Prologue - Partie 1 : Clair obscur

Tout s'était passé rapidement. La lumière était trop forte pour que Lya ouvre entièrement ses yeux gris.

J'ai mal à la tête...

Elle porta sa main à son visage pour se protéger des lueurs du jour, puis à sa gorge, qui la faisait souffrir également.

-Je crois qu'elle se réveille.

-Merci sainte magie, elle n'est pas morte.

-Et les autres ?

-Ils sont toujours dans le même état malheureusement.

Lya émergea enfin, ses pensées s'éclaircissant peu à peu et se redressa difficilement. Ses muscles endoloris protestaient à chaque mouvement. Autour d'elle, de hauts murs de pierre recouverts de tapisseries anciennes l'isolaient de la chaleur de ce milieu d'année encore chaud. Le lieu respirait une fraîcheur bienvenue, malgré l'atmosphère oppressante.

Elle observa les environs : une rangée de lits en fer forgé, tous semblables à celui où elle se trouvait. Leurs draps impeccablement pliés et leurs oreillers soigneusement disposés témoignaient d'une organisation rigoureuse. Des petits paravents, élégamment brodés, séparaient les espaces pour donner un semblant d'intimité pourtant inexistant.

-Une infirmerie ?

Elle entendit des petits pas s'approcher. Deux femmes en robe longue et en tablier bleu se présentèrent.

-Oh mon enfant, comment vous sentez vous ?

-Je...

Bonne question, comment se sentait-elle ? Elle se sentait elle-même, c'était déjà ça !

-Tu as mal quelque part ?, s'empressa la brunette, sans même attendre la réponse à sa précédente question.

-J'ai mal à la tête... et au bras... et au dos,...

La question devait être : où elle n'avait pas mal ? La jeune fille avait l'impression d'avoir dévalé une montagne la tête la première. C'était peut-être le cas, elle n'avait plus aucun souvenir.

-... souvenirs ?

Un écho, pensa-t-elle avant de revenir à la réalité.

-Mademoiselle, répéta une des dames. Vous vous rappelez des évènements ? Vous avez des souvenirs ?

-Non, je-je ne crois pas.

-Sainte magie, s'exclama toujours la même femme encore tout affolée.

-Est-ce que vous pouvez nous dire ce que vous vous rappelez ?, demanda plus calmement l'autre dame.

-Je sais qui je suis...

-C'est bien déjà !, la coupa la brune.

-Je m'appelle Lya, j'ai 18 ans et aujourd'hui... Aujourd'hui c'est ma rentrée à l'École supérieure de sorcellerie !, paniqua la jeune fille.

Elle essaya de se lever, arrachant par la même occasion perfusion et autres pansements. Elle ne pouvait pas être en retard à son premier jour à l'école. Depuis qu'elle était petite, depuis qu'elle connaissait l'existence de la magie, elle ne vivait que pour ce jour. Surtout que l'école où elle avait été reçue n'était pas n'importe quelle école de magie. C'était le lieu où tous les plus grands mages de ce monde avait été formé. C'était aussi le centre névralgique du pays, à un tel point que le Pouvoir Central et l'administration se trouvaient également dans ces bâtiments.

-Mademoiselle !

On stoppa sa tentative d'évasion.

-Je vous en prie, restez alitée. Vous n'avez pas loupé votre rentrée, vous êtes actuellement à l'école.

-Il y a eu un terrible accident lors de la cérémonie d'accueil et d'accointance.

-"D'accointance" ?

La porte de l'infirmerie s'ouvrit dans un grincement assourdissant et rentra un homme plutôt âgé, en robe longue vert émeraude, suivi d'un homme et une femme tout aussi sérieux. Le convoi se dirigea directement vers les deux soignantes.

-Ils vont bien ?, demanda-t-il calmement.

-La jeune fille vient de se réveiller, mais elle est un peu confuse. Les deux autres garçons sont encore endormis, mais leurs vies ne sont pas en danger.

-Merci à vous.

L'homme se tourna ensuite vers la malade.

-Je suis heureux de vous voir réveillé jeune fille.

Sa voix était grave et solennel.

 -Je suis Monsieur Talford, le directeur de cette école, est-ce que vous vous souvenez de moi ?

