Collapsologie
étude de l’effondrement de la civilisation
industrielle et de ses suites potentielles
(Wikipédia)
« Il n’y aura plus de voiture en 2040. Il y aura quelques calèches, avec des chevaux, oui. Il n’y aura plus de voiture, il n’y aura plus d’avion. Le mode de transport du futur, c’est le cheval ! »
Yves Cochet, ancien ministre français de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement.
Québec, l'accent d'Amérique
Il ne pleut pas à Sainte-Foy. Depuis deux semaines, le mercure dépasse les vingt degrés. On est à la mi-octobre, ce n’est pas anormal ; du moins, ce ne l’est plus depuis longtemps. De sa fenêtre teintée du cinquième, Étienne suit la forêt de béton qui étend ses ombres dans le brouillard orangé. Le soleil se couche sur son ancienne banlieue. Autrefois, il habitait un bungalow, il se souvient de sa rue dominée de grands arbres, du parc et des enfants qui s’entrainaient à vélo devant la maison. Mais la densification l’a poussée hors de chez lui, on a bâti encore plus de condos, toujours plus hauts. Attaché au quartier, il a choisi d’y rester : il demeure dans la tour qui a écrasé sa vie.
Krrr, krrr, krrr, le AiPin vibre au milieu du salon. Il passe sa main au-dessus de la table basse, un écran fantomatique se déploie, illuminant la pièce de la projection de son fils.
- Salut, ça va ? Tu fais quoi ?
- Salut Pierrot, je suis vraiment content de te voir… tu veux que je fasse quoi ?
- Papa… il va falloir que tu acceptes de te connecter un peu, tu sais…
- Arrête, on en a déjà parlé, je n’ai rien contre la technologie, mais celle-là, elle me fait chier. Tu ne m’as pas appelé pour me convaincre de me ploguer à ce Lifemachin, j’espère ?
- Non… désolé, je ne voulais pas te faire de pression… c’est juste que de te voir comme ça, dans le noir… Je voulais te dire que lundi, il y a une pédago, je pensais…
- Tu aimerais que je garde Gaïa ? Ça me ferait vraiment plaisir, je n’ai rien de prévu lundi… ni le reste de la semaine.
- … Papa, c’est compliqué, je ne peux pas t’amener Gaïa au condo, le foutu Tram est toujours plein ou en retard, je perdrais trop de temps de travail, ça ne vaut pas la peine… et en plus, lundi, l’indice UV est beaucoup trop élevé, même avec son Parasolaire, elle fait des réactions, son corps se couvre de plaques et…
- J’ai compris, ça va… tu vas encore la brancher toute la journée sur cette merde de Lifelog. Pourquoi tu m’appelles alors ?
- J’aimerais lui propulser des souvenirs. Tu sais, ceux avec toi et maman, au chalet, sur le bord du fleuve avec tous ces châteaux de sable.
- Ils sont à toi ces souvenirs mon beau Pierrot…
- Oui, mais je dois avoir ton autorisation puisque tu y apparais… et c’est toi qui gères la mémoire de maman.
- Arrête. C’est tellement pathétique.
- Alors ?
- Eh bien oui, tu peux lui repasser ces anciens souvenirs plutôt que de lui en créer des nouveaux. C’est ça que je ne comprends pas…
- Tu fais chier, c’est toujours compliqué avec toi, bye.
- Pierrot, attends !
La pièce est replongée dans le noir. L’homme aurait souhaité dire à son fils que ces souvenirs sont magnifiques, qu’il sacrifierait tout pour revivre ces moments imprécis, ces moments parfaits, avec lui, son frère… et avec leur mère. L’existence est curieuse, on court après notre queue a trente ans, le temps se contracte et s’écoule à grande vitesse, emportant tout avec lui, et au bout de notre vie, on se retrouve seul, à plat dans la tristesse de ton salon, à fixer des minutes digitalisées défilant sur son mur. Encore une nuit blanche à ressasser le passé.
« Bonjour, le soleil s'est levé à 6 h 59 et va se coucher à 18 h 2. La durée du jour sera de 11 h 03 minutes. La température sur la vieille capitale sera douce et atteindra les 17 °C. L'indice UV demeure élevé. Évitez de sortir sans votre Parasolaire. »
Sur la table de cuisine roulent de frénétiques clips catastrophiques, des publicités ciblées et des vidéos de filles à moitié nues. Ça fait un bout de temps qu’il n’y prête plus attention. Il se serait débarrassé de ce meuble depuis longtemps s’il n’avait pas été vissé au plancher. Pour éviter les images stroboscopiques, il s’est résolu à manger au comptoir. Ce matin, c’est café protéiné et barre de soja : ça va être vite avalé et il devrait tenir jusqu’au souper.
Sa dernière visite à Nancy remonte au mois passé. Il n’y voit plus l’intérêt, mais le visio de son garçon l’a rendu nostalgique. Les souvenirs sont cruels. Surtout lorsque ta femme n’en a aucun. Maudit Alzheimer.
Les années se sont précipitées, le monde s’est transformé à vitesse accélérée. Il se rappelle très bien, autour des années 2020 : Covid-19, emballement des prix, arrivée de l’intelligence artificielle, révolution technologique affirmant stopper la crise climatique. Tellement de fausses promesses.
Il retrouve son vieux t-shirt autonettoyant suspendu à la rambarde du balcon. Mis à part ce cerne récalcitrant et grisâtre autour du col, le vêtement est impeccablement blanc sous le soleil irradiant. Il passe son jeans. À peine enfilé et boutonné, le pantalon se met à vibrer, il a oublié de le brancher. Il devra se priver de son GPS intégré. De toute façon, il ne tient plus sa charge. Il se couvre de sa veste parasoleil thermorégulée qui ne régule plus rien, épingle à sa poche son AiPin aimanté, glisse ses pieds dans ses baskets soi-disant autoajustables, attrape sa casquette défraichie et sort de l’appartement. Derrière lui, la porte se verrouille dans un bruissement électrique.
Avant de contacter l’AutoVAQ, il doit faire un tour au Cybermarché en bas de chez lui.
Comme d’habitude, le magasin est désert. Il se sent si petit dans ce hall, face à cet immense mur d’écrans. Une des cloisons plasmiques tremblote et s’éteint de manière épileptique. Ça doit faire dix ans qu’ils ont retiré l’ensemble des employés pour les remplacer par une série de robots, réduisant l’épicerie à un entrepôt, formule libre-service. Le client n’a qu’à choisir et payer ses produits sur une console, l’équipe cybernétique prépare la commande qui sort d’une trappe, acheminée suremballée par un convoyeur à ruban. Et ils ont l’audace de vous demander votre appréciation du service…
Maintenant, les gens préfèrent acheter en ligne et éviter de mettre le nez dehors. Les emplettes sont livrées à leurs adresses quasi magiquement. Résultat : le Cybermarché est vide et non entretenu.
- Bonjour, s’introduit timidement la femme.
- Ah… bonjour, vous êtes la dame du troisième…
- Exactement, rougit-elle. Je m’appelle Colette. Je ne sais pas pourquoi je m’acharne à venir ici. Je crois que c’est plus long que le service à la maison…
- Question d’habitude j’imagine, moi c’est Étienne. De mon côté, je ne peux pas me convaincre que c’est mieux de rester enfermé à longueur de journée.
- Vous acheter quoi ? Je ne veux pas être indiscrète… c’est juste que j’ai apperçu des fleurs à votre écran… Vous savez qu’ils n’en tiennent plus dans ce Cybermarché ? Vous allez devoir attendre presque une heure pour les recevoir, le drone va traverser ville…
- Je sais. Elles prennent le double de temps à arriver si je les commande ici… Mais elles sont en tissus parfumées immunisées au fanage ;) Je préfère patienter et rêvasser un peu hors de chez moi et je ne suis pas pressé.
- C’est pour une amie ?
- Vous commencez à être indiscrète.
- Désolé.
- Je plaisante, elles sont pour ma blonde… en fait pour ma femme. Elle adorait les fleurs. À présent, les bouquets en polyester s’accumulent dans sa cellule du CHSLD. Elle n’a malheureusement pas plus de conscience qu’une plante verte. Bon… vous allez me faire pleurer, je ne voulais pas vous embêter avec mes histoires.
- Non, vous ne m’embêtez pas. Merci de m’avoir partagé votre tristesse, c’est tellement rare de nos jours les rencontres fortuites… Si un de ces quatre vous avez besoin de parler… vous n’avez qu’à passer à l’appartement pour prendre un café… c’est le 32… Tout de suite à gauche de l’ascenseur…
- Merci pour la proposition… désolé, je n’ai pas la mémoire des noms.
- Colette.
- Bonne journée alors, Colette.
L’AutoVAQ : le service inefficace de voitures autonome de la ville de Québec. En 2035, dans le cadre du programme de lutte pour la préservation de l’énergie, les gouvernements occidentaux imposent une taxe aux véhicules personnels. Les automobiles étant déjà hors de prix, il a bien fallu offrir des solutions de transport collectif plus performant. Des flottes de bagnoles pilotées automatiquement sont apparues dans la plupart des villes. Une inscription annuelle, un paiement mensuel et voilà, vous avez accès à un service de pseudotaxis sur demande pour vous déplacer où vous le souhaitez.
La voiture qui s’arrête en bas de l’immeuble a la portière gauche arrachée. Étienne s’assoit derrière le terminal tagué d’un graffiti vulgaire. Il est accueilli par une IA à la voix grinçante :
- Bonjour monsieur ioux, veuillez confirmer votre identité et votre destination s’il vous plait.
- Étienne RIOUX, pour le CHSLD Bonne Entente.
- Je ne trouve pas « CHSLD Bonne Attente dans mon système »
- Bonne Entente, pas Bonne Attente, même l’IA de mon frigo est plus efficace que toi, merde, consulte ton historique. Ce n’est pas compliqué il me semble, les IPhones d’il y a vingt-cinq ans avaient des systèmes de reconnaissance vocale plus performants…
- CHSLD Bonne Entente trouvé. Arrivée prévue dans dix-huit minutes.
La ville a changé en trente ans, les immeubles ont proliféré, le trafic s’est ordonné ; un peu comme une fourmilière aux ouvrières disciplinées par une intelligence collective. Il y a quelques marcheurs, parasol photovoltaïque déployé, qui attendent le bus ou qui promènent leur chien probablement synthétique, mais la plupart des citoyens et des travailleurs ne sortent plus. Même les touristes se sont tirés, découragés par l’inflation des billets d’avion, la crise européenne, la guerre civile américaine, les nombreuses tempêtes solaires qui menacent les pays nordiques et les inondations annuelles qui dévastent le Vieux-Québec.
- Destination atteinte, merci d’avoir roulé avec l’AutoVAQ Pepsi Cola. Avez-vous un commentaire ou une remarque constructive sur votre expérience ?
- Oui, la portière gauche est manquante, le siège avant est calciné en partie et votre système d’écoute est défectueux, veuillez le noter svp.
- Bien noté. Passez une bonne journée Monsieur ioux.
- C’est RIOUX !
À l’accueil, derrière un comptoir en inox de style laboratoire, une auxiliaire en blouse d’hôpital consulte son écran.
- Vous m’avez dit madame Beauregard ?
- Exactement, cellule 28, confirme Étienne.
- Habitat 28, sourit la dame poliment ; nos pensionnaires ne sont pas des prisonniers.
- Madame, ça fait cinq ans que ma femme est placée ici… Je lui rends visite pratiquement chaque semaine, pourquoi vous ne la trouvez pas dans votre système ? s’impatiente-t-il.
- Pardonnez-moi, monsieur Rioux, l’application ne fonctionne pas… Je n’arrive pas à me connecter sur la plateforme… Mais je vous reconnais, l’équipe médicale vous a surnommé Monsieur Bouquet. Je vais vous conduire à l’habitat 28, veuillez signer ici s’il vous plait.
