Pulsions

Après leur prière, Hiroichi et Iwao préparèrent le thé. Ils avaient passé leur vie à éloigné les impuretés et leurs démons, leurs désirs et tout ce qui fait la souffrance de l’existence selon la Voie de Bouddha. Mais aujourd’hui, ils étaient en proie à une terrible sensation. Le doute s’était emparé d’eux.
L’atmosphère d’habitude si paisible et reposante du temple était devenue lourde comme une ciel de suie, et froide comme la glace hivernale. Même la chaleur et les saveurs de leur thé noir aromatisé aux fleurs de cerisier ne purent réconforter leur âme tourmentée.

Ils enfilèrent leurs bottes et sortirent.

La neige ne tombait pas ce jour-ci et aucune brise ne soufflait. C’est comme si le temps s’était arrêté.

Les deux hommes de foi marchèrent silencieusement dans la forêt de bambous qui bordait le domaine du temple. La neige craquait sous leurs pas. Après plusieurs minutes, ils s’arrêtèrent à côté d’une petite mare, et s’assirent sur un petit banc de pierre, à l’abri d’un ficus religiosa.

 

- Je n’ai pas confiance en cette geisha, lança Iwao en admirant l’arbre majestueux sous lequel il était assis, et brisant la quiétude de la forêt. Elle dégage quelque chose de malveillant.

 

Hiroichi ne répondit pas. Il savait où son confrère voulait en venir. Ils savaient d’ailleurs tous deux ce qui se tramait au temple.

 

- Je sais ce que vous allez dire, reprit Iwao, Fuyu s’est attachée à cette femme mais je trouve que son arrivée coïncide étrangement avec les problèmes de comportement de notre jeune prêtresse. Mais peut-être me fais-je des idées. Mais les coïncidences n’existent pas, Hiroichi-san.

 

Ils n’ajoutèrent aucun mot et contemplèrent la quiétude de la nature, se préparant au pire.

 

Au temple, Fuyu se réveillait doucement. Les évènements de la veille l’avaient profondément épuisée, mais ce matin là, elle ne se sentait pas engourdie et aucun mauvais rêves n’étaient venus troubler son sommeil. Pour la première fois depuis plusieurs nuits, elle était reposée. Malgré ça, elle avait un étrange pressentiment, un poids sur la poitrine.

Le domaine était calme, et le ciel s’était légèrement dégagé, laissant percé quelques rayons de Soleil à travers l’épaisse couche nuageuse qu’offre la saison hivernale au pied de la montagne. Une faible chaleur pénétrait dans la chambre, apaisant Fuyu de tout son être.

La jeune prêtresse se redressa sur son futon, et regarda autour d’elle comme si elle redécouvrait ce lieu qu’elle connaissait si bien. Elle voyait tout sous un nouveau jour.

 

- Tu as bien dormi jeune fille? Demanda une voix mesquine et maternelle dans un coin de la pièce. J’ai bien cru que tu ne te réveillerai jamais.

 

Fuyu releva la tête, surprise, et vit la geisha à genou au fond de la chambre, son éventail à la main cachant son visage et ne laissant apparaître que deux petits fentes réjouies. Elle paraissait d’une humeur rayonnante. Yamamoto-san jubilait. Ses yeux étaient révulsés, les pupilles et l’iris tournées vers l’intérieur de son crâne.

 

- Bonjour Yamamoto-san, se risqua Fuyu visiblement mal à l’aise. J’espère que vous avez apprécié notre humble hospitalité, ajouta-t-elle après s’être mise à genoux et inclinée, les mains à terre légèrement tournées vers l’intérieur et le front touchant le sol, en marque de respect.

 

Il y eut un moment de silence qui parut durer une éternité. La femme de compagnie était éprise d’une jouissance malsaine et convulsait, proche de la démence. L’atmosphère était pesante et son être entier semblait lourd mais absent à la fois. C’est cette sensation étrange que Fuyu avait ressenti à son réveil.

La jeune fille regardait à présent la geisha parée de rouge avec incompréhension et une inquiétude grandissante dans les yeux. Elle reconnaissait cette présence.

 

- Inutile de t’en faire jeune fille, la rassura Yamamoto, un sourire dans la voix. Je ne t’en veux pas pour hier. C’est normal de t’amuser à ton âge, surtout si ton père s’est absenté. C’est tout naturel de vouloir de l’attention, mais il faut rester prudent quand on joue avec quelque chose d’aussi dangereux, dit-elle en sortant le masque.

 

Elle éclata d’un rire dément et eut du mal à s’arrêter. Cela n’était pas naturel. Les pensées de Fuyu filaient à toute vitesse dans son esprit, ne comprenant rien au comportement de la geisha.

Après une longue minute, elle reprit son souffle, ses yeux n’arrêtaient pas de rouler dans leurs orbites et de la bave coulait en abondance sur son kimono rouge sang.

 

- Yamamoto-san? S’inquiéta Fuyu. Vous allez bien?

 

La geisha ne répondit pas.

 

- Qu’est-ce qui vous arrive? Repris la jeune fille dont la voix trahissait son inquiétude et sa peur. Répondez par pitié! S’enquit-elle dans un mouvement de recul tandis que la femme de compagnie s’avançait vers elle lentement.

 

Il y eut un raclement de gorge rauque.

 

- Tu as l’air délicieuse… et la peur dans tes yeux… quel régal!

 

Yamamoto fonça sur Fuyu, qui hurla de terreur et dont le bruit se répercuta partout aux alentours.

 

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