Quatre heures, dix neuf minutes et cinquante-six secondes plus tôt

Notes de l’auteur : J'avoue être un peu déçue de ce nouveau chapitre. J'aimais plutôt bien le premier, et je me suis retrouvée à presque arracher les mots du clavier pour celui-ci. Donc, bof bof, si vous avez des idées pour l'améliorer, je suis preneuse! (Ah, et au fait, ne vous attendez surtout pas à un rythme régulier d'écriture! J'écris quand j'en ai le temps, entre deux macarons et quelques bricolages dans mon garage! Oui, ma vie est passionnante, je sais que vous le pensiez)

          Chapitre 2 :

                                  Quatre heures, dix neuf minutes et cinquante-six secondes plus tôt.

 

La cafetière crache. L’imprimante crie. Mes os craquent lorsque je m’étire. Renversée sur ma chaise à roulettes, je pousse en l’air si fort sur mes bras que j’ai l’impression de les sentir tomber. En face de moi, un ordinateur et un livre ouvert. Jusqu’ici, tout va bien.

Ah, non, tout ne va pas bien. Mon ordi me montre 18h37. Une petite pause, hein ? Une sieste d’une heure, c’est une petite pause.

 

Je sors du bureau, le livre dans mon sac, le nez dans mon écharpe, les mains dans mes poches. L’air est froid, beaucoup trop froid pour une fin de Novembre. Seule la perspective de la chaleur du Nouveau Monde me maintient en marche dans les rues éclairées à la lueur trop forte des lampadaires. L’air glacial me brûle le nez. Mes lèvres gercées réclament de la discussion et de la bière.

Je rentre.

Je retrouve enfin l’atmosphère qui me manquait tant, mélange de douillet et de convivialité. A peine l’air brûlant de ce café rentre-t-il dans mes poumons que je retrouve enfin toutes ces odeurs qui, l’espace d’une journée seulement, m’avaient fait me sentir dénuée. Un mélange suffoquant de fumée de tabac, de café expresso et de bière bon marché. Au fond, mes voisins qui jouent aux cartes. A l’entrée, des gens qui fument, profitant tout à la fois de la gifle froide de l’extérieur et de la tendre tiédeur du poêle central.

Je m’avance jusqu’au comptoir, retire mon manteau et m’assoit en face de Xavier, le barman. Depuis que je suis installée sur Paris, il ne se passe pas deux jours sans que je ne vienne discuter avec lui. C’est si rare que je ne le rejoigne pas que lorsque cela se produit, c’est lui qui vient frapper à ma porte, inquiet, pour voir si tout va bien. Je vais souvent chez lui, aussi, pour un repas ou une bière. Lui et son mari sont de vraies crèmes !

-Alors, ma grande, du nouveau ?

 

Pleine de douceur, sa voix. Tout ce qu’il me fallait en fin de journée !

 

-Pas plus…

-Et tes romans, ça avance ?

-Toujours entre les mains de l’éditeur. Je n’ai plus de nouvelles pour le moment. Je les ai déjà relancé plusieurs fois, je veux pas paraître insistante.

-Putain, c’est pas possible ! Tu travailles dans l’édition et ils sont incapables de te prendre en priorité !

 

Son implication dans mon travail personnel me fait sourire. Il est parfait, ce type.

 

-Tu as vu ce qu’il se passe en Corée ?

Je quitte ma Leffe des yeux pour me tourner vers Xavier qui essuie tranquillement les tasses à café sorties du lave-vaisselle.

-Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

-Tu ne regardes jamais les infos ?

Je secoue ma tête en signe de dénégation. Je préfère regarder en boucle les films Harry Potter et les épisodes de Sherlock que me tenir au courant des actualités. Sans compter qu’elles ne sont pour la plupart pas des plus joyeuses.

Son ton n’est pas aussi tranquille lorsqu’il me répond :

-Il y a eu un coup d’état, je crois. Le gouvernement est tombé, d’après le JT. Ça doit faire environ une semaine, mais ça a pris une ampleur gigantesque, depuis hier ou avant-hier.

Il m’indique d’un hochement de tête la télé accrochée à l’autre bout de la pièce, où est diffusé BFM TV à plein volume. Au-dessus des titres défilants en bas de l’écran, annonçant des inondations dans le Pas-de-Calais et une (énième) grève des cheminots, la présentatrice parle de renversement en Corée du Nord, de tuerie massive et de gros risques pour tous les pays, quels qu’ils soient. Après cela, une journaliste sur place témoigne de l’ampleur gigantesque que cet incident a pris en Asie. « Déjà plus d’une soixantaine de pays ont succombé à des coups d’états tels que celui de la Corée du Nord. Certains spécialistes affirment que ce n’est plus qu’une question de temps avant que les démocraties européennes n’y succombent également… »

 

Je me retourne vers Xavier, qui me regarde d’un air entendu :

-S’ils y sont arrivé pour la Corée du Nord, il n’y a aucune raison pour que nous, on résiste.

