Quelle place occuperons-nous dans l'économie du monde ? Nous aurons beau vivre de bohème, en cheptel motivé seulement par le goût de la fête, sur la presqu'île isolée où se trouvent les esthètes, nous aurons beau vivre d'eau fraîche et de poèmes, que nous n'en serons pas moins désenchantés. Nous aurons beau lire beaucoup d'auteurs, et de toutes origines, écouté beaucoup de musiques, et même des plus obscures, nous aurons beau voir beaucoup de films, et même des insensés, que nous n'en serons pas moins d'ignobles ignorants. Car nous ignorons tout de la beauté sévère de la terre (pour nous toujours le faste est affaire de pouvoir), nous ignorons tout de la force néfaste de l'espèce, de l'immensité crasse de ce triste univers. Nos machineries se grippent à des rouilles communes tant que nous ne serons que des parties du tout-monde présent. Nous avons l'espoir des contagions. Nous croyons l'utopie réalisée et l'idéal souhaitable. Seulement, soyez sporadiques, certes, mais défoncez la terre bétonnée comme le champignon l'écorce d'un arbre et les premières lumières filtrées d'un soleil écrasé. Pétez les structures de métal, les statues érigées en l'honneur de nos maîtres. Gonflez vos amygdales de diables entachés. Faites voter la loi que vous inventerez. Vous diffuserez, par vos spores intimes, la haine du régime et l'amour de l'État. L'un ne va pas sans l'autre. Ni l'espoir sans la lutte. Ni la pluie sans lichen.