Auxane commença son travail de serveuse le lendemain matin. Elle allait servir toute la journée mais aurait droit à une pose de 20 minutes vers une heure.
Ce jour là, elle se réveilla tôt. Elle regarda par la fenêtre et vit que le soleil ne s’était pas encore levé. Aucun bruit ne filtrait par le bas de sa porte. Il état trop tôt pour se préparer.
Elle resta donc là, allongée, à contempler les nœuds de bois sur le plancher du plafond. Elle tournait les paroles de Laurelle en boucle dans sa tête.
Une place de libre, une chambre propre… Elle avait beau connaître la gentillesse sincère de Laurelle, elle ne pouvait empêcher un minuscule doute de la tarauder. Elle avait vécu trop de chose pour croire encore au hasard.
Auxane cligna des yeux, et le matin fut là. Elle soupira, se disant qu’elle avait dût se rendormir sans s’en rendre compte. Cette fois, des bruits pointaient leur nez depuis les cuisines. Elle se redressa souplement et se leva.
Le plus rapidement possible, elle se débarbouilla, enfila la robe de serveuse bleue et blanche qui l’attendait, posée sur le dossier de la chaise, noua le large ruban dans son dos. Elle mit plus de temps à se coiffer, ses cheveux rebelles ayant toujours refusés de faire ami-ami avec son peigne.
Elle enfila une paire de ballerine qu’elle avait trouvé sur la chaise et descendit les escalier.
Avant de rebrousser chemin en quatrième vitesse, constatant qu’elle avait oublié sa clé, dans la serrure de sa porte grande ouverte. Elle se maudit intérieurement, elle et sa précipitation.
Elle redescendit plus calmement, mais arriva directement dans le restaurant. Elle aurait préféré se faire plus discrète. Elle se composa un air neutre pour ne pas trancher avec le décor et observa la salle.
Quelques clients sirotaient leur thé ou prenaient leur petit-déjeuner sur les tables du bar. En plein jour, la salle était lumineuse, avec de grandes fenêtres qui donnaient sur la rue. Du côté des cuisines, une porte y donnait accès et un bar servait de point de ravitaillement aux serveuses qui slalomaient entre les tables avec un plateau sur chaque bras, parfois même plus, des assiettes fumantes en équilibre précaire posées dessus. Un léger brouhaha planait au dessus des clients, qui semblaient ici chez eux, calés dans leurs fauteuils, une tasse fumante à la main.
L’une des serveuses, une petite brune à la peau sombre, sortit de la porte des cuisines et la vit. Aussitôt, elle s’approcha d’elle et la jaugea d’un simple cou d’œil, sans commenter, puis lui fit signe de la suivre. Elles traversèrent la grande salle jusqu’aux cuisine, sans un mot.
L’inconnue se présenta.
- Je suis Faustine, c’est moi que Laurelle a chargé t’éduquer. Auxane, c’est ça ?
Cette dernière choisit de ne pas relever le choix du mot "éduquer" et acquiesça.
- Bien ! Alors écoute-moi.
Et elle lui montra tout : comment bien s’adresser les clients, tenir un plateau d’une seule main sans tout faire tomber (Auxane ne cassa que deux verres !), comment slalomer entre les tables serrées. Elle lui indiqua comment bien choisir les clients qu'elle servirait en premier et virer les malotrus ou les ivrognes qui voudraient s'incruster.
- C’est un établissement célèbre, ici, lui avait-elle expliqué, et la Matrone ne tolère pas qu’on puisse y fréquenter de mauvaises personnes. On reçoit des gens de hauts rangs, et la moindre escarmouche serait décisive.
Après lui avoir tout dit, elle lui fourra un plateau dans les bras, se posta derrière le comptoir du bar et croisa les bras. Elle attendait visiblement que son élève prenne l’initiative.
Auxane se dirigea vers une table où un couple âgé venait de s’asseoir. Ils discutaient à voix basse, penchés au dessus de la table.