-Oui, j’imagine, je réponds.

En réalité, je suis trop préoccupée pour lui faire une réponse parfaitement construite. Mon frère vit au Japon, et d’après BFM, ce gouvernement a été renversé avant hier. Je stresse un bon coup avant d’essayer de me raisonner. Mon frère est scientifique. Il travaille pour la vérité. Les révolutionnaires n’auraient eu aucun avantage à le tuer.

J’essaie de me redonner consistance en disant à Xavier :

-J’ai croisé Thérèse, hier. Tu sais, la boulangère. Elle n’avait pas l’air très en forme.

Xavier se rapproche de moi et me dit, en chuchotant presque :

-Elle est venue, hier. Son fils, tu sais, il faisait des études au MIT. Il a été tué dans la rue par des révolutionnaires. Alors non, elle ne va pas fort.

-Au MIT ? Les Etats-Unis aussi sont touchés ?

-Tout le monde ! Me dit-il en se redressant et en continuant d’essuyer sa tasse à café. Ça ne s’est pas arrêté à l’Asie de l’est. Je dois te dire que j’ai très peur pour l’avenir !

-Bah, au pire, on changera de gouvernement. Ça ne sera pas la première fois…

 

J’avais à peine fini ma phrase qu’une femme assise à une table poussa une exclamation telle que tout le monde, de ceux discutant entre amis à ceux fumant dehors, se turent. Elle se tenait le visage des mains, l’air horrifié, en regardant fixement la télé, toujours branchée sur la même chaîne. Tous les regards se tournèrent vers ce même point. Par le biais de la caméra tombée au sol, on voyait la journaliste d’investigation à terre, gisant sans vie, les yeux grands ouverts, le visage à jamais figé sur une terreur indescriptible. Du sang dégoulinait sur l’objectif.

L’antenne se redirigea sur la présentatrice, à deux doigts de fondre en larmes. Un instant plus tard, une personne armée déboula des coulisses et la mit en joue, à genoux, les bras derrière la tête. Les cameramans furent forcés de délaisser leurs postes et de se regrouper au centre. Des gens armés déboulaient de tous les côtés, faisant tomber la caméra qui filmait la scène.

Puis un affreux bruit de balles.

 

Puis le noir.

 

Puis rien.

 

Je n’aurais jamais cru sans l’entendre que le silence pouvait autant blesser l’ouïe. C’est à peine si nous n’arrivions à entendre les battements de cœur de chacun. Nous ne pouvions plus bouger. Les membres pétrifiés, le visage figé, nous nous consumions de terreur. Mon corps ne me répondait plus. J’envoyais en permanence des messages à mes muscles, leur ordonnant de fuir, de partir le plus loin possible, à pieds, si nécessaire. Mes orteils restèrent sagement à leur place. Jusqu’à ce que mes oreilles perçoivent une nouvelle information. Une assez mauvaise information.

Un homme armé jusqu’aux dents venait de débouler dans le café.

J’eus à peine le temps de rejoindre Xavier derrière son bar que des tirs étaient lancés en l’air. L’entrée était bloquée. Aucun moyen de partir. Si même cela avait été possible, l’idée ne m’aurait même pas effleurée. J’étais tétanisée derrière le bar, accroupie, comme l’ensemble des pris d’assaut de cette pièce, la gorge trop sèche pour crier, les yeux trop ouverts pour pleurer.

Des complices de l’homme arrivèrent et nous hurlèrent des ordres dans une langue incompréhensible. S’ils s’attendait à nous voir obéir, il durent être très déçus. Aucun d’entre nous n’avait la moindre idée des directives à suivre. Une femme armée d’un gigantesque fusil d’assaut s’énerva et hurla à tors et à travers des mots dont nous n’avions pas le sens. Xavier profita du vacarme assourdissant que produisait la répercussion des cris de la jeune femme pour s’approcher de moi et me chuchoter :

-Il faut qu’on parte.

Je pris un moment pour vérifier que nous étions bien à l’abri de la vue des mercenaires, puis lui ait répondu :

-Tu sais comment faire ?