En évoquant ce nom, Lya commença à se rappeler des brides de son après midi perdu. En effet, elle avait bien été à son premier jour d'école. Mais tout était encore flou.

-Oui, je me souviens maintenant, mais-mais...

-Ne vous inquiétez pas, le temps est au repos et pas au questionnement. Je voulais juste m'assurer que vous alliez bien. Nous verrons une fois votre convalescence terminée.

-Mais je vais mieux, je peux commencer les cours !

-Patience est mère de réussite. Votre place dans l'école ne s'envolera pas, mon enfant.

Le directeur esquissa un sourire rassurant qui n'apaisa pourtant pas la jeune fille. Aussitôt l'homme envolé, Lya prévoyait de se lever et de partir en quête de réponse.

-Cependant, j'ai l'intuition que vous n'êtes pas du genre à attendre patiemment votre rétablissement. Je me trompe ?

Lya déglutit bruyamment. Son plan d'évasion avait capoté avant même d'exister. Cet homme n'était pas à prendre à la légère.

-Je vais vous aider à vous reposer, reprit-il toujours avec un sourire discret. À demain mademoiselle. Sonnelia.

Il plaça sa main sur le front de la jeune femme et celle-ci tomba instantanément dans les méandres du sommeil. 

****

~ Tu es la clef, tu es la porte, l'entrée ou la sortie. Combat le mal en devenant l'origine des maux de l'humanité ou périt en acceptant les monstres de ce monde ~

Lya se réveilla en sursaut, toujours dans ce même lit de fer. Le jour avait été remplacé par la pénombre et seul le chancèlement de quelques bougies faisait trembler les ombres. Cette fois, la jeune femme se souvenait de son endormissement. Il avait été si soudain. Monsieur Talford était sans nul doute un grand mage. 

-Tu viens de te réveiller ?

Un chuchotement non loin d'elle l'interpela. 

Les infirmières ? 

La jeune fille se leva sans bruit. Ses cheveux platines chutèrent sur ses épaules encore douloureuses. Elle se dirigea sans réfléchir vers les bruits de souris. Elle était attirée comme un aimant.

Au détour d'un paravent, elle tomba sur deux garçons qui semblaient avoir son âge. L'un était encore dans son lit, le bras en écharpe. La lumière était trop faible pour l'affirmer, mais il paraissait être brun foncé. L'autre était debout, accoudé près du premier, le front enroulé dans de la gaze laissant juste apparaitre une touffe de cheveux blonds cendrés, bien différente de son acolyte. 

Ils s'arrêtèrent, incrédules, en voyant la jeune femme les observer. Leurs yeux ronds montraient qu'ils ne pensaient pas être surpris à cette heure-là de la nuit. Les trois patients se toisèrent pendant un bon moment avant de briser le silence.

-Tu es la fille qui était avec nous ?, demanda le garçon alité.

-Avec vous ?

-À la cérémonie de rentrée.

-Peut-être... je ne sais plus.

-Moi aussi, j'ai du mal à me souvenir de tout, la rassura le blondinet.

-Approche, on ne va pas te manger.

Lya ne fit qu'un pas, mais on lui indiqua un petit coin de lit où s'asseoir. Elle hésita.

-Moi, c'est Matthew et lui c'est Archi, dit le garçon alité en montrant son comparse toujours debout.

-Lya, souffla la jeune femme.

-C'est une sacrée raclée qu'on s'est prise ! 

-Qui nous a fait ça ?, demanda Lya en se rapprochant un peu plus.

-Pas "qui", mais "quoi" tu veux dire... 

-Comment ?

-Ne t'inquiète pas, Archi non plus n'a pas retrouvé tous ses souvenirs.

-Mais dit !, s'impatienta la jeune femme.

-Seulement si tu viens t'assoir.

Matthew était, de toute évidence, un jeune homme plein de malice et assez extraverti. Sa belle gueule aidant, il ne semblait pas avoir de mal à communiquer avec les autres, à l'inverse d'Archi, bien plus réservé. Les trois jeunes gens commencèrent une discussion qui paraissait complétement naturelle. De l'extérieur, on aurait pu croire qu'ils se connaissaient depuis toujours. Pas de frein, pas d'apriori, juste une aisance que l'on ne ressentait qu'avec de la famille ou des amis proches.

-C'était hier en début d'après midi....