- Merci Madame… Farouk, Lui répond Étienne en consultant le badge de l’infirmière.
À travers le hublot, il observe le petit bout de femme recroquevillé, branché à une panoplie de tubulures acheminant les fluides essentiels à sa survie. Dans ce CHSLD aux allures de lavomat, les patients sont disposés dans des habitats miniatures, superposés sur trois étages. Elle ne souhaitait aucune forme d’acharnement thérapeutique, le système de santé a évalué qu’elle avait les réflexes nécessaires pour se nourrir seule. Ils ont fini par la classer dans un casier géant contrôlé par une équipe médicale virtuelle. C’est ça le progrès.
- Vous désirez que je vous ouvre ? Demande la préposée.
- J’aimerais bien. C’était la femme de ma vie. J’ai l’impression de l’avoir trahie.
- Vous savez, elle ne souffre pas, elle rêve doucement, peut-être à vous.
- Peu importe.
L’auxiliaire déclenche la poignée, le portail vitré se dépressurise en sifflant ; un parfum de fausses fleurs et de médicaments s’échappe de l’entrebâillement.
- Vous avez quinze minutes.
Elle a la main satinée et froide, son visage est détendu. L’Alzheimer est une maladie impitoyable, à son stade avancé, ce sont souvent les proches qui en souffrent le plus. Un ensemble de hautparleurs émet une musique insignifiante d’ascenseur.
- Je t’ai apporté des fleurs… tu sais, celles qui ont l’air véritables et qui sentent le muguet. L’avantage avec ces fleurs synthétique, c’est que tu n’as pas besoin de les arroser. En plus, elles sont recyclées, reparfumées, revendues… Tu sais quoi ? Hier soir Pierrot m’a appelé. Il semblait aller bien, je n’ai pas vraiment eu le temps de prendre de ses nouvelles. Tu l’aurais trouvé blanc, je crois. Il ne doit pas sortir souvent… Tu as encore maigri ma belle, tu vas devoir manger un peu plus… je vais te demander une double ration de soluté, tu vas adorer. C’est quoi cette musique qu’ils te font écouter ? Je m’absente deux semaines et ils te diffusent cette merde ? Je vais rectifier ça avec la préposée… Donc du Brassens, Bob Marley, Pink Floyd et un peu de salsa brésilienne… Tu ne peux pas savoir comme j’aimerais que tu me répondes. C’est fou à quel point tu me manques… Ce matin, je pense que je me suis fait draguer… Par une fille pas trop mal, fin soixantaine… Mais non, ne t’inquiète pas, je peux regarder le menu sans y gouter… Je ne sais pas quand je vais repasser, probablement la semaine prochaine… mardi ou mercredi. Je t’aime ma petite plante verte…
***
C’est la troisième fois ce mois-ci que le chantier est suspendu. Le contremaitre en colère traverse le terrain vers l’ossature de poutrelles s’élevant au-dessus de la cour. Sous la structure d’acier, moniteur en main, il relie son appareil à un grand tube de céramique et confirme ses soupçons. C’est encore le répartiteur qui est en panne ; ses circuits sont à nouveau grillés. Tout un essaim automatisé en arrêt forcé, ça va couter cher à la compagnie… Ba, ils vont refiler la facture au client.
- CyberCat ; Buenos dias, hi, bonjour, répond le réceptionniste virtuel.
- Bonjour, ici Frederick Nelson de TechnoConst. C’est votre répartiteur qui a encore flanché. J’ai besoin que vous régliez le problème en urgence. Cette fois, envoyez-moi un « humain », pas un de vos robots de diagnostic.
- Votre signature vocale a bien été établie, nous vous affectons un expert immédiatement : Tek998 Rioux.
À bord du vélocoptère, le technicien analyse le dossier de son client. Un cas classique. Pour sauver des milliers de dollars, la corporation coupe sur tout. À commencer par le personnel syndiqué. Les administrateurs s’imaginent, en remplaçant les ouvriers par des machines, qu’ils vont pouvoir faire rouler leur business vingt-quatre heures sur vingt-quatre et engranger un maximum de profit. Les systèmes robotisés nécessitent une quantité astronomique d’énergie. Le jour, les panneaux solaires alimentent l’insatiable bête mécanique, mais le rayonnement ultraviolet s’attaque aux fragiles circuits, même aux mieux isolés. La nuit, les batteries ne suffisent pas et le chantier est soutenu par la précieuse et couteuse hydroélectricité. On ne s’en sort pas et c’est de moins en moins rentable.
L’engin se stabilise pour se poser. Des dizaines de voyants se mettent à clignoter, la cabine s’éclaire de rouge un bref instant, puis plus rien. Le drone chute de deux mètres, inerte comme un insecte mort. À l’intérieur, l’employé s’accroche à sa ceinture de sécurité en croyant ses derniers jours venus.
- Vous allez bien ? Questionne le contremaitre qui accourt.
- Tabarnak, c’est la dernière fois que je monte à bord d’une de ces merdes volantes ! Ça l’aurait pu m’arriver à dix mètres ou plus même. La semaine passée, un agent de la compagnie s’est écrasé en Ontario… Erreur humaine qu’ils ont dite, humaine mon cul… J’en tremble encore, observe le technicien en fixant sa main.
- Monsieur 998 ?
- S’il vous plait, appelez-moi P-O. Je suis désolé pour l’atterrissage fracassant. Pouvez-vous m’amener à votre répartiteur ? J’ai lu dans le rapport que vous l’avez changé il y a à peine un mois et que l’entreprise vous a suggéré de doubler l’isolation ?
- Oui, le trouble c’est qu’en étant plus épaisse, l’isolation brouille les communications avec la chaine de montage, avoue le contremaitre.
- Entre vous et moi, de bons vieux humains n’auraient pas ce problème.
- L’ennui, ce sont les assurances. Elles ne veulent plus payer les indemnités reliées à l’épidémie de cancers de la peau, les ouvriers ne peuvent plus travailler à l’extérieur. Nous avons une équipe qui prendra la relève dès que la charpente sera achevée… Si nous revenions au répartiteur ?
Le technicien glisse sa clé magnétique entre deux segments de la colonne d’isolement, aussitôt un tiroir expose les circuits du répartiteur robotique. L’homme se gratte le menton, passe son poignet à son sourcil.
- Quelque chose ne va pas demande le maitre de chantier ?
- Non, tout va bien, répond P-O.
- Alors qu’elle est le problème ?
- C’est ça l’affaire, la panne ne vient pas de votre répartiteur… Ça vient de plus haut.
- Plus haut ?
- Ça vient des Starlink, affirme P-O.
- Les satellites ?
- Oui. Ça fait une coupe de jours que nous remarquons que la fréquence des interruptions a augmentée. C’est probablement la raison de mon crash de tout à l’heure. Ce qui m’embête, c’est que ces dispositifs autonomes sont supposés pourvoir œuvrer même lorsque les communications sont rompues. Nous entrons dans une période de tempête solaire…
- Bordel, on n’a pas besoin de ça en plus. Vous imaginez une panne généralisée ? Comme celle de 1989 ou celle de 2034 ? Les gens ne pourraient plus se déplacer, s’éclairer ou pire encore, se nourrir !
- Selon moi, votre système devrait être rétabli dans la prochaine heure.
À ce moment précis, la tourelle émet un bourdonnement sourd et son cœur bleu s’embrase, puis toute la cohorte mécanisée s’anime. Derrière, les hélices du vélocoptère sifflent en reprenant vie.
- Qu’est-ce que je vous disais, ajoute P-O fier de sa prédiction.
- Est-ce que ça risque de se reproduire ? Demande le contremaitre.
- Qui peut savoir ? Mais moi je rentre à pied. Veuillez signer vocalement s’il vous plait en précisant votre nom, votre poste et votre entreprise. Dites travail approuvé.
- Frederick Nelson, contremaitre, TechnoConst. Travail approuvé.
- Merci, M. Nelson, soyez prévoyant… Ce genre de panne peut foutre le merdier et pas seulement dans votre chantier. Passez une bonne journée.
La toile de son Parasolaire renversée par-dessus la tête, P-O remonte la rue, angoissé ; un bouchon de circulation monstre paralyse la ville, la foule d’usagés contraints de rentrer à pied se déverse parmi les voitures immobilisées. Le retour de l’électricité ne semble pas avoir diminué les tensions. Rapidement, la station de tram déborde, un colosse enragé par la situation s’acharne à coup de pied sur l’abri vitré, un autre incite à l’insurrection en agitant une barre de fer.
Ces derniers temps, les émeutes sont fréquentes et dégénèrent vite. La canicule de l’été passé a engendré trois mois de soulèvement. Les conséquences furent désastreuses : Juste à Québec, près de deux mille personnes ont perdu la vie, suffocant sous la chaleur insoutenable ou piétiné par les androïdes démilitarisés que s’est procuré la métropole. Le fragile fil de l’ordre public est tendu à l’extrême et menace de se rompre à tout moment. Et si l’effondrement de la ville était imminent ? La moitié des grandes cités européennes et américaines se sont déjà écroulées à la suite de pénuries ingérables. Cette panne… si elle présageait un évènement beaucoup plus long et généralisé ? Ce serait apocalyptique, il préfère ne pas y penser.
Devant l’école, des parents, rassemblés pour récupérer leurs petits trésors, gesticulent et critiquent l’agente de direction. Celle-ci tente de calmer les humeurs maladroitement.
- Trois heures sans supervision, enfermés dans une salle de classe ? Pourquoi n’avez-vous pas dépêché un surveillant ? Fustige une mère sur le bord de la crise de nerfs.
- Je vous assure que tout a été fait pour garantir la sécurité de vos enfants, mais l’accès aux installations nous était impossible, argumente l’employée scolaire. Le bâtiment était celé de l’intérieur et…
- Célé ? Pauvres enfants ! On paye une fortune pour envoyer nos petits à cette école privée, vous nous aviez promis une présence humaine et bienveillante, lui répond un autre parent.
- Hum, un SERVICE humain et bienveillant, rectifie l’employée bousculée par la harde parentale.
Assise sur le bord du trottoir, une fillette attend à l’écart des chicanes. P-O s’accroupit près d’elle, l’entour d’un bras rassurant, dépose un baisé cajoleur à la frontière de son cou et de son oreille.
- Ça va ma crevette ? Tu as passé une bonne journée ? Questionne le papa.
- On a manqué d’électricité cet après-midi… Ce n’était pas comme d’habitude… cette fois tout était silencieux et on était pris dans l’école… c’était vraiment cool ! Raconte Gaïa.
- Cool ? Tu n’as pas eu peur ? Et tes amis ?
- Personne n’a eu peur, il n’y avait pas de surveillance… Les gars ont pissé dans le fond de la classe, Mélie-Jade et moi, on a fait pipi dans des pots.
- Ah, ça, c’est une super activité… J’imagine que c’est congé de devoirs ce soir. Tu aimerais que l’on soupe devant le Visio ? Tu pourrais regarder un vieux film collé sur moi ? Propose P-O.
- Youpi! Je vais pouvoir me coucher après neuf heures ?
- Seulement si tu me promets d’aller rapidement au lit.
Son AiPin cligne depuis un moment. P-O ouvre la main, l’appareil projette son message dans sa paume tendue : Avis d’affectation urgente, durée indéterminée. Zut… une autre soirée père-fille volée par le travail.
•••
Nicolas rêvasse devant son carré d’algue… ça ou un bout de caoutchouc, il ne voit pas la différence. Lorsqu’il était enfant, il adorait manger : le fromage, la saucisse, les bavettes sur le BBQ. Le souvenir des soupers familiaux, la complicité de ses parents et les fous rires avec son frère sont cryptés dans ses neurones gustatifs. Ces galettes gluantes qu’il avale depuis cinq ans vont finir par lui faire tout oublier ; heureusement qu’il lui reste son repas hebdomadaire avec son père.
