Violette n’avait jamais eu de maison. Où en avait elle eu ? Ses souvenirs s’effritaient, murmure qu’elle n’arrivait plus à atteindre. Murmure… Non, un soupir. Violette soupirait souvent. Sa mère - à nouveau, un doute, de quelle mère parlait-elle ? - lui disait tout aussi souvent. Pourquoi tout était si flou, si lointain ? Pourquoi les souvenirs partaient alors que Violette en avait besoin plus que jamais ?
Enfuis au cœur d’elle, elle ne pouvait les trouver. Pourquoi…?
La douleur rendait son passé inatteignable. Elle titubait, boitait, claudiquait. Elle devait revenir, elle devait retrouver son chemin. Pour aller où ? Sa mémoire lui jouait des tours. Était- ce le poison de l’Akuma ? Oui. Oui, elle tenait un responsable. Son corps était parsemé de brûlures et d’hématomes mais rien ne la faisait plus souffrir que ce poison. Violette avait mal. Partout. Chacun de ses mouvements lui coûtaient tant. Elle se sentait lourde, mais ça allait au-delà. Elle brûlait de l’intérieur, rongée par une force douloureuse et affamée. Elle se sentait lourde. Et seule.
On disait que le poison des Akuma était mortel. Que seuls des guérisseurs de talent savaient l’arrêter. Elle n’en connaissait pas. Ystafel ne la soignerait pas. Une chasseuse de moins, c’était rien. Un sacrifice sans importance. Ce n’était même pas vraiment un sacrifice. Ystafel l’avait envoyée mourir. Pas directement, mais les scientifiques savaient qu’un jour où l’autre, Violette finirait par mourir. Chasser des mages, chasser des chimères, ça ne pouvait mener qu’à ça. Même quand on était soi-même une chimère. Des chimères… Jamais le mot n’avait semblé aussi juste. Violette s’en rendit compte. Ce après quoi elle avait couru, c’était des chimères. Des idées improbables, qui ne se réaliseraient pas. En tant que chasseuse, la jeune femme avait affronté un grand nombre de chimères et tout autant de mages.
Elle était elle-même une chimère, ces créatures magiques, mi-humaines, mi-animales qui maîtrisaient la magie. Elle était elle-même une chimère et il n’y avait pas de plus belle ironie à ça. Mais elle n’avait pas eu d’autres choix. Elle avait pactisé avec le diable pour revoir ses parents dont elle n’arrivait pas à se souvenir, faute à la douleur. Pourquoi cela la peinait tant ? Au fil du temps, elle les avait oubliés. Pourtant, une voix criait qu’elle ne devait pas les oublier. Ils ne devaient pas être oubliés. C’était pour eux qu’elle faisait tout ça. C’était pour eux, mais qui étaient ils ?
Ce n’était même pas vraiment un sacrifice. Sans cesse, ces mots revenaient à Violette. Elle voulait hurler. Ce n’était même pas vraiment un sacrifice ! Elle, elle n’avait compté pour personne ! Elle avait risqué sa vie, mais sa mort ne toucherait personne ! A quoi avait-elle renoncé ? La vie ? Quelle vie ? Poursuivre des êtres semblables pour éviter les conséquences, combattre tous les jours, être crainte de tous, être méprisée de tous, supporter les murmures, leurs murmures… Quelle vie ?
La vision de Violette se troublait. Tout son corps tremblait et elle doutait. Ses forces l’abandonnaient. Ce combat avait été celui de trop. La chimère pensait affronter une autre chimère, elle s’était retrouvée face à une Akuma. Ce n’était pas le poignard de l’Akuma qui aurait raison d’elle, mais le poison dans ses griffes. Sa proie l’avait dépassée, surpassée. L’Akuma avait gagné le combat et pour se débarrasser d’un potentiel danger, de quelqu’un qui pourrait la dénoncer, elle avait poignardé Violette.
Et sans doute était-ce pour achever Violette. Rapidement, sans douleur. Mais Violette avait survécu. Elle était une chimère après tout. Plus qu’une chimère, elle était une survivante. Mais le poison la rongeait doucement. Elle allait finir par mourir, elle allait finir seule. Seule. Depuis sa naissance, elle avait été seule. Elle avait grandi loin des humains. Et puis un jour, deux humains l’avaient adopté. Elle s’en souvenait.
Emportée par la douleur, elle s’effondra. Personne ne la trouverait ici. Parcourue de spasmes, la chimère se demandait pourquoi ses pas l’avaient menée ici. Souhaitait-elle mourir seule ? Pourquoi pas ? Les deux seules personnes qui avaient compté pour elle se tenaient si loin d’elle. Les ténèbres l’envahissaient. D’une minute à une autre, elle allait mourir. Mais elle se souvenait maintenant. Une lueur d’espoir s’illuminait au loin.
