Psychiatre et patient

Par Dédé

 

— Adrien, vous me rendez chèvre... Et je déteste les chèvres, vous savez pourquoi ?

— Votre mari, parti, élevage en Birmanie, je me trompe ?

— J'en parle tant que ça ?

— On cause bien plus de votre mari que de ma dilemmite, c'est pour vous dire...

— C'est à ce point ?

— Enfin... si on cause pas de votre mari, on cause de votre chat. Faut dire que ça laisse peu de place pour le mal qui me ronge.

— La dilemmite vous ronge ?

— Pas vraiment, c'était une façon de parler.

— Elle vous fait mal, donc ?

— Non plus...

— Mais c'est intéressant que vous ayez dit 'le mal qui me ronge'...

— Intéressant, vous dites ?

— Oui, ça me rappelle mon pauvre chat qui a essayé de se tuer en grignotant les câbles de ma vieille télévision du salon. Rien que la pensée de le voir électrocuté m'a fait mal au cœur...

— Ah...

— Heureusement, j'étais encore là pour le sauver à temps.

— Et donc, pour en revenir à ma dilemmite...

— Un jour, je ne serai pas là pour le sauver, ce pauvre chat...

— Ce serait peut-être mieux qu'il ne soit pas là, vous ne croyez pas ?

— Adrien, souhaitez-vous réellement la mort de mon chat ?

— Si ça peut vous faire arrêter d'en parler sans cesse... euh... je veux dire... non, j'aime les animaux... mais comprenez... je suis ici pour apprendre à gérer ma dilemmite au quotidien. Des fois, et ne le prenez pas mal, mais on dirait que c'est vous qui auriez bien besoin d'un psy.

— Comment osez-vous ? On ne parle pas à sa psychiatre de la sorte...

— Ou sinon ? Vous allez me congédier comme vous avez fait avec Jane ?

— J...J...Ja...Jan... Cachez-moi ce nom que je ne saurai voir en peinture, Adrien.

— Et si on parlait de ma dilemmite ?

— Entendu. Parlons-en...

— Vous avez quelque chose à me dire sur le sujet ?

— Pas spécialement, et vous ?

— Non plus. Depuis que je vous ai dit que je sortais avec Jane et que c'était sérieux avec elle, je vous sens moins professionnelle. Et je n'arrive pas à me confier à des psychiatres moins professionnels. Je suis comme ça...

— Pourtant, vous continuez à venir aux séances.

— Vous me convoquez en me menaçant de me facturer la séance même si je ne viens pas. Alors autant venir, sur un malentendu, la séance peut être productive.

— J'aime votre optimisme, Adrien.

— Avant Jane, vous voyez, je n'étais pas très optimiste. Mais depuis que je l'ai rencontrée, ma vie semble me sourire à nouveau. Je panique moins quand je me retrouve face à un dilemme car je me dis que, quoi qu'il arrive, Jane sera toujours avec moi. Et si Jane est avec moi, alors tout va bien.

— Je vois...

— Car Jane, c'est elle qui est la plus importante dans ma vie. Pas la dilemmite. Et avant, c'était la dilemmite qui était ma priorité... Et j'avais tort d'en faire ma priorité...

— On avait convenu de ne plus prononcer Jane lors de notre dernière séance, non ?

— Certes, mais je pensais que vous auriez décidé d'être un peu professionnelle pour changer.

— Je veux bien être professionnelle mais ce prénom me déclenche de l'urticaire...

— On avait aussi convenu qu'on parlait de ma dilemmite et non de vous, exact ?

— C'est vrai. Toutes mes excuses... Poursuivez !

— La dilemmite est toujours là, Jane ne l'a pas faite disparaître. Ce serait trop beau... Mais l'amour ne soigne pas tous les maux.

— C'est la deuxième fois que vous associez votre dilemmite à un mal ? Vous êtes sûr de ne pas souffrir ?

— Je le sentirais si je souffrais...

— Parce que, vous voyez, mon chat souffre... Je ne le vois pas mais je le ressens. Mais avec vous, je ne ressens rien. Mais vous répétez 'mal' et je m'interroge. Ce n'est pas une coïncidence à mon avis. Tout comme les multiples tentatives de suicide de mon chat...

— Dilemmite, concentrez-vous sur ma dilemmite...

— Mais votre dilemmite va mieux alors que mon chat flirte de son plein gré avec la mort ! Je veux bien être professionnelle mais ne pensez pas qu'à vous.

— Mais...

— Vous ne pensez pas qu'après toutes ces heures à vous écouter radoter, vous me devez un petit quart d'heure durant lequel je peux me plaindre de mes problèmes personnels en toute liberté ?

— Euh...

— Donc, je disais... Mon chat ne va pas bien. Il refuse de consulter un psy pour animal suicidaire et je ne sais plus quoi faire. J'ai sécurisé la maison mais il trouve toujours un moyen de s'ôter la vie. L'autre nuit, il se tapait la tête contre le mur. Heureusement, j'ai réussi à le calmer et à le rassurer mais ça n'a pas duré vu comment il a mordillé le câble de la télévision...

— Je compatis...

— Et le mari est introuvable en Birmanie. Pourtant, je sais que le divorce est la solution car il ne reviendra jamais mais s'il ne signe pas les papiers, comment je vais divorcer moi...

— Vous savez, je connais un avocat qui peut vous aider !

— Ah oui ? Je veux bien ses coordonnées, si vous les avez.

— Il aide Jane avec son souci de prétendu mari.

— Et vous savez, avec tout ça, je crois que je suis en train de retomber amoureuse...

— Ah oui ?

— Un homme qui est venu jusqu'ici prétendant vouloir une consultation.

— Oh ! Je vois...

— Il avait des problèmes avec son actuelle femme qui n'est plus vraiment sa femme. Son histoire est compliquée et je ne vais pas vous ennuyer avec les détails, Adrien.

— Je vous en remercie.

— Cependant, on a bien accrochés tous les deux. On a dîné quelques fois et ce n'est pas allé plus loin. Vu qu'il ne sait même plus lui-même s'il est marié ou non, je n'ose pas faire le premier pas. Mais je sais qu'il est actuellement avec Jan... euh... la femme en question pour faire le point une bonne fois pour toutes.

— C'est sans doute la meilleure chose à faire dans ces cas-là.

— Et si Jan... euh... la femme ne veut plus de lui, j'essaierai d'être là pour le réconforter. Je sais qu'il comptait énormément sur ce mariage. C'était tout pour lui...

— Les mariages peuvent être compliqués, c'est vrai.

— Et après tout, si lui et moi, nous devenons sérieux, ce ne serait pas plus mal... J'aurai bien besoin d'une paire d'yeux supplémentaires pour surveiller le chat. C'est que j'y tiens beaucoup, vous savez, Adrien... J'y tiens beaucoup...

 

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