Sur son mur, la projection en continu de vidéos vacille, la lumière baisse et oscille ; tout le système électrique de l’appartement lâche subitement. La génératrice du HLM se met en marche, l’éclairage tourne au rouge dramatique. Nicolas vérifie son AiPin : il est hors service lui aussi. L’interruption est généralisée. Il avale en une bouchée son repas, cours récupérer ses outils toujours prêts dans l’entrée, sa lampe portative et enfile son dossard luminescent.
Il est sans emplois, comme la plupart des gens, subsistant grâce au maigre salaire universel canadien. Mais il a eu la chance d’être nommé responsable de la sécurité du HLM par le conseil d’administration, recevant en prime quelques Dollars unifiés lorsqu’il est en devoir.
Des locataires désemparés déambulent déjà dans le corridor.
- Ce n’est pas un exercice. Descendez calmement dans la salle multifonction par les escaliers, ordonne Nicolas.
- Vous croyez que ça va durer longtemps ? Demande un homme inquiet.
- J’ne pense pas, mais pour le moment, on doit suivre les règles. Barrez le mur vitré, ne laissez entrer que les résidents du bloc, rappelle Nicolas.
- Vous ne venez pas avec nous ?
- J’dois m’assurer que madame Dion-Lessard-Chardonnay se porte bien et je vous rejoins.
Toc, toc, toc, Marie ? Tu vas bien ? L’absence de réponse est intenable. L’appartement est verrouillé ; évidemment, la clé passepartout qu’on lui a fournie ne fonctionne pas, il va devoir forcer l’entrée. Il s’élance et plaque ses cent dix kilos contre le portail qui cède au deuxième coup d’épaule. Il ballait l’intérieur de sa lampe et se laisse guider par le souffle bruyant du respirateur artificiel. La femme est assise sur son lit, étouffée par les pleurs et la peur, hyperventilant de terreur.
- Marie, j’suis là, calme-toi, tu dois prendre le temps de respirer !
- Nic… Nico… Nicolaaas… échappe Marie.
- Laisse-moi regarder si ton appareil marche bien. J’vois, la batterie de secours a mis un moment à s’activer… t’as manqué d’air… tout va bien maintenant, j’reste près de toi, ajoute l’homme en repositionnant le dispositif sur les joues de la patiente.
La femme se redresse, l’anxiété tombe, elle ébauche un sourire à son sauveur.
- Ça va mieux ? demande-t-il.
- Oui, je… je… suis désolé, j’ai paniqué, avoue Marie
- Doucement, c’est normal, ça m’arrive tout le temps. Imagine si j’étais pris avec une machine pour respirer.
- Cette fois… je croyais… que c’était la fin.
- Ta batterie est chargée au max, t’as environ dix-huit heures d’autonomie et l’énergie solaire va faire le reste du travail. Mais le courant va être rétabli rapidement… au pire, si c’est une panne majeure, j’te cherche une autre pile, encourage Nicolas.
- Ça ne sera pas néces… nécessaire. Tu es gentil… toujours là quand il le faut.
- C’est normal, tu es mon amie…
Il l’aime. Elle le sait. Les temps durs ont éteint sa volonté de s’attacher, elle refuse d’être un fardeau : un ballon baudruche dégonflé, ça n’apporte de joie à personne. Elle avait pourtant été si heureuse, sa bonne humeur était contagieuse. La crise énergétique a tout emporté avec elle, sa famille, ses amis et son bonheur aussi. Elle admire la simplicité de ce géant atypique. Comment fait-il pour être si résilient ? Même si elle se doute qu’il n’est pas un génie, elle trouve son dévouement prodigieux. C’est le gars de la situation en 2045, l’homme qu’elle choisirait pour la vie… s’il elle en avait une.
- Tu crois pouvoir descendre avec les autres ? J’vais transporter ton appareil, propose-t-il.
- Oui, si nous marchons lentement.
- Ne t’inquiète pas, j’te porterai s’il le faut.
Derrière la baie vitrée anti-intrusion, la vingtaine de résidents attend tétanisée par la nervosité. Les exercices mensuels n’auront pas été inutiles, chacun a assimilé son rôle, le protocole est précis. Première étape, le CEPI : contrôle extérieur, personnel et intérieur. Le bâtiment a été barricadé, les locataires se sont enfermés dans la pièce de survie avec un ordre exemplaire. À présent, il faut patienter. En apercevant le gardien de sécurité raccompagnant Marie, les cœurs se délestent de leur stress, le silence oppressant éclate en dizaines de piaillements ravivés. Un homme laisse entrer le couple et les accueille avec soulagement.
- Monsieur Nicolas, madame Dion-Lessard ! Nous commencions à nous faire du souci. Tout a été fait selon les règles.
- Parfait, pour l’instant, on demeure ici le temps que cette panne passe, indique Nicolas.
- Et si elle ne finie jamais ? Rapplique une femme. J’ai dû quitter la France il y a sept ans parce que plus rien ne tenait… j’ai connu le chaos, les massacres et les morts s’accumulant dans les rues…
- C’est à cause des importés comme vous si notre pays va mal. On n’en a rien à foutre de vos pleurnichages de merde, répond un homme en colère.
- Je n’ai pas volé ma place, monsieur, je l’ai acheté ! J’ai donné ma fortune au Canada pour me retrouver dans un HLM délabré. Ils m’avaient promis que je pourrais faire venir ma famille, du coup, les traites ont fermé les frontières quelques semaines après mon arrivée, ajoute la femme avec émotion.
- C’est bien fait !
- Ça suffit ! s’époumone Marie. Nous… Nous sommes tous des réfugiés… que ça fasse cinquante ans, sept ans ou maintenant. Nous… sommes… tous dans la même galère.
- Marie à raison, soutient Nicolas, calmez-vous ou sortez ! J’sais pas combien de temps tout ça va durer. Nous avons des provisions d’eau et de nourritures pour tenir un mois, peut-être deux. De l’énergie solaire, des batteries de secours… Ce HLM est conçu selon les normes survivalistes iso2035. Nous devons juste nous entendre… ça ne fait même pas une heure que le courant a manqué et vous vous disputez déjà ?
- Si je me souviens bien, les denrées ne seront accessibles que dans 24 h ? questionne un autre locataire. Je suis diabétique, je crains de faire une crise de glycémie avant la fin de la journée… je n’ai rien avalé ce matin.
- Vous croyez que je n’y ai pas pensé ? lui répond Nicolas en ouvrant son sac d’outils. Au menu ce midi, barre de protéines pour chacun de vous… Ça sera un repas génial !
Les visages s’illuminent en apercevant la boite de gaufrettes. Ce n’est pas aujourd’hui qu’ils mourront de faim. Les rires jaillissent, les plateaux de jeux antiques se déploient. Les uns s’exclament devant le classique scrabble, les autres s’étonnent de trouver un vieux Carcassonne décoloré édition 2001, tous sont nostalgiques de l’époque lointaine où l’on savait s’amuser avec des bouts de cartons et des pions de bois. À peine leur deuxième partie entamée que l’éclat vif des DEL et le rassurant ronronnement de la ventilation signalent le retour du courant.
- Nicolas, tu peux… me conduire à ma chambre ? Demande Marie
- Bien sûr, tu ne veux pas jouer avec les autres ?
- Non, tout ce bruit me fatigue… et toi, tu ne joues pas ?
- Les jeux et les règlements m’étourdissent… J’ai suivi assez de consignes pour aujourd’hui ! Plaisante Nicolas.
•••
Devant le Pasta la vista s’étire une rangée de clients, gamelle à la main, abritée sous des bâches thermiques. Le dernier restaurant du quartier attire chaque jour des centaines de fidèles addictes à la cuisine minimaliste du chef. Un éclat de verre en forme de soleil balafre la vitrine de la cambuse. Quel barbare peut oser s’attaquer à cette institution culinaire ? Se demande Étienne en dépassant la queue.
- Monsieur Rioux, votre table est prête, accueille le propriétaire au visage lunaire.
- Merci John O. Votre vitrine a été vandalisée ?
- Oui, hier durant la panne… heureusement la fenêtre a tenu.
- C’est dégueulasse, l’interruption n’a duré que trois heures… nous sommes assis sur une véritable bombe à retardement.
- En attendant l’explosion, vous aimeriez un thé ? offre John O.
- Avec plaisir.
Le commerce propose de simples pâtes aux œufs noyées dans un bouillon au fumet enivrant ; la place déborde. Flanqué de son Meca Cuisinier, le tenancier coupe, frit, verse et sert à la chaine les soupes pour emporter. Le thé, les œufs, la farine de riz, l’huile de soja, le condensé de poisson, les épices : ces ingrédients rares font gonfler la facture, seuls quelques privilégiés peuvent encore se les payer. Un bras motorisé dépose la tasse fumante devant Étienne qui le remercie par habitude. Son garçon ne devrait plus tarder, il cherche une tête dépassant la foule, une bousculade annonciatrice de fils ou une main dressée signalant son arrivée. Un trio bruyant perce l’encombrement humain : c’est Nicolas, accompagné de P-O et de Gaïa. Le papa se lève ému de voir toute sa famille réunie.
- Regarde qui j’ai trouvé attendant dans le rang, déclare Nicolas.
- Gaïa ! Tu as réussi à faire sortir ton père de sa caverne… vient ici que je te serre fort, tu es encore plus grande que la dernière fois, c’est fou… ça fait presque un an.
- Bonjour, papa, ose P-O, je suis désolé de me pointer sans t’avertir… Dieu merci tu as poursuivi la tradition avec Nico…
- Ne sois pas désolé, je suis tellement content de vous voir, aller, dans mes bras mon beau.
- Papa, je ne peux pas rester…
- Quoi, tu as surement le temps pour un thé ?
- Je suis en service toute la fin de semaine, peut-être plus… tu peux garder Gaïa ? J’ai un sac avec tous ses effets personnels… sent toi alaise de dire non, risque P-O.
- C’est à cause de la tempête solaire d’hier après-midi ? Demande Nicolas
- Ça n’augure pas bien. J’ai reçu des ordres inhabituels. Je ne veux pas être alarmiste, mais je crois que vous devez vous préparer à un blackout de plusieurs semaines…
- Hein ? Tu es sérieux ? Je peux m’occuper de la petite sans problème… mais tu es conscient que notre système ne résistera pas à un choc pareil ? Questionne Étienne.
- Pourquoi ils n’en parlent pas sur le Visio ? Doute Nicolas.
- Pour éviter la panique, je pense. Je dois partir maintenant, soyez prudent. Vient ici ma crevette, tu sais que je t’aime à la folie ? Grand-Papa va prendre soin de toi un moment.
- P-O, je t’aime, ajoute Nicolas
- Moi aussi… salut papa, je te contacte ce soir, ajoute P-O.
Les bouillons ont enfin été servis. Étienne s’efforce de communiquer avec la petite hypnotisée par son AiPin. Il ne peut pas rivaliser avec le dessin animé survolter qui roule en boucle sur la table : une espèce de cochon-chat avalant des sphères rebondissantes au rythme d’une musique psychédélique. Gaïa se tord de rire alors que son grand-père tente de saisir la subtilité de ce programme lobotomisant. Depuis des générations, on se dresse contre les nouvelles technologies bouffeuses de cerveaux afin de protéger les enfants : Les parents de 1995 se sont battus contre la dépendance à la télévision, ceux de 2025 contre internet et les tablettes, en 2055 ils affrontent le terrifiant AiPin : Cet appareil de boutonnière personnalisé est le copilote indispensable de votre quotidien. Une intelligence artificielle à l’affut de vos besoins, activée par le mouvement de votre main, projetant son contenu sur la surface de votre choix. Traduction simultanée, accès à un savoir illimité et divertissement spontané. Étienne baisse les bras, cette fois, le combat est foutu.
- Ça ne va pas Nico ? questionne-t-il, inquiet pour son fils qui n’a pas touché à son repas.