Elle se souvenait. Et comme si Violette avait trouvé le chemin qu’elle cherchait, elle l’emprunta. Ses souvenirs, sa mémoire. Elle avait grandi loin des humains et puis, deux d’entre eux l’avaient adoptée. Au départ, elle ne ressemblait pas à une chimère. Elle était juste une enfant comme tout le monde. Une enfant abandonnée, élevée par un couple. Elle les appelait affectueusement Papy et Mamy. Ils étaient ses parents, ses véritables parents. Un jour, il lui avait offert un ours en peluche. Un merveilleux ours en peluche avec un petit ruban rouge au cou, un précieux petit ours en peluche que Violette promenait partout.
Violette. C’était Papy et Mamy qui lui avait choisi ce nom. Ils lui avaient expliqué qu’ils l’avaient trouvée avec une violette dans les mains. Ses yeux se fermaient. Elle sourit.
Et un jour, ils avaient tous les trois compris que Violette n’était pas vraiment humaine. Elle avait arrêté d’aller à l’école. Papy et Mamy répétaient sans cesse que personne ne devait savoir. Personne, personne, personne. Juste nous, d’accord ma chérie ? Si quelqu’un le sait, des méchantes personnes viendront te chercher. Alors, elle gardait son secret. De temps en temps elle surprenait des disputes entre Papy et Mamy. Ils manquaient d’argent, élever Violette devenait compliqué tout comme vivre. Elle attirait leurs malheurs, contre son gré. Pourtant, avec elle, ils souriaient, ils rigolaient, ils formaient une véritable famille.
Un jour, Violette fut dénoncée. Papy et Mamy allaient recevoir une grande somme d’argent. Une larme coula silencieusement. C’était ce qui se passait quand on dénonçait une chimère, on recevait une part d’argent. Papy et Mamy se disputaient devant les yeux de Violette. Ils voulurent arrêter les hommes d’Ystafel. Ils ne voulaient pas perdre leur fille. Elle non plus. Ils pleuraient. Elle aussi. C’est toi qui l’a dénoncée ? C’est pour l’argent ? avait hurlé Papy. Mamy avait pleuré de plus belle. Non ! C’est ma fille ! Violette avait pleuré à son tour. Personne ne savait pour elle à part eux trois. Ils ne pouvaient pas avoir dénoncé Violette, ça n’avait aucun sens. C’est moi. Violette serrait son ours en peluche, plus fort que jamais. J’ai déposé une lettre, c’est moi. Vous aviez besoin d’argent, alors je me suis dit que si… Que si je me dénonçais, tout irait mieux. Violette tremblait désormais. Papy tenta de s’approcher pour la prendre de ses bras, mais un homme d’Ystafel s’interposa froidement. Un autre agrippa Violette et la tira vers la porte. Elle se laissa faire, fixant silencieusement ses parents de cœur. Elle ne se débattit pas et alors qu’on l’arrachait loin de sa maison, elle entendit un homme de main, voici la somme. La chimère n’entendit jamais la réponse de ses parents. Des gouttes de glace tombaient sur sa joue. Elle partait loin de sa famille. Les reverrait-elle un jour ? Son cœur hurlait à l’intérieur.
Je ne veux pas les perdre. Je ne veux pas les perdre. Je ne veux pas les perdre. Et, ils seront heureux sans moi. Je devais le faire. C’est pour eux. Ils seront heureux sans moi. Ils seront heureux…
Est ce qu’ils avaient été heureux à la fin ? Élevée sans la moindre once de compassion, elle ne reçut des lettres d’eux que des années plus tard, quand elle avait prouvé sa docilité à ses tortionnaires - ils ne méritaient pas d’autres noms. Papy et Mamy prétendaient toujours que tout allait bien, pour ne pas l’inquiéter. Ou parce que les lettres étaient censurées ? De toute façon, elle n’était qu’une Elseker parmi les autres.
Violette essaya d’ouvrir les yeux. Elle voulait voir le monde froid et passif dans lequel elle avait grandi une dernière fois. Au moins, elle partirait ses souvenirs plein la tête. La chimère souhaitait juste emporter son monde avec elle.
Arrivée dans un des nombreux laboratoires d’Ystafel, elle avait très vite appris à se taire et à baisser la tête. Elle laissait couler sa dignité au loin. Les agents lui avaient ensuite enseigné à se défendre. Non. A combattre, à blesser les autres. Docile, Violette restait la plus silencieuse de tous. Elle acceptait tout, elle ne réagissait à rien, ni insultes, ni gifles, ni moqueries, ni humiliations. Matricule C430. Une chimère parmi les autres. Personne. En silence, elle hurlait.