-La porte de derrière. Elle donne dans la rue d’en face. Faut y arriver sans qu’ils nous voient.

Il n’était pas serein, Xavier. Qui pouvait bien l’être ? Nous étions, tous, sans exception, en état de choc absolu. Nous n’avions aucune idée de ce qui allait arriver dans les minutes, les secondes, les instants qui allaient suivre. Nos vies reposaient sur un doigt dans une gâchette.

« Purée, il ne faudrait pas qu’elle aie une crampe, là, maintenant ! »

 

Pourquoi ce sont toujours dans des moments inappropriés que l’humour me vient ?

-On attends un peu, me dit Xavier.

-On attend quoi ? ais-je demandé. Personnellement, je ne voyais pas quel changement il pouvait y avoir entre mourir maintenant ou un peu plus tard. Et puis, quitte à me faire fumer, autant que ça soit rapide.

-Le bon moment, me répondit-il.

 

Cela allait faire au moins dix minutes que nous étions accroupis, le corps paralysé, à écouter des ordres inintelligibles, qu’une cliente du café se leva, l’air révolutionnaire. Je n’étais pas sûre de la reconnaître de ma cachette, mais après un vif coup d’œil, le doute n’était plus possible. C’était la boulangère dont nous parlions quelques minutes plus tôt. Elle sembla exagérément déterminée. Et sûre d’elle, beaucoup trop sûre d’elle pour la situation. Le regard droit, l’allure fière, elle harangua la foule :

-Ne vous en faites pas, ils ne tireront pas sur nous. Ils ont bien trop besoin de nous pour nous tuer. On peut sortir !

Les mercenaires n’en avaient visiblement pas saisi un mot, mais ils comprirent bien vite de quoi il était question lorsque cette femme s’avança résolument vers la porte. Elle était sur le point de la passer.

 

Certains croient que dans un moment pareil, nos pensées se dirigent vers nos enfants, nos parents nos frères, nos sœurs, nos amis, toutes les personnes les plus proches de notre cœur et de notre nom dans l’arbre généalogique. C’est faux. Lorsque vous voyez la mort arriver dans son manteau d’hiver et prendre une âme sous vos yeux, vous ne songez qu’à une chose ; que la mort se retourne et s’en aille sans emporter votre vie avec elle. Tout ce qu’un humain possède de plus égocentrique se déclenche dans votre esprit, aussi vite que l’image de la balle traversant une tête s’imprime dans vos yeux.

Certains poussèrent des cris. D’autres pleurèrent. Les armés laissèrent faire jusqu’à ce que certains se mettent à se lever et courir. Et le véritable massacre commença.

Ma vue se brouilla. Mes sens s’endormirent. J’eus l’impression que ma poitrine s’alourdissait au fur et à mesure que ma tête se vidait. Je n’étais plus rien qu’une main plaquée contre ma bouche, un souffle que je n’arrivais plus à contrôler…

Et la main tremblante d’un homme qui prenait mon bras.

-Il faut partir, me sanglota Xavier. Maintenant.

Je ne pouvais plus ni obéir, ni résister. Je l’ai suivi, mes jambes fonctionnant en pilote automatique pour partir avec lui dans la cuisine.

Les cuisiniers s’étaient sûrement déjà enfuis depuis longtemps, car les lieux étaient déserts. Les casseroles gisaient sur les plaques de gaz, leur contenu, continuant de cuire, prenant une couleur vraiment suspecte. La lumière avait été coupée. Seules les ampoules LED vert fluo indiquant la sortie de secours à l’autre bout de la salle nous éclairait. Aucun repère. Aucun souvenir de cet endroit qui pourrait me permettre de m’enfuir sans bruits. Partir en silence allait être un véritable tour de force. Je me suis agrippée au bras de Xavier si fort qu’il dut me desserrer les doigts un par un pour retrouver sa liberté de mouvement. Il m’a prise par les épaules, fermement, en me chuchotant de mots incompréhensibles. Le stress et l’angoisse à l’idée de me trouver à à peine dix mètres d’une arme chargée me coupait le souffle et me faisait suffoquer. Durant un instant, j’eus peur que ça soit sur le point de recommencer, que je sois à nouveau dans une crise, que mon angoisse allait à nouveau éclater dans ma poitrine, avant de me rappeler que la panique que je ressens à chaque attaque n’est pas rationnelle. En cet instant précis, il y avait une raison à ma peur. Une excellente raison.

Ça n’était tout simplement pas pour maintenant.