- C’est Pierrot, il m’énerve vraiment… à chaque fois qu’on se voit, il passe en un coup de vent. Aujourd’hui, il te largue Gaïa avec un sac d’une tonne, en nous lançant en pleine face son histoire de panne majeure.
- Son travail est prenant…
- Je m’en fous de son job ! Tu l’excuses toujours ! Voilà, tu es pogné avec sa fille… supposons que ça tourne mal ? Se fâche Nicolas.
- Je serai là pour elle… et pour toi, c’est à ça qu’elles servent les familles, non ?
- J’sais pas. Parfois, j’ai l’impression de ne pas appartenir au clan. En tout cas, s’il y a un problème, j’ferai certainement pas partie des priorités, ajoute Nicolas.
- Franchement… Tu sais bien que P-O est occupé, moi je pense en fait que tu t’inquiètes pour ton frère…
- Papa, si la panne dure plusieurs mois, on va être séparés dans nos tours. Ça va devenir comme des prisons… J’sais même pas si les habitants de mon HLM pourront survivre une semaine… j’ai peur, avoue-t-il.
- Moi aussi. Et si tu venais t’installer chez-moi ? Propose Étienne.
- Dans ton microappartement ? Avec Gaïa en plus ? Voyons donc. Ça m’étonnerait, de toute façon, que les règles de ton condo permettent de loger un adulte supplémentaire, renchéri Nicolas.
- On s’en crisse des règlements, tu peux être certain qu’il n’y en aura plus une qui va tenir après cinq jours d’interruption du système.
- J’ai une responsabilité au HLM. J’dois m’assurer de la sécurité des locataires, déclare Nicolas. Toi ? Tu as pensé à maman ?
Depuis hier, Étienne ne pense qu’à elle, il imagine sa femme, noyée dans les solutés, mourante déconnectée, déchargée comme un simple appareil ménagé. L’image est insupportable. Mais c’est ce qu’elle souhaiterait : qu’on la laisse partir, qu’on la libère de ce corps hors d’usage.
- Je ne sais pas ce que je vais faire avec elle, admet Étienne.
- Tu l’abandonnerais là-bas ?
- Qu’est-ce que je pourrais faire d’autre ?
- J’sais pas moi, la sortir de son CHSLD, la ramener chez toi, dans ta tour d’ivoire, la nourrir, lui donner à boire ciboire ! C’est à cause de sa pension si tu vis là.
- Nico…
- Crime papa, elle aurait tout fait pour toi, elle aurait défoncé la porte du CHSLD à coup de batte de baseball, aurait pété la gueule des gardiens de sécurités et t’aurait enlevé sur son dos s’il avait fallu… et toi tu la laisserais tomber comme ça. Toi aussi tu commences à m’énerver, lance Nicolas en se levant.
- Zut, reste avec moi s’il te plait, prend le temps de finir ta soupe au moins…
- Je n’ai plus faim ! Salut Gaïa, conclut-il en repoussant sa chaise avec fracas.
La fillette ignore son oncle en rigolant bêtement : le performant AiPin a réagi à la colère de Nicolas, il a doublé la vitesse des images et augmenté le volume pour captiver son utilisatrice. Autour, les publicités ciblées s’activent pour calmer la masse de clients attendant leur repas. Les notifications se déchainent, séance de yoga gratuite, consultation avec un psy numérique, nouvelle saveur de pilule bonheur ; directement projeté dans la paume des usagers. C’est ridicule pense Étienne, la ville est sur le point de s’effondrer et ils sont tous suspendus à leur vie par une intelligence artificielle.
- Gaïa ? Gaïa ? Lâche ça, il est temps de rentrer.
- Juste une dernière émission…
- Non, ça fait déjà quarante minutes que tu es là-dessus, j’en peu plus d’entendre cette ritournelle débile. Lâche ça… tu m’écoutes ?
Devant l’impassibilité de sa petite-fille, le grand-père perd patience et lui arrache son AiPin. Alerte générale. Aussitôt les appareils environnants émettent une sirène stridente, Gaïa hurle comme si on lui avait coupé un bras, les regards se dressent vers le maltraiteur d’enfant ; rouge de honte, Étienne se fraye un chemin vers la sortie, la pleurnicheuse sous le coude et le sac sur l’épaule.
La crisette s’est dissipée, la fillette trottine d’un pas léger en tenant la main de son grand-père. Ce qu’il y a de bien avec Gaïa, c’est sa capacité à s’émerveiller : les craques de trottoir sont des falaises à sauter, les façades vitrées des miroirs pour grimacer. Son bonheur innocent prend source dans le présent, le malheur qui torture son papi est alimenté de nostalgie et de la peur de perdre ceux qu’il aime.
- Alors, tu me montres ce qu’il y a dans ton sac ? Propose Étienne à peine rentré à l’appartement.
- J’ai mes souliers roses, ma robe à pois et un pantalon… zut, lui je l’haïs, il est trop petit. Y’a ma brosse et du démêlant à cheveux et… encore des vêtements… ah oui ça c’est Mr. Blue, mon toutou…
- Qu’est-ce qu’il y a dans cette boite de plastique ? Demande Étienne.
- C’est mon Lifelog. Papa a mis les tubes d’Actimints dans la pochette de côté.
La poche contient trois éprouvettes pleines de gélules à la substance visqueuse et ambrée. L’Actimint : couplé au Lifelog, le puissant neurostimulant active la mémoire, ravive les souvenirs. On se créer un compte utilisateur, on s’installe confortablement casque neuronal bien ajusté et on avale un comprimé. Facebook, YouTube, WhatsApp, Instagram, TikTok, X. Les vies numériques de milliards d’usagés suralimentent depuis des décennies le dispositif qui vous projette chimiquement dans un passé imaginé ou dans un univers parallèle. Certains clients se dérobent à la réalité durant des jours, allant même jusqu’à en crever déshydratés. La substance controversée a été surnommée la Mordorée après une épidémie de suicides par rêvasseries. On a tenté de l’interdire, on a réglementé et on a fini par admettre son efficacité antidépressive. Maintenant, on l’administre sans remords aux enfants.
- Bon, tu ne vas pas avoir besoin de ces trucs… nous allons passer du temps ensemble, je ne te brancherai certainement pas à ton Lifelog.
- Papa me donne une Actimint avant de me coucher. Il m’a dit que je devais absolument en prendre une pour dormir, informe Gaïa.
- Évidemment, comme ça il s’assure de ne pas être dérangé. Écoute-moi bien Gaïa, ces pilules-là, c’est pour les adultes qui préfèrent fuir plutôt que de confronter la réalité et de réfléchir… Pas pour une enfant de sept ans.
- J’ai huit ans ! rouspète la fillette.
- Mais que tu es grande ! Presque aussi vieille que moi ;) Je vais t’installer dans la chambre, ça te va ? Moi je vais dormir sur le canapé du salon.
- Je ne veux pas dormir, je veux voir mon père… réclame Gaïa.
- Ton papa a beaucoup de travail, tu dois te contenter de ton fatigant de grand-père.
- Alors je veux mon Lifelog… ou bien jouer avec mon AiPin.
- Bon, princesse J’veux-ci, J’veux-ça, je peux te lire une histoire, j’ai de vieux livres de pirates… Dernière offre, sinon c’est dodo illico.
Après deux récits, un verre d’eau et un bisou, elle a fini par s’endormir ; il a toujours eu le tour avec les marmots. Autrefois, il était un bon papa… mais tout ça parait si loin. Il peine à se souvenir de cette époque vanillée, un enfant blotti contre lui ou agrippé à ses épaules. Il y a une heure, avec Gaïa, en tournant les pages de son livre, il a remarqué ses petits doigts tordus, en lui embrassant le front, il a aperçu sa rosette ; une véritable copie de Pierrot. D’ailleurs, il n’a pas appelé ce soir. Il sent l’angoisse monter. L’angoisse… un autre fléau du 21e siècle. Comment peut-on survivre à un monde qui s’écroule sans se débrancher la cervelle ?
Hiiiiiii ! Cri Gaïa subitement. Étienne, somnolant, rebondit à côté du canapé entrainant avec lui le tuyau de son CPAP et tout son appareillage qui traverse le salon. Gaïa ? Il la retrouve redressée dans les couvertes, le corps tremblant et en sueur.
- Ça ne va pas, tu as fait un mauvais rêve ? s’inquiète Étienne.
- J’ai… j’ai rêvé que ma robe était en feu et que je fondais, sanglote Gaïa dans un torrent de morves et de larmes.
- Tu fondais… comme une chandelle ?
- Oui, répond la fillette.
- C’est affreux… mais plutôt rigolo, tu ne trouves pas ? Attends, mouche-toi un peu, sinon tu vas finir par te noyer.
- Ce n’est pas drôle du tout, PRUUUST ! réplique Gaïa en se vidant le nez.
- Désolé, tu as raison… tu veux que je reste avec toi ?
- S’il te plait.
Il l’a veillé toute la nuit, remontant ses couvertures et lui caressant le dos lorsque ses petites épaules convulsaient de peur. Dès qu’il trouvait le sommeil, Gaïa braillait de désespoir, accablée par des rêves de noyade ou de mort atroce. Jamais il n’a entendu une enfant hurler et s’affoler de la sorte.
En ouvrant les yeux, les plis du drap imprimés sur son visage trempé de bave, Étienne, constate le lit vide. Merde, il est presque 11 h et la petite n’a rien mangé. Les jambes lourdes, il retrouve Gaïa dans le salon, le nez collé à la fenêtre.
- Qu’est-ce que font tous ces gens dans la rue ? Demande Gaïa.
Au pied de l’immeuble, une assemblée d’enragés tente de briser la devanture blindée du condo. Un véhicule de l’AutoVAQ a été renversé sur le côté par la foule qui bombarde la vitrine de débris arraché sur l’épave et de morceaux de pavé.
« Bonjour, le soleil s’est levé à 7 h 1 et va se coucher à 17 h 59. La durée du jour sera de 10 h 58. La température sur la vieille capitale sera… »
- Ferme-là, passe à la radio ! Ordonne Étienne énervé.
« … Moi, je me demande comment ce gouvernement pensait nous dissimuler ça. Un phénomène de cette ampleur-là, ça ne se cache pas… et aujourd’hui, la ministre Chan et Hydra Québec admettent que notre système… Votre système risque de flancher… et que ça pourrait prendre des semaines avant d’être rétabli. Pour ceux qui viennent de se joindre à nous, dès lundi… ça, c’est après-demain… Une tempête géomagnétique de niveau 5 sur une échelle de 5, un niveau qualifié “d’extrême” dépassant tout ce que nous avons vécu jusqu’à présent, frappera la terre, tout particulièrement le Québec. L’évènement va affecter les GPS, les réseaux électriques, la navigation des satellites et d’autres technologies… vos AiPin par exemple. L’épisode de vendredi après-midi n’était qu’un aperçu de ce qui nous attend. Moi je vous le dis, courez vite faire des réserves, si vous êtes chanceux, votre logement ou votre HLM à un plan de survie à jour, mais ce n’est vraiment pas garanti… »
L’animateur radio catastrophiste poursuit son émission en oubliant de respirer. La table Visio diffuse les premières images d’insurrections. À Montréal, la police peine à maintenir l’élan de panique. Des immeubles sont pillés par des hordes de citoyens armées. Gaïa rivée, observe l’émeute chaotique qui sévit cinq étages plus bas.
- Tu crois qu’ils vont réussir à entrer ? Ils pourraient monter nous battre ? Questionne Gaïa.
Krrr, krrr, krrr…
- Attends, c’est ton père… Allo Pierrot ! répond Étienne.
- Tout va bien ? Gaïa va bien ? C’est parti, c’est la folie partout en ville.
- Je sais. Ici c’est pareil…
- Papa, il y a des gens qui essaient de défoncer l’immeuble ! Interromps Gaïa. Je veux que tu viennes me chercher.