- Bonjours, demanda-t-elle, souriante. Je vous sers quelque chose ?
- Deux infusions à la menthe, s’il vous plaît.
- Et deux crêpes chaudes.
- Je vous apporte cela tout de suite.
L’adolescente revint vers le bar, prépara elle-même la commande et retourna vers les deux vieillards. Non sans avoir croisé le regard encourageant de Faustine. Ils la remercièrent en souriant avant de porter leur tisane à leurs lèvres d’un même mouvement.
Auxane ne lança pas de conversation. Après leur avoir servi leurs boissons, elle passa à une autre table après avoir capté un signe incitant de Faustine. Elle avait appris à ne pas perdre son temps.
Vers la fin de la journée, elle sentit qu’elle avait grandement besoin de sommeil. À cause de son ancien quotidien, elle était vite fatiguée, plus qu’elle ne l’aurait souhaité. Elle ne dormait jamais assez. Elle jeta un regard vers Laurelle et leurs yeux se croisèrent. La tenancière comprit immédiatement et quitta son comptoir pour marcher vers elle.
– Auxane ? Tu as l’air fatigué, mon chou, tu devrais faire une pause. C’est ton premier jour… Il faut que tu t’habitues. File !
Auxane ne se le fit pas dire deux fois, bien qu’elle n’eut pas tant que ça apprécié le surnom. Elle remercia chaleureusement Faustine qui lui sourit en retour, grimpa les escaliers, ouvrit sa porte. Tout était exactement comme au matin.
Elle ouvrit la fenêtre et inspira une grande bouffée d’air frais, souriante. Elle était heureuse d’avoir sa chambre. Son sourire se crispa au souvenir du matelas miteux qui lui servait de lit lorsqu’elle travaillait à la taverne. Les rats grouillants l’empêchaient alors de dormir, et elle se levait la nuit pour se balader à travers la ville.
Mais la nuit précédente avait été la meilleure depuis de trop nombreuses lunes… Le lit était si confortable qu’elle aurait bien dormi toute la journée si elle ne savait pas ce qui l’attendait si elle flemmardait.
S’extirpant de ses souvenirs, elle retira sa robe de serveuse. Elle avait remarqué pendant la journée que chaque employé de l’auberge portait la même tenue, mais d’une couleur différente. Elle contempla la sienne avec plus d’attention.
Elle était bleue, moulante en haut et légèrement évasée en bas (pas trop, il fallait tout de même pouvoir se faufiler entre les tables), avec un ruban blanc, très large lui, noué en nœud papillon autour de la taille. Elle avait les épaules presque dénudés et ses poignées et le bas de sa robe étaient ourlés de dentelle.
Elle avait toujours préféré les pantalons à ce genre de vêtement qu’elle jugeait peu pratique et inconfortable… mais elle devait admettre que cette robe lui plaisait.
Auxane reposa ladite robe sur le dossier de la chaise. Elle se passa un gant humide sur le visage, la nuque et les avants-bras, puis se sécha. Elle s’assit sur le lit se laissa tomber en arrière. Cinq minutes plus tard, elle dormait, le visage enfoncé dans son oreiller, la couverture remontée jusqu’à ses épaules.
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Son quotidiens ne changea que peu. Elle apprit quelques petites astuces, et put bientôt se débrouiller sans tutelle. Elle discutait régulièrement avec Faustine, avec qui elle s’entendait bien.
Les jours devinrent des semaines, les semaines des mois.
Mais Auxane ne s’ennuyait pas. Elle savait quelle chance elle avait de pouvoir travailler dans un endroit pareil. Elle dormait mieux, apprenait des choses qu’elle avait toujours ignoré sur son pays ou sa ville, se faisait des amis, et elle avait enfin de l’argent pour faire e qu’elle voulait.
Elle cherchait à économiser pour trouver le moyen de voyager. Son grand rêve depuis toujours.
Bref, qu’aurait-il put arriver de mal ?