cependant la fin de l histoire ma vraiment attristée. J'ai besoin de lire davantage pour pouvoit en décider si linformation de sa mort et au bon endroit.
Akiria
Posté le 19/02/2025
La mort de qui de Philippe ? On en apprendra plus sur la disparition de Marie et sur la mort de Philippe mais pas maintenant. Dans la seconde partie du livre. C'est un prologue, le reste de l'histoire va se concentrer sur Thomas et Sakina.
Marovska
Posté le 19/02/2025
Simple coquille que je me permets de te montrer: "Philippe se rendit dans les appartements de Marie, mais il n’y était pas." Au lieu de "ELLE n'y étais pas".
Ton écriture est très soignée et fluide, je n'ai rien à redire :)
Le prologue semble faire son travail. Je me demande si le dernier paragraphe est nécessaire, pour moi ça aurait pu s'arrêter au dialogue (mais peut-être est-ce nécessaire pour la suite ?)
En tout cas félicitation c'est très bien et efficacement amené, dans une lecture facile, agréable et néanmoins riche.
Akiria
Posté le 19/02/2025
Ah merci, je corrige ça de suite. Tu poses une bonne question, dans l'ancienne version, je trouvais ça utile mais peut être plus maintenant. Je vais y réfléchir. En tout cas merci pour ton commentaire.
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