- Ma belle, écoute-moi bien, tu es en sécurité. Le condo est un vrai bunker et grand-papa va te protéger. Tu me fais confiance n’est-ce pas ?
- Oui… mais j’ai peur…
- C’est normal… Tu peux me laisser parler à grand-papa seul à seul ?
Étienne conduit Gaïa à la chambre et ferme la porte.
- Elle est très nerveuse, cette nuit, elle a fait d’horribles cauchemars. Ça lui arrive souvent ? s’informe Étienne.
- Tu lui as bien donné son Actimint ? Questionne P-O.
- La Mordorée ?
- Papa, Gaïa souffre de terreurs nocturnes, elle doit prendre de l’Actimint pour dormir.
- Ce n’est qu’une enfant ! s’oppose Étienne.
- Nous ne sommes plus en 2010, décroche de ton univers de Bizounours ! La plupart des gens en consomment, trois enfants sur quatre en prennent plusieurs fois par jour…
- Mais Gaïa…
- Gaïa a perdu sa mère, il y a quatre ans j’te rappelle. Le monde s’écroule autour de nous, elle n’a jamais marché en forêt, ne s’est jamais baignée dans un lac, n’a jamais respiré l’air salin… elle est confinée derrière des murs de béton à journée longue. Ma fille n’est pas idiote, elle me demande sans arrêt comment c’était dans mon temps… et pourquoi nous en sommes arrivés là. Papa, je ne suis plus capable d’endurer ça, cette vie-là me dégoutte, avoue P-O.
- Tu n’es pas le seul, moi aussi… Ils sont tous devenus fous et ils vont nous entrainer dans leur délire.
- J’ai été égoïste… je voulais un enfant, même si je me doutais que sa vie serait un enfer. Je souhaitais simplement vivre un peu de bonheur, confesse P-O.
- Tu l’as ton petit rayon de soleil. Mais j’ai oublié de t’avertir que ça venait avec d’immenses cumulus d’inquiétude.
- Maintenant, j’ai envie de tout laisser tomber.
- Ne dis pas ça… et si nous partions ? Gaïa, Nico, toi et moi, propose Étienne.
- Partir ? Pour aller où ?
- Je ne sais pas moi… Au chalet ! Nous pourrions tenter d’y survive en famille… Quelques années avant l’expropriation des zones riveraines, nous l’avions complètement rénové ta mère et moi : Les fenêtres sont antiUV, les pilotis sont conçus pour supporter les grandes marées, le bardeau est photovoltaïque… Oublie ça, c’est débile comme idée, admets Étienne. Le chalet est à 250 km d’ici, on s’y rendrait comment ? En plus, je ne sais même pas s’il est encore debout.
- Papa, tu te souviens de ma Volkswagen bleue ? demande P-O
- Ta bagnole que tu as payée beaucoup trop cher en 2024 ?
- 2023. Eh bien figure-toi que je l’ai toujours… Et qu’elle est parfaitement en état de marche.
- Bin, voyons donc… c’est une voiture diesel de 25 ans, tu comptes la faire avancer comment, avec de l’eau ? Nargue Étienne.
- Non… Cette voiture, c’est mon fonds de pension… je l’ai dorlotée, une véritable pièce de collection. Mais le plus important, c’est que j’ai stocké une bonne quantité de diesel… je savais que ce bijou prendrait de la valeur, d’autant plus s’il pouvait toujours rouler.
- Le diesel, ça n’a pas une date de péremption ? remarque Étienne.
- Certainement : Dix ans dans des barils hermétiques, répond P-O. Mon essence n’a pas plus de huit ans… Je l’ai entreposé l’année où Gaïa est née. Ça m’a couté quelques milliers de dollars… dernière dépense impulsive de ma vie de jeunesse… Alors, on part quand ?
•••
Nicolas fait les cent pas dans son appartement : lorsque son père l’a contacté et qu’il lui a exposé son plan stupide, il a coupé la communication nette. Cette journée est compliquée, il ne va pas, en bonis, gérer une tentative de fuite foireuse. On ne change pas de région comme ça. D’abord, c’est interdit sans permis de mutation, ensuite, il n’y a plus de villes organisées à l’est de Québec ; dans ce coin, c’est le Far West, on y survit à peine. Ils pensent manger quoi lorsqu’ils seront au chalet ? Tout ce qui vivait dans le fleuve est mort, étouffé par les particules de plastiques, les algues rouges et le réchauffement de l’eau.
« Je vais récupérer Nancy, j’ai besoin de toi » qu’il lui a dit. Ridicule, le CHSLD ne la laissera jamais sortir… Et s’il y arrivait, il la soignerait comment au chalet ? Ça, c’est en supposant qu’ils réussissent à traverser les ponts… Son frère et son père ont complètement perdu la boule.
Ce matin, il a été réveillé par des cris dans le corridor : un groupe d’homme s’est introduit dans l’immeuble. Par chance, la police a réagi rapidement. Selon les agents, certains HLM n’ont pas eu la même veine.
Non, mais vraiment ? À cinq, dans la petite voiture sport rabaissée de Pierrot ? Sur des chemins en ruine ? Ça fait des années que le gouvernement a laissé tomber les zones rurales en abandonnant l’entretien de ces autoroutes. Une idée de cons…
Et puis qu’est-ce que feraient les locataires sans lui ? Cette après-midi, il a tenté de contenir leur agitation… et ses émotions. S’ils partent pour le bas du fleuve, c’est certain qu’ils en crèvent. Bordel, ça ne lui sort plus de la tête.
Et Marie… Elle ne peut pas survivre sans lui. Lundi, c’est confirmé, sa ville va cesser de fonctionner. Tout comme son amie qui subsiste grâce à son respirateur artificiel, sa cité va s’éteindre. Et les gens ? Combien de temps ils vont se maitriser avant de s’entretuer ?
La pagaille extérieure persiste, la lumière d’un gyrophare roule contre la fenêtre de son studio, sous son balcon, des androïdes tentent de repousser une ligne de manifestant. Ça recommence, la colère exacerbée se répand comme un incendie. Le projet de son père n’est peut-être pas si absurde… Seulement, il n’a pas l’intention d’abandonner Marie.
Il est venu la visiter pour s’assurer que tout allait bien, maintenant, il peste contre une DEL brulée qui refuse d’être remplacée. Marie admire son sauveur qui s’acharne sur le luminaire, la bedaine à moitié à l’air.
- Tu n’es pas obligé de faire ça… Je… me serais ac…commodée de ma lampe de lec…ture, gazouille Marie.
- J’sais, mais ces maudites ampoules sont supposées durer des années et je n’arrête pas dans changer dans le bloc. Ça me fâche, grogne Nicolas.
- Quelque chose… ne va pas Nico ?
- Non, tout va bien…
- Tu es distant… observe Marie. Je vois bien qu’un truc te tracasse.
- Un truc ? Plein de choses me tracassent ! Admets Nicolas. Comment tu fais pour rester zen avec ce qui nous attend lundi ?
- Je suis prête.
- Prête ? Questionne Nicolas. J’veux pas te faire peur, mais personne n’est préparé à ça. J’t’ai prévu un kit de survie, avec des batteries de secours et…
- Nicolas… Je ne veux pas survivre… déclare Marie.
- ?
- Je suis prête à partir…
- Toi aussi ? Tu veux partir et quitter la ville ? Sonde Nicolas. Mon père et mon frère comptent fuir Québec… Ils aimeraient que j’embarque avec eux…
- C’est merveilleux… Tu mérites mieux… qu’une vie enfermée dans un condo, encourage Marie.
- Mais c’est stupide comme idée ! Rien ne garantit qu’on va survivre.
- Mais c’est rempli d’espoir… ta famille a besoin de toi… de ta force, de ta bravoure… de ta bonté.
- Et si tu venais avec nous ? Propose Nicolas.
- Non… mon bon Nico. J’ai… bien réfléchi, je ne veux plus que tu t’occupes de moi… Je suis prête… prête à quitter la vie…
- Quoi ? Tu veux mourir ?
- Je…
- Tu veux m’abandonner ? Accuse Nicolas encore perché sur son échelle.
- Je n’ai plus de souffle…
- J’vais faire comment sans toi ?
- Je n’ai plus le souffle… pour t’exprimer… mon choix. S’il te plait… je… t’aime. J’ai besoin de toi… une dernière fois, conjure-t-elle, en pleur.
- Marie… j’capote ostie. Pourquoi ? Pourquoi on vit ce cauchemar ?
- Je ne sais pas… mais tu es là… avec moi… Je t’en supplie, descends de cet escabeau et prends-moi contre toi.
Nicolas se cale dans le sofa, enlace son amie de ses bras. Marie profite de ce moment de douceur et se blottit contre son torse. Les regards se lient, les larmes s’entremêlent, les soupires s’accordent ; le temps est en suspension, rythmé par le souffle bourdonnant du respirateur artificiel. Le silence à tout exposé : Le désir, la tristesse, les regrets, la violence sereine de la décision. Résolue, Marie se réfugie contre son homme, Nicolas l’étreint avec tendresse. Ils se sont endormis ainsi, elle libérée, lui bouleversé. À leur réveille, ils se sont fait leurs adieux en demeurant muet, Nicolas l’a embrassé et s’est retiré en pleurant.
La douleur est intolérable, son esprit est brouillé, il doit déguerpir de ce damné immeuble au plus vite. Dans un sac, il enfonce quelques provisions, une gourde, un minimum de vêtements, sa lampe et un multioutil. Cet assoupissement l’a retardé. Pourvu qu’il arrive à temps au rendez-vous que lui a fixé son père : 15 h devant le CHSLD Bonne Entente.
En passant devant le portail de la salle multifonction, il croise le regard désespéré de ses voisins. Un vieillard au visage suppliant se précipite contre la vitre.
- Où allez-vous ? Questionne l’homme terrorisé.
- J’vais retrouver ma famille…
- Vous ne pouvez pas nous laisser tomber, vous êtes tenu de rester… Nous allons vous dénoncer au propriétaire !
- Allez vous faire foutre, répond Nicolas sans se détourner.
Une grande colonne de fumée noire scinde le ciel, le sol est jonché de débris. Nicolas parcourt le trottoir, enjambe un lampadaire abattu et contourne la carcasse d’une voiture enflammée. La cacophonie de sirènes, de klaxons et d’alarmes est entêtante, l’odeur de caoutchouc brulée écœurante. Devant lui, un casseur s’extrait d’une bow-window les bras pleins. Il faut accélérer la cadence, éviter à tout prix les émeutiers et les contrôles policiers ; surtout les androïdes qui ne feront pas de distinction entre un dévaliseur et un fuyard. Nicolas s’éclipse dans une ruelle, cours pour rejoindre une avenue déserte, traverse le boulevard au trafic immobilisé par le chaos. Dans un taxi, une femme et un enfant apeurés l’observent passer. Il a envie de leur crier de partir pendant qu’il en est encore temps… mais à quoi bon ?
Au niveau du Pasta la vista, la cantine est dévastée. Trois types ont extirpé John O. de sa boutique : ils le trainent comme un chien par les cheveux, le maintiennent à genoux à grands coups de pied. Deux autres pillards vident le commerce en balançant les meubles par la vitrine ; le Méca Cuisinier finit démantelé sur le pavé, des cages de poulets roulent dans la rue dans un chaos de plumes et de jacassements perçant. Nicolas sent la rage monter : Marie et ce restaurant, c’est tout ce qu’il y avait de beau dans cette ville.
L’homme s’est effondré sur le coup, son sang épais se propage comme du goudron sur la chaussée. Nicolas brandit sa brique souillée d’hémoglobine en défiant les quatre autres vauriens.
- Lâchez-le ou je vous éclate la tête à vous aussi, menace-t-il.
- Tu l’as tué crisse de cave ! réplique l’un des agresseurs.
