— La dernière fois que je suis parti en vacances ? C'était à la mer. Je pars au moins sept fois par an à la mer...
— Tu pars avec «celle dont je refuse de prononcer le nom» ?
— Andréa... Jane... Andréa, peu importe son nom... Tu vois de qui je veux parler... Je partais avec elle mais maintenant, il faudra que j'apprenne à être en vacances tout seul.
— Ou accompagné de quelqu'un d'autre. Albert. Ne te ferme pas émotionnellement après ce que tu as enduré. Il n'est pas encore trop tard pour partir à la mer en charmante compagnie.
— Qui voudrait d'un homme qui s'apprête à divorcer d'une femme qui prétend ne jamais l'avoir épousé ?
— Une femme qui a été délaissée par son mari, parti exercer le métier de ses rêves à l'étranger, peut-être.
— C'est une possibilité parmi d'autres, en effet.
— Tu sais, en tant que psychiatre, je vois beaucoup de personnes divorcées ou séparées et ces gens-là restent rarement seuls. Au contraire, peu habitués à la solitude, ils vont se mettre avec la première personne venue.
— Ah non ! Je ne me mettrai pas avec la première personne venue... J'ai assez souffert comme ça ! Mais... Dis-moi...
— Oui, Albert ?
— On était d'accord pour se fréquenter en dehors de ton cabinet pour ne pas que je sois ton patient, n'est-ce pas ?
— Bien entendu ! Je suis une psy mais pas la tienne.
— Nous sommes donc d'accord ! Me voilà rassuré !
— Rassuré, pourquoi donc ?
— Bah... euh...
— Albert, tu rougis !
— Autant être franc, tu me plais et ce, depuis la seconde où je t'ai aperçue dans ton cabinet. Tu me plais... Je ne saurai le dire autrement.
— Oh...
— C'est à ce moment-là que je dois m'excuser ?
— Non, non... C'est toujours très flatteur de plaire à quelqu'un...
— D'autant plus si cette personne n'est pas ton client, j'imagine.
— Effectivement.
— Ça n'a absolument rien à voir mais tu sais ce que je préfère dans mes vacances à la mer ?
— Non, je ne sais pas.
— Je ne l'ai jamais dit à personne, en plus...
— Oh...
— Le sable ! C'est le sable que je préfère !
— Albert, serais-tu un grand amateur de châteaux de sable ?
— Du tout ! C'est juste que j'aime m'ensevelir dans le sable...
— Tu t'enterres vivant si je comprends bien ?
— Pas vraiment...
— Ferais-tu une fixette sur ta propre mort au point de l'appréhender en t'enterrant vivant ?
— Euh... Quelle drôle de question ! Je ne pense pas...
— Chercherais-tu à fuir la réalité ? Peut-être que l'ensevelissement est un moyen pour toi de te déconnecter du monde des vivants...
— C'est... C'est... C'est effrayant ce que tu me dis là.
— Je ne veux surtout pas t'effrayer. Je m'interroge, voilà tout...
— À mon avis, il ne faut pas aller chercher bien loin. J'aime juste sentir le sable se coller à ma peau. Et je te rassure, je garde quand même ma tête à l'air libre ! En aucun cas, je ne défie la mort...
— Tu es sûr ? Parce que j'ai un mari en fuite, un chat suicidaire, je ne voudrais pas te rajouter à la liste de ceux qui veulent partir plus tôt que prévu...
— Je ne cherche absolument pas à quitter ce monde. Au contraire ! J'envisage d'essayer les bains de boue ! On ne m'en dit que du bien !
— Pour en avoir fait plusieurs fois avec le fuyard de Birmanie, je te confirme que les bienfaits des bains de boue ne sont pas une simple légende. C'est avéré !
— Le fuyard de Birmanie ?
— Mon futur ex-mari, pardon... Je déteste l'appeler ainsi alors je lui trouve des petits surnoms qui le mettent en valeur comme il le mérite...
— Je te comprends... C'est pareil pour moi avec... avec... «tu sais qui».
— Comme quoi, on se ressemble bien plus que ce que je pensais.
— Ah oui ?
— Oui, car je n'aurai pas parié un centime sur le fait que j'allais me rapprocher de l'ex prétendu mari de... tu sais bien !
— Je vois.
— Mais pour en revenir aux bains de boue, franchement teste-les au plus vite !
— C'est efficace à ce point ?
— Toi qui aimes bien le toucher, tu apprécieras de sentir la boue couler sur ton corps. Et puis les vertus apaisantes sont un petit bonus qui ne te fera pas de mal. D'ailleurs, rien que d'en parler, j'ai envie de m'en faire un nouveau.
— L'abus des bains de boue est-il dangereux pour la santé ?
— Je ne pense pas... Aucune étude ne l'a démontré donc il n'y a aucun danger à l'heure actuelle !
— Tant mieux car si ces bains sont aussi bien que ce que tu prétends, je te vénère jusqu'à la fin des temps et je compte bien en profiter au minimum sept fois par an, quarante-deux maximum.
— Quarante-deux me semble être une limite raisonnable. En tant qu'individu, il est important pour nous de poser des limites à toute chose, mon petit Albert.
— Y a-t-il des limites à notre relation également, très chère ?
— Pas vraiment... Laissons les choses se faire d'elles-mêmes. Avec le fuyard de Birmanie, j'ai cherché à tout contrôler, à tout prévoir et regarde comment ça a fini... Il a préféré les chèvres et la Birmanie à notre mariage et notre vie de couple... Ceci dit, notre relation à nous démarrerait sur de bonnes bases si je te révélais mon prénom.
— Ce n'est pas que je ne veux pas savoir comment tu t'appelles mais...
— Mais ?
— Mais «tu sais qui» m'a dit son prénom, on s'est mariés et puis elle a eu son amnésie, elle s'est réinventé une nouvelle identité et je n'existe plus pour elle... C'est tellement violent pour moi que je ne veux pas non plus reproduire les mêmes erreurs. Alors, je préfère que ton prénom reste un secret pour moi jusqu'à la fin des temps, si ça te va.
— Je garde mon prénom pour moi et nous pouvons ainsi partir sur de nouvelles bases saines tous les deux.
— J'aime cette perspective, madame la psy !
— Tu vas me trouver dingue, Albert, mais je viens d'avoir une idée...
— Ah oui ?
— Je viens de me rappeler que j'ai un peu de boue chez moi. Il faut que tu saches qu'à chacun de mes bains de boue, j'en ramène toujours un peu avec moi... Et depuis le temps, j'en ai bien assez pour me faire des bains de boue à domicile.
— Un bain de boue à domicile, en voilà une bonne idée !
— Et donc... J'avais dans l'idée de te proposer de venir chez moi, histoire de te montrer moi-même les vertus des bains de boue. Si tu es d'accord, bien sûr...
— Évidemment que je suis d'accord ! Comment refuser un bain de boue en charmante compagnie...
— Par contre, je préfère te prévenir qu'il faudra surveiller mon chat ! Il pourrait avoir l'envie de s'étouffer en avalant ce doux mélange de terre et d'eau...