Finalement, la chimère s’était enrôlée dans les chasseurs. Ils avaient dit qu’après un certain quota, il était possible d’avoir quelques jours de congés, là où c’était demandé.
Violette avait pensé à ses parents. Quelques jours là-bas. La prisonnière imaginait l’odeur de la tarte aux abricots de Papy, Mamy qui montraient ses poupées en bois, eux qui se baladaient dans les bois, ensembles. Elle ne les avait jamais revu; elle n’avait jamais eu de congés.
“Grandis…” murmura Violette dans un souffle rauque.
Grandis ! T’es une putain de chasseuse, t’as plus le temps pour jouer aux gamines ! Si t’es là pour pleurnicher, va crever ! avait aboyé un entraîneur, déchirant son ours en peluche. Violette avait laissé échapper un hurlement de douleur et de colère. Le visage rouge, l’homme s’était approché d’elle d’un pas lourd et l’avait giflé. Ensuite, il avait brûlé la peluche.
Violette avait pleuré toute la nuit.
De tous les souvenirs, celui-là restait le plus douloureux. Grandis. Les mots tournaient en elle. Qu’est ce que ça voulait dire, être grande ? Dans le monde de Violette, ça signifiait savoir tuer les autres. Elle se révélait douée dans ça. Blesser les autres, les traquer, les capturer et parfois, les exécuter. Une chasseuse parmi les autres. Pourvu que ses parents aillent bien. Pourvu qu’ils soient heureux. Qu’est ce que ça voulait dire, être grande ? Violette se sentait si petite.
“Je suis…” avait commencé la chimère dans un râle, interrompue par une violente quinte qui secoua toute sa carcasse. Tout tournait autour d’elle, ses membres ne réagissaient plus à rien, lourds, vides. Elle respirait par à-coups, souffrant de chaque bouffée d’air qui s’infiltrait en elle. Elle continuait de pleurer, doucement. Personne ne l'entendait. Elle mourrait seule. Mais au moins, tout finirait. Sa conscience glissait.
“Grande maintenant ?” demanda-t-elle. Seul le vent lui répondit.
Elle ferma les yeux à bout de force. Tout était terminé. Un jour, ses parents la rejoindraient. Elle espérait que ce jour soit lointain. Mais un jour, ils seraient enfin ensemble et peut-être heureux. Ce jour, la chimère leur dirait enfin combien elle les aimait. Elle gardait les mots en elle depuis si longtemps. Elle voulait leur dire, c’était si important. Elle ouvrit la bouche, puisa dans ses dernières forces pour dire les mots. Seule une ultime respiration s’échappa de son corps. Jamais la chimère n’aurait son chant du cygne. Au moins, tout était terminé.
Violette avait toujours eu une maison. Et maintenant, elle y retournait.
Pour ce qui est du prologue, il laisse un arrière goût doux-amère derrière lui entre les souvenirs chaleureux mais mélacoliques de Papy et Mamy et la résignation que semble incarner Violette.
Le monde que tu as crée est trés facilement et rapidement compréhensible et la dureté de l'enfance de Violette donne la couleur de ce qui vas suivre.
Bien que j'ai trouvé les premiers paragraphes un petit peu fouillis par endroit la fin monte vraiment en puissance!! J'ai hâte de voir comment l'histoire vas evoluer : )
Merci pour ton commentaire, ça me fait vraiment plaisir ;w;
J'ai eu un peu de mal à commencer à vrai dire, donc ça ne me surprend pas que tu ais eu cette impression. Je le note dans mes corrections à effectuer pour plus tard et j'espère que la suite te plairas !
J'ai eu un peu de mal à rentrer dans ce prologue mais au final j'ai beaucoup aimé. J'ai senti une grosse montée au puissance au fur et à mesure des phrases !
L'histoire de la chimère me paraît très intéressante, je suis pressé d'en apprendre plus sur ton univers.
Quelques remarques :
"Pourquoi les souvenirs partaient alors que Violette en nécessitait plus que jamais ?" la phrase est un peu étrange, en avait besoin plutôt ?
"mouvements lui coutaient tant." -> coûtaient
Bien à toi
Merci pour ton retour, ça me fait très plaisir !