- J’en ai rien à foutre de votre ami, s’il faut que j’en tue un autre pour vous faire dégager, ça me va ! Cri Nicolas en crachant comme dément.
Les lâches évaluent le forcené, impossible d’en découdre sans y laisser son dentier ou finir le nez écrasé. Ils allongent un dernier coup de pied au pauvre John O et abandonnent le combat en remorquant leur compagnon assommé.
- Vous allez bien ? Questionne Nicolas penché sur le propriétaire amoché.
- Les petits merdeux… merci… Vous êtes bien le fils de madame Beauregard ? Toussote John O.
- C’est bien moi. Vous avez une place où vous réfugier ? Un appartement, quelqu’un que j’peux contacter ?
- Tout ce qu’il me reste c’est ce restaurant… répond le vieux en cherchant à se lever.
- Attendez, laissez-moi vous aider.
- Vous êtes bien aimable, conduisez-moi à l’intérieur s’il vous plait.
La salle à manger est ruinée. Nicolas redresse une chaise et y assoie John O. Ça doit faire presque dix ans qu’il vient ici avec sa famille. Sa mère était tombée amoureuse des propriétaires, un couple de Mexicains ou de Brésiliens… il ne sait plus trop. Chose certaine, elle adorait la place. Le ravage de ce restaurant, c’est le saccage de sa mémoire.
- Vous tenez de votre maman, remarque le cuisinier. Ma défunte épouse et moi, on appréciait beaucoup Nancy, c’était une femme généreuse et courageuse.
- Elle est toujours vivante, s’offusque Nicolas.
- Pardonnez-moi, je croyais qu’elle était décédée depuis quelques années…
- Pas du tout, elle a perdu la mémoire et on l’a interné.
- Je suis navré, votre père est plutôt discret à son sujet. Vous savez pourquoi je lui prépare des repas gratuits tous les vendredis ? Teste John O.
- Non… ils sont gratuits ? lui répond Nicolas surpris.
- Pas tout à fait, c’est une espèce de remboursement… Lorsque nous avons ouvert notre commerce, il y a eu des périodes très éprouvantes. Le chauffage, l’approvisionnement en nourriture… La plupart des restaurateurs ont fermé boutique. Nous on a tenu le coup… grâce à votre maman. Elle nous a supportés durant les mois difficiles, gagnant ainsi sa table VIP : « Vraiment incroyable personne », c’est ce que s’amusait à dire Madame O.
- J’l’ignorais, admet Nicolas. Mon père profite encore d’elle et de son argent.
- Vous savez, il l’a toujours appuyé dans ses décisions, défend John O.
- C’est facile de se la fermer quand tu as le ventre plein… Vous allez faire quoi maintenant ? Vous ne pouvez pas rester ici… les voyous risquent de se pointer à nouveau.
- Je vais réparer les dégâts et poursuivre ma mission : servir du bonheur là où il semble impossible d’en trouver. S’il y a des gens qui survivent au désastre qui nous attend… ils vont avoir besoin d’un petit remontant, ajoute John O.
- Vous aussi vous êtes généreux et courageux.
- J’aimerais vous offrir un présent : tout à l’heure, en intervenant, vous m’avez probablement sauvé la vie.
- Ce n’est pas nécessaire, j’vous devais bien ça, répond Nicolas en songeant à tous ces savoureux repas familiaux.
- Allez, j’insiste, voyez ça comme le dernier paiement de ma dette envers votre mère.
C’est la décision la plus absurde de sa vie. Gaïa est accrochée à son bras comme un bébé singe qui ne veut pas être abandonné. Étienne l’entraine hors de l’ascenseur et frappe à la porte de l’appartement 32.
- Monsieur Étienne ? vous avez un problème, questionne Colette en détaillant l’enfant pendu à son voisin.
- Je… ça m’embête de vous déranger, mais j’aurais un énorme service à vous demander… Pouvez-vous garder la petite quelques heures ?
- Eh bien, elle sort d’où cette cocotte ? Entrez donc un moment que l’on fasse connaissance, propose Colette.
- Évidemment…
Le logement est lumineux, à l’antithèse de son condo ennuyeux. Une lampe sphérique ensoleille une pièce aux meubles antiques. Au centre, sur une table basse, pas de Visio ni de AiPin… simplement un marbre blanc de femme nue assise sur ses genoux. Il l’aurait jugé d’un gout douteux si l’époque n’avait pas été aussi sombre, à présent, il trouve ça plutôt charmant. Les rideaux sont tirés pour voiler la panique qui secoue l’extérieur.
- Je peux vous servir un expresso ? offre Colette.
- Un allongé s’il vous plait, merci.
- Et vous mademoiselle, vous aimeriez boire un lait moussé ?
- Du lait ? De soja ? questionne Gaïa.
- Ah non, du lait, cent pour cent brebis madame, moussé et versé par une véritable barista.
- Vous travailliez dans le café, demande Étienne curieux.
- Oui, dans l’import-export. Vous comprenez que j’ai dû réorienter ma carrière il y a longtemps déjà… mais j’ai encore quelques contacts pratiques.
Assise sur le comptoir, Gaïa suit avec avidité les gestes de Colette qui anime une cafetière à la tuyauterie chromée. Les mains expertes sélectionnent, pèsent, pressent, remuent et actionnent une série de valves : le dragon à café se réveille dans un grand grognement et projette sa vapeur dans une tassette en Stainless.
- Hum, qu’est-ce que ça sent bon ! s’excite Gaïa.
- Ça, c’est l’odeur du café… L’odeur de l’écorce, du chocolat, des épices, décrit Colette.
- Je peux en avoir ? Allez grand-papa, juste une microtasse, supplie la fillette.
- Je vais te préparer un latte, tu vas adorer. Monsieur Étienne, votre « lungo » est servi.
Il approche la boisson de son nez, les effluves intenses fouettent ses sens engourdis, aussitôt ses cils s’inondent de larmes d’euphorie. Ses lèvres timides testent la chaleur du liquide, entre ses dents s’écoule le nectar cuivré. Son palais, sa langue, sa gorge ; sa bouche entière tombe sous les envoûtements de la barista.
- Pardonnez-moi, j’avais oublié ce parfum, rien avoir avec la vase instantanée que j’ingurgite à tous les matins. Et ce gout incroyable ! J’en pleur, je suis ridicule, constate Étienne. Comment est-ce possible ? Ces grains et ce lait, d’où viennent-ils ?
- Oh, c’est un secret que je préserve pour attirer les gourmands… Si vous me parliez de votre énorme service, vous aimeriez que je garde la petite ?
- Ça me gêne de vous demander ça, je suis encore sous le choc de votre caféine. Je dois sortir, quelques heures seulement… je ne peux pas la laisser seule à l’appartement…
- Je vois… Vous sortez ? En ville ? Malgré ce chaos ? interroge Colette.
- Je veux tirer ma femme de son asile… Avec ce qu’il se passe à l’extérieur, il serait imprudent de trainer Gaïa avec moi, remarque Étienne.
- Elle n’est pas bien au CHSLD ? Vous pensez pouvoir la soigner à la maison ?
- Je suis au courant, ce n’est pas un projet très rationnel… Mais avec la panne qu’ils annoncent, je ne vais pas la laisser crever là.
- Une panne ? s’inquiète Colette.
- Vous l’ignoriez ? Lundi… une interruption totale…
- Mon Dieu… c’est horrible. C’est donc comme ça que notre ville va sombrer… Je comprends mieux l’urgence d’agir, je vais prendre soin de votre petite fille, elle est adorable.
- Vous n’avez pas d’AiPin ? remarque Étienne.
- Je me suis débarrassé de mes gadgets électroniques il y a quelques années… ils me stressaient trop. Pourquoi ?
- Je vais vous prêter le mien, il vous donnera accès à mon appartement au besoin. Vous devez l’aimanter à votre boutonnière.
Colette entrouvre son chemisier et positionne l’appareil.
- Comme ça ? taquine la sexagénaire en s’assurant d’exhiber son décolleté.
- Euh… c’est parfait, tendez-moi votre paume gauche, je vais modifier les préférences et vous inclure parmi mes usagés… Vous avez la peau chaude, observe Étienne en palpant la main de Colette.
- Vous savez, la chaleur de ma peau ne s’arrête pas à mon poignet… Elle progresse jusqu’à mon coude, longe mon bras, glisse autour de mon épaule…
- OK, je dois partir maintenant, vous me troublez, avoue Étienne en se levant.
- Excusez-moi, c’était déplacé… Votre femme… Courez vite là sauver.
- Merci pour tout, Colette, pour Gaïa, pour le café et pour cette bouffée de chaleur que vous venez de faire monter. Je suis de retour d’ici trois heures environ… si tout va bien.
*
« Afin d’assurer la sécurité de nos usagés, le centre d’hébergements et de soins de longue durée Bonne Entente est fermé pour une période indéterminée, veuillez circuler », crache le hautparleur d’une voix monocorde. L’annonce provoque la furie de la troupe accumulée devant le porche vitré.
- C’est inhumain, vous ne pouvez pas nous empêcher de voir nos parents, cri une femme en battant la porte de ses poings.
- Vous n’avez pas le droit de nous interdire l’accès, c’est un service public, fasciste ! ajoute une autre.
« Afin d’assurer la sécurité de nos usagés, le centre d’hébergements et de soins de longue durée Bonne Entente est fermé pour une période indéterminée, veuillez circuler », répète la voix synthétisée.
Derrière le portique, une demi-douzaine de gardiens androïdes attendent au garde-à-vous. Étienne déteste ces types : s’ils s’activent, ils peuvent facilement contrôler la petite armée de révoltés. Et Nicolas qui n’arrive pas. Il a peut-être tenté de le contacter, il aurait dû conserver son AiPin. À l’intérieur on devine le mouvement du personnel en uniforme bleu qui se prépare à l’invasion, les uns gesticulent, les autres repoussent un lourd bureau contre la fenêtre. Le soulèvement augmente en violence, des armes improvisées sont distribuées parmi les insurgés.
- Papa !
- Nicolas, je ne pensais plus te voir arriver, admet Étienne.
- C’est qui ça Colette ? Pourquoi elle a ton AiPin ?
- C’est… ce n’est pas ce que tu crois, on en reparlera si tu veux, mais là, ça va dégénérer.
« Afin d’assurer la sécurité de nos usagés, le centre d’hébergements et de soins de longue durée Bonne Entente est fermé pour une période indéterminée, veuillez circuler ».
- Merde, on va l’éclater votre forteresse, gueule un homme en balançant une pierre dans le vitrage.
Le caillou rebondit contre la paroi rayant à peine le verre. Un gaillard charge la porte et y abat une lourde massue. La surface se strie, mais tient bon. Derrière la vitre, les robots fléchissent les genoux et s’inclinent à la manière de footballeurs prêts à réceptionner leurs adversaires.
« Ceci est notre dernier avertissement : circulez et dispersez-vous ou nous devrons user de la force ». La voix a changé. Une femme, probablement la responsable de l’établissement. Les Androïdes ne peuvent agir sans commandement humain. La menace est sérieuse, mais l’homme à la masse ne s’en préoccupe pas et poursuit son attaque. Le vitrage ressemble à une couverture froissée et va céder d’un moment à l’autre.
- Lorsque le passage sera ouvert, attire les gardiens, je vais tenter de me glisser derrière eux… Ne prends surtout pas de risque, pas de corps à corps avec ces machines, avertit Étienne.
- Tu me prends pour un fou ? Et toi, t’es un ninja maintenant ? Papa, t’as soixante-dix ans… tu vas finir le dos bloqué sous le pied d’un de ces robots. Aller, soit un peu sérieux, c’est trop dangereux.
La feuille blindée se disloque, les assiégeants s’engouffrent dans la faille. Twiiiiiiiii, le dispositif de harcèlement acoustique des androïdes est activé, les alarmes de 165 décibels secouent les casse-cous du premier rang. Le gaillard au maillet qui en redemande heurte un garde mécanique ; le robot riposte, il lui démolit le crâne en lui enfonçant son poing au visage. Rapidement, les assaillants reculent, repoussés par les automates qui se sont mis en marche.
