– Maggy ? »
– Ouais, Duke ? »
La guerrière se tourna vers le rôdeur, qui avait l'air nerveux. Il avait baissé son arc et se triturait les mains, l'air visiblement gêné. C'était toujours la même chose avec Duke, il était incapable de donner le fond de sa pensée immédiatement. Il craignait trop que Maggy lui colle son poing en pleine face. Est-ce qu'elle était vraiment du genre à faire ça, sérieusement ? Bon, oui, c'était complètement son genre, mais après tout ce temps qu'ils avaient passé ensemble, combien de fois l'avait-elle passé à tabac ? Trois, quatre fois grand maximum ?
– Je me disais Maggy... »
– Tu te disais Duke ? »
– Ben, tu vois, je sais que ça fait des mois et des mois qu'on cherche ce donjon, et il y a des tonnes de trésors à ramasser qui nous attendent, j'en suis sûr, sans compter qu'on va devenir célèbre et tout, mais… »
– Mais… ? »
– Et ben, je me demandais, si, par le plus grand des hasards, et considérant la situation actuelle… »
Duke sembla hésiter un instant en croisant le regard acéré de la guerrière, qui songeait sérieusement à ce que le nombre de craquage nerveux passe à quatre ou cinq. Elle le vit inspirer un grand coup, avant qu'il termine :
– Est-ce qu’on ne serait pas en train de faire une grosse connerie ? »
Eh bien, nous y voilà. Le rôdeur n'était pas réputé pour son courage, loin de là, mais il était talentueux dans le maniement d'un arc, et très bon pour se cacher et se faire discret dans les rares cas où le groupe préférait faire du repérage au lieu d'employer leur habituelle méthode directe. Mais là, il était clairement en train de paniquer. Pas qu'il n'y avait pas une bonne raison. La salle dans laquelle ils étaient arrivés après plusieurs heures de marche était réellement impressionnante, voire carrément flippante. L'énorme statue de dragon qui les dominait à l'heure actuelle avait presque l'air vivante. Le tombeau sombre de Razelgor était un lieu qui inspirait la crainte. Créé à plusieurs mètres de profondeur, rempli de pièges et de créatures mort-vivantes plus atroces les unes que les autres, c'était un endroit qui pouvait flanquer la frousse même aux aventuriers les plus expérimentés. Et le fait qu'ils n'aient eu qu'un seul mort jusque-là était une véritable surprise. Bon, évidemment, elle regretterait Tobias, leur voleur, mais si les excellents prêtres étaient capables de ranimer quelqu'un qui avait perdu la vie récemment, non seulement leur prêtresse, Isilda, n'était pas capable d'un tel prodige, mais il était de surcroît extrêmement difficile de ranimer un tas de cendres. Mais Maggy ramena ses pensées sur le problème courant : il était trop tard pour que Duke fasse preuve de doute.
– Bon, écoute, Duke. Tu m'as fait confiance pour trouver l'entrée de ce tombeau, non ? »
– Oui, Maggy, mais… »
– Et tu es d'accord avec moi pour dire que jusque-là, ça s'est très bien passé. »
– Oui, même si… »
– Et tu conviendras que vu les trésors qu'on a croisés jusqu’ici, la récompense s'annonce clairement au niveau du risque qu'on a pris. »
– Oui, mais la légende dit que… »
– Ah ! La légende. C'est la légende qui te perturbe c'est ça ? Cette légende ridicule qui dit que Razelgor a enfermé ici ses plus fidèles serviteurs, et que s'ils venaient à se réveiller, le monde pourrait subir une transformation totale ? Mais dis-moi, Duke : même en admettant que ce soit le cas, est-ce que le monde ne pourrait pas profiter d'une petite transformation totale ? Parce qu’en ce moment, il n’est quand même pas génial génial le monde, je me trompe ? »
Le rôdeur ne répondit rien, mais Maggy décida de ne pas lui laisser le temps de formuler une pensée dans tous les cas. Elle s'approcha du piédestal sur lequel trônait un magnifique rubis, d'une taille qu'elle n'avait jamais vue. Rien que d'imaginer la somme qu'elle pourrait en tirer une fois qu’ils seraient dehors, elle sentait ses yeux s'humidifier. Et ce n'était qu'une partie du trésor qui était promis à ceux qui réussiraient à piller le tombeau de Razelgor. Elle prit le rubis dans ses mains, puis le tendit vers Duke, avant de reprendre :
– Et donc, qu'est-ce que ça peut faire si on change un peu le monde, et que dans le processus on s'enrichit ? Est-ce que ça ne serait pas la meilleure chose qui puisse arriver, finalement ? »
– Euh. Maggy. »
Un signal d'alerte se déclencha dans l'esprit de la guerrière. Si elle avait l'habitude que Duke perde son sang-froid, il était peu courant que Léopold, le mage du groupe, parle d'un ton stressé. Et encore moins qu'il hésite avant de dire quoique ce soit. En fait, bien plus que le ton légèrement angoissé du mage, c'était le « euh » qui avait déclenché un signal d'alarme. Elle se tourna vers le mage, puis regarda à nouveau vers le dragon que Léopold pointait du doigt. Elle ne sût pas quoi regarder, puis un détail instilla un peu plus de crainte encore. Les yeux du dragon brillaient d'une lueur rouge sombre. On aurait pu attribuer ça à la lumière des torches, mais il était assez rare que des torches fassent cligner des yeux.
– Par la barbe du grand Ulm », murmura Isilda, la bouche grande ouverte.
La voix de Duke n'était plus qu'un piaillement désarticulé, à peine humain. Mais pour une fois, Maggy devait avouer qu'il avait raison.
– On se barre ! », hurla-t-elle, avant de se mettre à courir vers la sortie.