 

Mes sens à peu près retrouvés, j’ai entrepris de suivre Xavier, accroupie derrière les plans de travail. La tâche n’était pas aisée. Les bruits de la salle nous revenaient plus distinctement que nous n’en aurions besoin, et la voix de l’assaillante au fusil hurlait à l’assemblée dans sa langue inconnue. Je compris pour la première fois que le mouvement de la marche était d’une complexité déconcertante. Mettre un pied devant l’autre m’a paru soudain étranger à mes habitudes. J’avais l’air d’un bébé qui faisait ses premiers pas!

Nous étions à peine à deux mètres de la porte, hors du champs de vision de toute personne dans la salle (vous sentez la connerie arriver, je le sens). Je croyais la tâche déjà accomplie. J’ai baissé ma garde.

Le bruit résonna dans toute la cuisine.

J’ai regardé la casserole au sol avec une fureur que personne, vivant ou mort, n’avait jamais ressenti pour un ustensile de cuisine. Je l’ai fusillée du regard à un point qu’elle se serait transformée en poêle à marrons si j’étais restée une seconde de plus. Fort heureusement pour ce misérable bout d’inox, je n’avais plus le temps. Les assaillants s’étaient aperçus de notre présence, et s’apprêtaient à débouler dans la cuisine. En une seconde, Xavier avait parcouru l’infime distance qui nous séparait de la sortie, et je l’ai suivi en manquant de glisser sur le carrelage. Nous venions juste de sortir lorsque le son de la voix Ô douce et mélodieuse de la femme au fusil d’assaut nous parvint aux oreilles. Les cours de sports sont inutiles dans des moments pareils. Il ne sert à rien d’avoir un bon cardio, de savoir respirer à point, ou de lever les genoux à chaque foulée. Ne croyez pas que vous courrez comme dans un cross quand des gens armés voudront vous tuer. Dans un instant comme celui-ci, un seul mot d’ordre : « Cours ta vie, cours ta race ». Je ne sais même pas comment j’ai réussi à me glisser dans la ruelle attenante à temps. La seule chose qui m’apparut clairement, ce furent la détonation du fusil et le son mou du choc du corps de Xavier contre le goudron. Voilà. C’était fini.

Je n’ai même pas fait attention à la direction vers laquelle j’allais. Je ne pensais qu’à courir. Fuir cet endroit. Et s’il fallait partir jusqu’en Russie pour être en sécurité, qu’il en soit ainsi, je courrais. Je ne voulais en aucun cas finir comme Xavier. Je ne pouvais pas mourir comme ça.

En faisant en sorte d’éviter les patrouilles, j’ai cavalé jusqu’à arriver toute essoufflée devant un Leclerc gigantesque. Les portes automatiques étaient verrouillées, évidemment, et évidemment, aucune des portes ne s’ouvrait. Un bruit de moteur et une grosse frayeur plus tard, j’étais à l’intérieur, l’interrupteur sur ON, la main en sang, la vitre derrière moi brisée. Le froid de cette nuit de novembre m’engourdissait, sachant que j’avais laissé mon manteau au bar. Sans réfléchir plus longtemps, je m’avançais dans la magasin et me choisit une grosse combinaison en pilou jaune. Avant de l’enfiler, j’ai réalisé qu’une tache humide parcourait le haut de mon jean. Ah, oui, ça, c’est le résultat d’une frayeur pure. Pas très glam, mais tant pis. Je changeais de culotte et enfilais le pyjama directement dessus.

Malgré les lumières allumées, les vêtement sur ma peau et le silence total, j’ai du mal à croire que je suis en sécurité.

Et puis j’avais soif.

 

C’est vrai qu’après avoir couru au moins autant que Forest Gump, j’étais assoiffée à en faire peur à une momie. Une fois d ns les toilettes, je me suis assise sur une cuvette, afin d’essayer de reprendre mon souffle avant d’entreprendre de boire une gorgée. Je ne le trouva pas. Je me forçais à me calmer, me disant que tout était fini, que personne ne pourrait me trouver ici. L’angoisse était trop forte. Toute la peur ressentie durant les quelques heures qui avaient précédé se renouvelaient dans ma tête, telles des papillons piégés dans ma poitrine, cherchant délibérément à s’enfuir en se cognant contre mon cœur.

 

 

J’inspirais

 

 

J’expirais

 

J’inspirais

J’expirais

J’inspirais j’expirais j’inspiraisj’expiraisjexpiraisjinspirait

 

J’inspirais

J’inspirais

J’inspirais

Je n’expirais plus.

 

Trop d’air

 

Overdose

 

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