- Et toi, la merde en conserve ! Provoque Nicolas afin d’appâter un androïde.
La sentinelle de fer fonce sur le perturbateur en le foudroyant de son arme sonique. L’onde surpuissante le percute comme un mur invisible, fracasse son corps, vibre au cœur de ses entrailles, perce la chair de ses tympans. Nicolas, sonné, s’écroule au sol les mains sur les oreilles. Étienne en profite pour se faufiler, mais il est arrêté par un second portail vitré. De l’autre côté, elle est là, la préposée rencontrée quelques jours auparavant. Il doit à tout prix capter son attention ; la fenêtre résonne sous ses coups frénétiques et ses cris étouffés.
- Vous faites quoi ? Croyez-vous que tous ces gens soient des pillards ? Ils désirent simplement sortir leurs proches avant l’effondrement, proteste Étienne. Madame Farouk, vous me reconnaissez ? Je suis Monsieur Bouquet ! je veux voir ma femme, madame Beauregard, habitat 28.
- Je suis désolé, nous n’avons pas le droit de vous laisser entrer. Nous avons reçu l’ordre de garder les portes fermées. Les usagers sont à la charge de l’état, répond la préposée perturbée.
- Et si le gouvernement n’est pas en mesure de les protéger… Vous allez les regarder mourir de faim ? Vous savez bien qu’aucun de vos résidents ne va survivre à une panne totale !
Soudain, une douleur vive, une poigne d’acier qui lui broie le bras comme un étau ; un androïde l’a repéré, il compte mater l’humain égaré.
- Vous allez attendre qu’il y ait combien de morts avant d’intervenir, s’indigne Étienne avant d’être écrasé visage contre la fenêtre.
Le Robot l’expulse hors du vestibule comme une poupée de chiffon. De la trentaine de manifestants, ne reste qu’une poignée de prudents qui ont choisi de garder leur distance. Les autres gisent au sol abattu par la brigade robotisée qui semble vouloir s’acharner.
- Arrêtez ! Ordonne la responsable scandalisée par la scène.
Aussitôt, les défenseurs se redressent et s’inactivent. Le portillon vitré s’ouvre, une femme en sort avec la mine honteuse. Elle traverse le jardin d’éclopés et s’abaisse sur Étienne plié de douleur.
- Monsieur Rioux ? Je suis consternée par cet incident malheureux. C’est terminé, nous allons vous aider à libérer vos proches de cet asile, accorde-t-elle.
- Vraiment ? Doute Étienne. Et vos ordres gouvernementaux ?
- Au diable le gouvernement. Il faut faire vite avant que les autorités rappliquent, presse-t-elle.
- Merci… merci madame Farouk, pleur Étienne en constatant les nombreux blessés.
L’écho lointain des sirènes de police incite les kidnappeurs à rentrer à l’appartement. Sourd comme un pot, les oreilles encore bourdonnantes, Nicolas pousse la chaise roulante de sa mère. Étienne clopine à leurs trousses, un sourire aux lèvres déformé par la moitié gauche de son visage boursouflé de sang : ils ont réussi l’impossible, ils ont sorti Nancy de son trou.
Toute la journée de dimanche, les agitations se sont multipliées dans les villes de l’alliance de l’est. Le gouvernement conservateur a tenté sans succès de rassurer la population ; le slogan « Survivre ensemble » n’a convaincu personne. À Toronto, le maire Rodriguez a été interrompu durant sa conférence de presse : les chahuteurs l’ont pendu en direct. À Ottawa, un incroyable attroupement de révoltés s’est déversé comme une coulée de lave, rasant tout sur son passage, affluant vers le parlement et forçant une intervention militaire. À Montréal, les grands incendies allumés par des gangs fanatiques ont imposé l’état d’urgence. Dans la vieille capitale, les rues sont toujours assiégées par le peuple emporté.
L’arrivée de la nuit n’a rien amélioré. Dans sa guérite, un gardien de sécurité s’inquiète du désordre et des fracas du quartier. En secret, il souhaiterait presque que tout s’écroule une fois pour toutes. L’humanité l’aura bien mérité après tout. Une ombre traverse le stationnement mal éclairé et secoue le grillage de la cour.
- Qui est-là ? Je vous avertis, je suis armé, ment la sentinelle.
- Max ? C’est moi, chuchote P-O. Tu es entré travailler malgré ce bordel ?
- P-O ? Qu’est-ce que tu fais là ? Il est dépassé minuit, tu m’as foutu la trouille mon salaud.
- Je n’arrive pas à dormir… j’ai quelques trucs à ramasser à mon entrepôt, tu me laisses passer ?
- Hum… Allez, vas-y. Tu as les clés ? Demande Max.
- Oui, t’inquiète. Merci, mon gars, je vais te devoir ça.
Le mécanicien rétracte la porte d’aluminium et allume les néons du hangar qui cillent un moment. Son bébé, sa Volkswagen, elle l’attend là, sous sa bâche protectrice. Il est fébrile, un véritable enfant s’apprêtant à déballer son cadeau. Il la déshabille, découvre sa carrosserie bleue électrique ; qu’est-ce qu’elle est belle ! Deux ans qu’il l’avait oublié là.
- Tu m’as manqué ma jolie… Il faut s’y mettre, on a beaucoup de travail avant de t’entendre ronronner à nouveau.
On ne démarre pas une voiture entreposée depuis des années sans quelques précautions : on doit l’inspecter en profondeur, vérifier ses fluides et ses liquides, remplacer son huile, mesurer la tension de la batterie et la recharger, changer quelques fusibles brulés, purger le vieux carburant, faire le plein de diesel frais, lubrifier les différentes composantes du moteur, ajuster la pression des pneus… et c’est seulement après tout ça, après une ou deux heures de câlineries et de mamours, qu’elle poussera son rugissement.
- Allons à présent, montre-moi ce que tu as sous le capot.
P-O croise les doigts et appuie sur le bouton de démarrage. Le tableau de bord s’illumine et puis… « Clé non détectée », affiche un voyant au centre de l’écran. La pile de la clé ! Qu’il est bête, autrefois, il pestait de devoir la remplacer tous les six mois. Où peut-on dégoter une pile au lithium en 2045 ? Le projet ne va certainement pas tomber à l’eau à cause d’une ridicule batterie.
Il doit trouver un moyen d’alimenter cette maudite clé. S’il la branchait au courant de la voiture ? Non, les douze voltes risquent de griller les circuits. Le dispositif doit être simple, portatif… Son AiPin ! Quelques soudures plus tard, l’appareil est parasité par la puce de démarrage.
Vrrrrrroum ! la bagnole gronde et pétarade comme une neuve. P-O, satisfait, charge les bidons de carburants dans la valise, son attirail de mécano et son matos de camping ; c’est parti pour l’aventure la plus folle de sa vie. Les phares rasent le parking, éclaboussent la clôture grillagée, frappent de plein fouet la cabane du surveillant qui en sort, estomaqué.
- C’est ça que tu es venu chercher ! s’exclame Max. C’est complètement malade, j’imagine qu’elle est manuelle en plus ?
- Oui mon vieux, l’une des dernières fabriquées. Tu lui ouvres la porte s’il te plait, elle s’impatiente la fougueuse, crâne P-O.
- Eh, je peux monter avec toi ? Juste un bout de chemin, amène-moi où tu veux… J’dois juste câlisser mon camp d’ici.
- C’est bon, embarque et attache ta tuque, avertit P-O.
La voiture patine en prenant le virage, ses pneus crissent, s’agrippent au bitume, propulse la petite fusée à quatre-vingts kilomètres heure dans une voie étroite. P-O survolté se cramponne au volant, il avait refoulé son besoin de conduire ; sa passion inaccessible avait été rayée de sa cervelle. À présent, tout est possible, la fureur monte : l’animal s’est libéré de ses chaines. Accroché à la poignée de maintien, Max gueule et siffle le buste étiré par fenêtre.
- You hou ! Allez tous vous faire foutre gang de débiles ! Injure-t-il le poing en l’air.
Au passage de l’éclair bleu, les têtes se tournent, les cris retentissent, certains courent derrière comme des chiens enragés. Criiiii, un nouveau virage, une nouvelle accélération ; un homme évite de peu l’engin de mort sortie de nulle part. Max referme la fenêtre en réalisant la folie de son ami.
- Good, tu peux ralentir maintenant. Allez, ne fait pas le con, on va finir écrasé dans un mur, insiste le passager blanc de peur.
- Un dernier coin de rue Max, juste un dernier, s’obstine P-O.
- Je ne le sens pas, réduits ta vitesse, je t’en supplie… non, nonnn, ça ne passera paAhhhhhh !
Le missile sur roues rebondit, dérape et tournoie sur lui-même, P-O retrouve ses souvenirs dans une ronde infernale, sa mémoire tourbillonne avec la voiture ; son enfance, sa jeunesse, sa vie d’adulte chambardée par les crises, la naissance de Gaïa… Gaïa. Le diaporama de son existance se termine à quelques centimètres d’un poteau.
- Merde, tu es fou ! Tu veux nous tuer ? Rugit Max.
- J’en avais besoin, désolé. Je te débarque ici, ça te va ? Tu pourras regagner le tram facilement.
- Ici c’est parfait. Thank’s pour la balade, c’était insane.
- Eh Max, bonne chance pour demain…
L’appartement de Colette ressemble à une infirmerie. Pendant que Nicolas se fait ausculter l’ouïe, Étienne applique des compresses sur son visage bouffi, son bras gauche en écharpe est meurtri et ecchymosé ; la damnée machine lui a quasiment arraché. Nancy est assise au milieu des estropiés. Elle ne réagit pas, regarde fixement le vide. Gaïa l’examine à distance. Elle ne l’a rencontré que quelquefois à travers le hublot du CHSLD, une espèce de grand-mère en aquarium que l’on t’oblige à visiter. À présent que le poisson rouge est au milieu du salon, elle ne peut plus l’ignorer.
- Est-ce qu’elle nous entend ? Demande l’enfant.
- Je ne sais pas… J’aime croire que oui. Dorénavant, c’est nous qui allons devoir nous en occuper. Nous allons devoir la nourrir, la laver, la cajoler… tu comprends ? interroge Étienne.
- La cajoler ? s’inquiète Gaïa. Elle me fait peur…
- C’est normal… Si tu avais eu la chance de la connaitre… À ta naissance, Nancy était la femme la plus heureuse de la terre. Vers deux ans, lorsque tu as commencé à marcher, tu la suivais partout, son petit soleil de poche qu’elle disait.
- Je sais… papa m’a fait jouer un tas de souvenirs. J’adore grand-maman Nancy… Mais je n’aime pas la voir comme ça… immobile comme une morte-vivante.
- Tu sais quoi ? Moi non plus, confie le grand-père.
Le départ est prévu pour ce soir. Plus de temps à dépenser avec les bobos, il faut tout rassembler avant l’arrivée de P-O. Les aller-retour entre l’appartement 55 et le 32 se succèdent, les préparatifs vont bon train. Dans le corridor s’entassent barils de nourriture, gallons d’eau et toute la panoplie de survie ; sacs de couchage, filtre, allumeur, bâches solaires et cetera. Colette, perplexe, s’interroge devant le monticule qui grossit, les deux hommes semblent avoir perdu le contrôle de leur entreprise.
- Vous allez le mettre où votre stock ? ose-t-elle.
- Sur le toit, attaché avec des sangles, répond Nicolas avec impatience.
- Colette a raison Nico… Nous allons devoir sélectionner l’essentiel, remarque Étienne.
- Mais, on a besoin de tout ça ! s’affole Nicolas.