La terre trembla sous ses pieds, et elle dût lutter pour ne pas trébucher. Elle se retourna rapidement pour jeter un œil et en eut la chair de poule. La statue du dragon s'animait. Elle se craquelait, lentement, et Maggy constata amèrement que sous cette carapace de pierre, il y avait effectivement un cœur qui battait. Elle ne souhaita pas regarder plus longtemps alors que la caverne se mettait à trembler, des blocs de roche manquant de les ensevelir. Ils coururent jusqu'à la sortie du tombeau comme si leur vie en dépendait. Ce qui, de fait, le cas. Puis ils coururent encore quelques centaines de mètres, jusqu'à atteindre l'orée d'une forêt, avant de daigner se retourner. Pendant un moment, il sembla ne rien se passer, puis soudainement, un énorme cri mit fin à la tranquillité de la nature environnante, alors qu'un pan de la colline sous laquelle ils s'étaient aventurés s'effondrait. La guerrière entendit Duke sangloter doucement, probablement soulagé d'avoir échappé à la mort par écrasement et étouffement. Puis ils virent le dragon s'élever dans le ciel. Il avait les écailles noires, et mesurait au moins dix mètres d'envergure. Ils reculèrent un peu plus sous les frondaisons, par précaution. Ce fût Léopold qui reprit la parole.
– C'est Zuichen, le dragon des ténèbres. On dit qu'il ne cherche que la destruction du monde, et qu'un sorcier dont on ignore le nom a réussi à le sceller par un procédé magique oublié de tous. »
– Bon, ben maintenant, on sait qui a réussi à le sceller, au moins », répondit Maggy, désormais de mauvaise humeur.
– Effectivement », répondit Isilda. « Mais je pense qu'on va garder l'information pour nous. Ça diminuera nos chances d'être déclarés responsables de l'Apocalypse. »
Pour ma part, je trouve ce chapitre d'introduction parfait. Le fait d'apporter des éléments au compte goutte en les incluant dans la description de l'environnement et de la forme du groupe est ce qui m'a fait prendre plaisir à la lecture. Découvrir la nullité de ce groupe (Je ne pense pas que ce soient des nullos, bien entendu) et la voir enfler avec des petits détails le rend plus attachant à mes yeux.
Et personnellement, j'ai trouvé ça très drôle. Je m'en vais m'encquérir de la suite de ce pas !
Merci pour ce commentaire. Et tu as probablement raison : ce ne sont pas des nullos sur le fond, mais quant à ce que l'Histoire (avec un grand H) retiendra d'eux... c'est autre chose !
J'avais hâte de pouvoir te lire :)
Je trouve ton style dynamique et efficace. On s'attend à rigoler du désordre (pour rester polie) causé par le dragon de l'Apocalypse... et les conflits entre les différents membres de l'équipe s'annoncent divertissant !
Après ce que je vais te dire c'est vraiment très général et pas spécifique au genre que je connais très mal. Je te donne des impressions très néophytes. (en espérant que ça ne soit pas trop décousu et quand même aidant).
Dans les perspectives d'amélioration, peut-être ajouter un peu plus de tension pour le lecteur ? Par exemple si au lieu d'être décrit comme un lieu qui inspire la crainte on ressentait vraiment une forme de peur quand les héros pénètrent dans le tombeau ça serait plus impactant ?
J'ai l'impression que tu as insisté sur le fait que ça faisait très peur, soit de façon ironique pour qu'on soit les témoins amusés de la scène avec cette Maggy qui n'a pas peur mais qui finit par faire une grosse connerie par cupidité ? soit pour qu'on soit inquiets aussi pour la suite de l'expédition ?
Retours sur la forme :
"l'air nerveux. Il avait baissé son arc et se triturait les mains, l'air visiblement gêné." -> "l'air" revient 2 fois en deux phrases, à mon avis involontairement ?
"Oui, mais la légende dit que… »
– Ah ! La légende. C'est la légende qui te perturbe c'est ça ? Cette légende ridicule qui dit que "
-> Là aussi tu as répété 4 fois "légende" mais par contre je pense que c'était tout à fait volontaire pour insister sur cet aspect de l'intrigue, non ?
Sur le fond, je suppose ici "– Bon, ben maintenant, on sait qui a réussi à le sceller, au moins », répondit Maggy, désormais de mauvaise humeur." que c'est "desceller" que tu voulais dire ?
Petite remarque, mais je sais que ça reste très personnel, j'aurais "préféré" avoir la vision d'ensemble du groupe entier avant d'imaginer un duo comique (un peu comme Astérix et Obélix, ou Don quichotte et Sancho) entre Duke et Maggy. J'ai été légèrement déstabilisée dans ma lecture pour me réadapter à l'idée qu'en fait ils étaient un groupe plus vaste, un peu comme une bande, une horde, ou une guilde (je ne sais pas trop comment on dit dans ce cas, bref plusieurs personnes pas juste deux :D ).
Y'a plus qu'à découvrir à quoi va ressembler le monde pas génial génial après transformation !! :)
Merci pour ton message, quelle rapidité !
Sur la forme, je prends pour les répétitions (je vais effectivement garder "légende" pour la raison que tu cites). Et je parlais bien de "sceller", puisque le dragon avait disparu et personne ne savait qui avait réussi à l'emprisonner. Mais tu es la deuxième à me faire la remarque, donc c'est que la tournure n'est pas claire.
Sur le fond, je comprends l'idée pour le duo comique. Je vais essayer d'ajuster pour qu'au moins la lecteurice sache que les autres sont là.
Pour la tension, le style de Maggy (au travers de qui on voit la scène) ne laisse pas beaucoup de place aux descriptions subtiles. Les autres personnages devraient être un peu plus dans le suggestif :)
Merci pour tes retours !