Pour ce qui est des souvenirs, oui je m'en suis rendu compte en lisant que la phrase était étrange. Je vais modifier et corriger, merci :)
Je me laisse tenter par cette histoire sur la base toute simple de ton profil d'abord puis surtout de son résumé. Il m'a paru direct et assez classique, sans prétention, et ça m'a plu. Quand un résumé part déjà dans des méandres de complexité, je me méfie. Là des bases claires sont posées, et ça laisse la porte ouverte juste ce qu'il faut à une belle (si potentiellement déchirante) aventure. Alors me voilà. =)
Je suis juste embêtée que tu dises que ce n'est qu'un premier jet, parce que l'idée qu'on puisse réécrire un texte m'horripile. Mais chacun sa façon de procéder, après tout, je respecte ça ! Ceci étant dit, si mon avis compte pour quelque chose, je pense que rien n'est à changer dans ce prologue, en tous cas, en dehors de quelques fautes d'orthographes (comme chez tout le monde). ^^
Ce prologue est poignant. On commence par une fin. Jusqu'au bout de ma lecture, j'ai eu cet espoir naïf que quelque chose ou quelqu'un allait sauver Violette. Un rebondissement est encore possible par la suite, mais en tous cas aucun signe n'est donné dans ce texte, donc tout laisse à penser qu'elle est bel et bien morte. Que ce soit le cas ou non, l'ambiance est posée : c'est un monde à la loi martiale qui se dessine. Ystafel n'inspire pas plus de compassion que ne le laissait présager le résumé. Les Elsekers (je suis allée vérifier tous les termes, et je tiens à dire qu'ils sont bien choisis même si fort propices aux fautes de frappe ^^) sont donc chassés et persécutés, et pire que ça, on utilise les leurs pour le faire. On repose sur la délation et la corruption pour les trouver enfants et en faire des enfants-soldats, à des fins présumément de génocide pur et simple. Charmant. Et dire que répondre à l'oppression par l'oppression n'est malheureusement pas une invention du registre fantastique...
Violette laisse un grande sensation de lassitude derrière elle, un reliquat de courage résigné. Son parcours a probablement été celui de beaucoup d'autres, et pourtant il reste si personnel. Tout ne semble pas perdu pour les siens, si un couple humain a osé la recueillir, l'élever, et la protéger. Qu'elle se soit elle-même dénoncée renforce ce sentiment que la coexistence est clairement possible, et que c'est donc nécessairement de la mauvaise volonté de quelqu'un que ce ne soit pas en place.
En résumé de mon commentaire, je dirais donc qu'exposer les grandes lignes du paradigme à travers la fin tragique d'une victime du système dans lequel on va évoluer, alors qu'elle se remémore ses débuts tout aussi peu réjouissants, me paraît un choix narratif intéressant et qui fonctionne bien. On est plongés tout de suite dans une atmosphère émotionnelle qui danse sur un fil entre le désespoir et l'indignation. Ça ne sonne pas cliché pour moi, et ça me donne envie de découvrir la suite.
À bientôt ! =)
P.S.: voici les quelques petites fautes que j'ai relevées au passage, si ça t'intéresse:
- "On disait que le poison des Akuma étaient mortels." -> soit "les poisons", soit "était mortel"
- "Ystafel l’avait envoyé mourir." -> "envoyée"
- "soit même" -> "soi-même"
- "Ce après elle avait couru" -> "ce après quoi elle avait couru"
- "Sa proie l’avait dépassé, surpassé. " -> "dépassée, surpassée"
- "ses pas l’avaient mené ici." -> "menée"
- "qu’ils l’avaient trouvé" -> "trouvée"
- "accoups" -> "à-coups"
- "avait toujours eut" -> "toujours eu"
Tout d'abord un grand merci pour ton commentaire qui m'a beaucoup touchée.
Je suis contente de voir que le résumé t'as intrigué, j'ai essayé d'être concise. Et en relisant ce que j'avais écris, j'ai eu peur d'avoir déjà mis trop de termes techniques, ça me rassure de voir que ce n'est pas dérangeant !
Pour ce qui est de la réécriture, si ça peux te rassurer, je compte garder l'essence du chapitre et retravailler les détails. les tournures maladroites ou ce qui me semble incohérent. Et de même pour le livre, je dirais plus que mon premier jet me servira de base pour raconter l'histoire au mieux !
En tout cas, je suis ravie que ce passage t'ais touchée puisque c'était l'objectif premier. Ce n'était pas facile à écrire (dans le sens émotionnel), mais j'ai trouvé que c'était ce qui représentait le mieux la première image que je voulais donner de mon univers. Les chapitres à venir devraient êtres un peu plus légers en comparaison !
Ton analyse est très juste, tu relèves tout ce que je voulais montrer avec ce premier chapitre ce qui me rassure beaucoup.
C'est noté pour les fautes, je file corriger ça ! Merci pour les avoir relever !
J'espère que la suite de l'aventure te plairas et encore merci pour ton commentaire qui me motive vraiment à écrire !