- Je crois que nous allons devoir compter sur notre chance et nous ravitailler en chemin… avec toutes l’expérience de camping sauvage que nous cumulons, j’ai confiance que nous y arriverons. Ce n’est pas une petite nuit à la belle étoile et une eau un peu trouble qui vont nous faire peur.
- Papa, tu sais ce qu’il y a après Lévis ?
- Pas certain, j’ai entendu parler qu’il y avait un tas de survivants, des communautés autonomes qui font ce qu’elles peuvent pour subsister. Je dois te montrer des brochures que j’ai conservées, je n’ai aucune idée pourquoi j’ai gardé ça, mais je suis assez comptant de les avoir maintenant.
« Guide touristique officiel 2024-2025 : Chaudière-Appalaches, à vivre pour vrai. Bas-Saint-Laurent, prendre le temps. Gaspésie, en plein cœur. » Nicolas feuillette les trois fascicules ; une offre d’activités en tout genre, restaurants, musées, hébergements. Il veut en faire quoi de ces vieux livrets défraichis, périmés et déprimants, tout juste bon à allumer des feux ?
- Wow, on va pouvoir s’arrêter manger dans une cabane à patate si on a trop faim, ironise Nicolas.
- Non, regarde, il y a tout un tas de cartes, lorsque nos AiPin vont nous laisser tomber, on pourra s’y référer, argumente Étienne.
- On le connait par cœur le chemin jusqu’au chalet… On prend l’autoroute 20 et… tralala ! on est rendu.
- Si je peux me permettre… Le lait de brebis, celui que je vous ai servi, il provient d’une fermette localisée à St-Michèle, révèle Colette. Le laitier, c’est comme ça qu’on le surnomme, il trafique un tas de produits pas très légal. Il doit être au courant de la situation dans l’est de la province.
- Ça nous fait un premier objectif : St-Michèle-de — Bellechasse, j’adorais ce coin, on y a déjà eu un voilier, magnifique marina d’ailleurs, se réjouit Étienne.
- Tu me niaises ? Ça fait crissement longtemps, tu t’imagines trouver la marina intacte ? Réagit Nicolas.
- Sincèrement ? Non. Je souhaite simplement traverser le reste de cette vie merdique avec vous, en beauté et dans la naïveté, répond Étienne en pointant du menton Gaïa qui parcoure une brochure.
- Grand-Papa, tu as vu à la page 43 ? Il y a une plateforme d’observation des bélougas ! S’exclame-t-elle, on pourra s’y arrêter ?
- À bon, elle est où cette plateforme ? S’intéresse Étienne.
- À Ca..couna… Cacouna lit la fillette.
- Merveilleux, nous avons déjà un deuxième objectif à notre expédition !
Trois heures du matin, les pétarades et les vrombissements trahissent l’arrivée de P-O ; le puissant moteur modifié de sa voiture ne passera pas inaperçu, on doit paqueter au plus vite. Étienne et Nicolas s’occupent de charroyer la cargaison, Colette et Gaïa soutiennent Nancy qui marche en chancelant. Attirés par le bruit, les premiers curieux apparaissent au coin de la rue. Po assoie sa mère avec précaution, clip sa ceinture de sécurité et prend part au chargement.
- Papa, il y a des gens qui approchent, s’inquiète Gaïa.
- Ça va aller ma crevette, installe-toi au centre, à côté de grand-maman et attache-toi, commande P-O qui tente d’ajuster une courroie au porte-bagages.
Les fouineurs ne sont plus qu’à une vingtaine de mètres, P-O fait mine de les ignorer. Colette recule sur le trottoir et s’aplatit contre le mur : l’un des hommes est armé d’une énorme hache d’incendie. À dix mètres, P-O prend l’initiative et les interpelle.
- Eh, les gars, vous pouvez me donner un coup de pouce, je n’arrive pas serrer cette sangle.
- Holy crap, c’est ton char ? Demande le type à la hache. Il empeste l’alcool.
- Oui, une Volks GTI 2023 manuelle, couleur d’origine, répond P-O.
- Ça fait un crisse de boute que je n’ai pas conduit, dommage qu’elle soit manuelle… Vous faites une sortie en famille ? interroge-t-il en se penchant vers la fenêtre pour inventorier les passagers. Vous voulez vous rendre où ?
- On traverse vers l’est… Trois-Pistoles.
Nicolas débouche du condo, un baril sur l’épaule et un sac en bandoulière. Étienne qui le suit de près, s’écrase le nez contre son fils, figé devant l’inquiétant personnage qui poursuit son investigation. Celui-ci fait le décompte des voyageurs à la pointe de sa hache.
- Fuck-off, vous allez me faire croire que vous allez rouler à six dans une Fucking sous-compacte ? S’offusque l’homme. Vous me prenez pour un cave ?
- Non, je ne suis pas du voyage, répond Colette d’une voix étranglée.
- Bon, la vieille poule qui jacasse, insulte l’intimidateur.
- On ne veut pas de problème, on peut vous laisser un sceau hermétique de nourritures, il y a deux cents portions là-dedans… trente jours de rations, propose Étienne.
- Si tu m’offres ça, c’est que tu peux me donner bien plus… Tu as une belle famille… J’imagine que tu souhaites la protéger ?
- Il t’a offert de la bouffe. Tu pognes ton ostie de chaudière puis tu câlisses ton camps, confronte Nicolas.
Liiii, liiiii, une alarme éclate dans le secteur : Les androïdes. L’ivrogne s’agite et s’impatiente, ses compagnons lui mettent de la pression pour déguerpir au plus vite.
- Come on Berni, y’a les Bots qui arrivent.
- OK, c’est nice, on prend la bouffe…
Aussitôt les hommes éloignés, Nicolas se liquéfie ; le stress des dernières heures monte, un geyser d’émotions incontrôlable se décharge sur l’épaule de son père. Bouhouhouhou, Étienne, sous le géant, tente de colmater la peine intarissable.
- Allons Nico, tu as été fantastique, tu lui as tenu tête comme un chef, console Étienne. Tu peux être fier de toi. Il faut te ressaisir… C’est le moment d’y aller.
P-O enserre son frère et lui ouvre la portière. Étienne se retourne vers sa voisine.
- Madame Colette, je…
- Ne dites rien, c’est comme ça la vie, on croise des gens, des gens nous croisent… Partez sans regret avec votre famille. J’ai un petit cadeau d’adieu pour vous, pour la route, tenez, lui confie Colette.
Dans le rétroviseur, il ne peut quitter la femme des yeux ; va-t-elle pouvoir survivre seule ? Son regard passe de Nancy à Colette, l’une léthargique, l’autre magnifique, ses pensées sont inavouables, il a honte à en vomir.
La voiture se faufile dans la nuit, le quartier est défiguré, partout, des feux brulent, des dizaines de carcasses d’AutoVAQ entravent les voies. Po recherche un repère pour se garer : Ils doivent planifier leur exode improvisé. Il s’engage dans un chantier bordé de cônes orange. Derrière un bâtiment désaffecté aux fenêtres condamnées, il coupe le moteur.
- Personne ne va nous déranger ici, tu te souviens, c’est mon ancienne école secondaire, demande P-O.
- Je me rappelle, disons que tu n’étais pas très « motivé », plaisante Étienne.
- Ouin… aujourd’hui, je donnerais tout pour retourner à cette époque. La dame… à ton appartement…
- Une inconnue, coupe Étienne incommodé.
- Et qu’est-ce qu’elle t’a remis ta belle inconnue ? Questionne P-O suspicieux.
- Un sac de café.
La traversée vers la rive sud ne s’annonce pas simple. Le pont Pierre-Laporte n’est pas adapté aux transports autonomes. Les engins qui le franchissent sont tous téléguidés : des drones conteneur, des camions intelligents, des taxis, circulant à grande vitesse, coordonnés à la queue leu leu. Tenter de s’y engager serait suicidaire. Et s’ils attendaient la panne ? Le passage sera embouteillé, rendu impraticable par les tas de voitures inanimés. Et le pont de Québec ? Sur l’ouvrage antique, traverse le Tram et une passerelle cyclable, aucune voie prévue pour une automobile classique ; un système de fermetures automatiques entrave les véhicules indésirés. Bien avant les crises, le gouvernement avait amorcé la construction d’un troisième lien afin d’assurer la sécurité économique de la région, un tunnel budgété à quatre milliards de dollars, un contrat étalonné sur quinze ans ; à peine les travaux entamés, les couts explosaient en même temps que le cours du pétrole. À ce que l’on dit, à part quelques dizaines de milliers de scientifiques alarmistes, personne n’avait vu venir les pénuries de gazoline, de sables à béton, de cuivre… Résultat, le chantier s’est arrêté, le projet est resté sur la glace et le souterrain a été envahi par les eaux.
La ville s’est éteinte : les enseignes, les néons tape-à-l’œil, les lumières de rue. Un silence sourd gagne le quartier, suivi d’une vague de cris. Ça y est. La panne annoncée n’était pas une fabulation.
- Ils vont avoir une raison de tout détruire, raille Étienne.
- Je suis content d’être ici, avec vous. Tu crois que nous allons y arriver ? Demande P-O appuyé au capot de sa bagnole.
- On s’en fout. Tu as vu le ciel, il est magnifique… je n’ai jamais vu autant d’étoiles de ma vie. Allez, c’est parti, déclare Étienne en reprenant place côté copilote.
L’équipe d’aventuriers du dimanche décide de risquer le passage sur le vénérable pont de Québec. Il doit y avoir moyen d’y faire rouler une auto. Le défi : repérer un accès vers le tablier. L’habitacle est silencieux, les regards attentifs scrutent la noirceur, ce n’est pas le moment de buter dans un nid-de-poule ou de tomber face à un groupe de contestataires.
Dans le dédale urbain, ils croisent enfin un tronçon de la piste cyclable ; ses deux voies bornées conviennent à la conduite, sa chaussée parait en assez bon état. La Volkswagen ballotte en s’engageant sur le sentier. Un couinement d’amortisseur, un froissement de tôle et les voilà en route vers la passerelle. Deux kilomètres plus loin, ils sont stoppés par une barrière latérale bloquant l’accès au pont.
- Quelqu’un à une idée ? Demande Étienne désespéré devant la palissade.
- La clôture doit être rotative. Il s’agit de la forcer et de faire sauter le moteur, suppose P-O.
- On fait ça comment ?
- Un vérin hydraulique et une courroie devraient suffirent, répond le mécanicien.
- Tu as ça ? s’informe Nicolas.
- Bien sûr, dans le coffre, sous le tas de bagages.
Toute la famille participe à la manœuvre. P-O coince le cric à la base de la barrière et prend le volant, Étienne entortille la sangle à la clôture et la raccorde à l’anneau de remorquage du véhicule, Nicolas installé au piston attend le signal avant de pomper le levier, Gaïa joue à la sentinelle, elle surveille l’arrivée d’éventuel rodeur.
Go ! Sous l’action du bras de Nicolas, le cric soulève l’assise, le poteau d’acier vibre, grince et claque, sa mécanique se déglingue, mais le pieu résiste. P-O met la marche arrière, la courroie se tend dangereusement, il appuie sur le gaz, le moteur gronde et Klong ! La structure métallique éclate et rebondit, tirée sur dix mètres par la voiture poussée à fond.
La voie est libre ! Lévis, nous voici !
Ecoute, c'est bluffant, c'est bien écrit, on s'y prend vite, les perso sont cohérents, c'est émouvant, leurs échanges, leurs pensées, leurs actions. j'ai beaucoup aimé. La petite famille qui se met en branle pour sortir de la nasse, on y croit, après j'arrive pas à savoir si c'est optimiste ou le contraire, on va dire que c'est juste, tout simplement.
Comment va on réagir devant l'effondrement, ça c'est la question dont personne ne peut y répondre avant que cela se déroule je crois, enfin pour ceux qui auront encore la chance ou la malchance d'être là.
Bon tu bosses sur la suite ?
A toi de voir, courage pour ta correction et ta relecture !