Qui êtes vous ?

Tout le long du trajet, l'homme ne dit rien, préférant admirer le paysage qui défile devant ses yeux, il n'a qu'un tic nerveux, celui de frotter ses mains contre ses genoux. Séparé par une grille en métal, se trouvent à l'avant deux policiers au profil bien différent : un petit gros qui grignote des donuts, il à une moustache et semble être le plus expérimenté, de par son grade, il reçoit tous les respects de la part de ses collègues. Puis, un nouveau, un jeune garçon qui conduit nerveusement, il n'arrête pas de faire des secousses sur la route. 


-Vous connaissez le motif de votre arrestation ? Dit le plus âgé

 

-Non monsieur, dit Warren avec une voix posée 


-Vous le savez très bien, dit le plus jeune grinçant des dents. 


-Je suis navré, mais je ne comprends pas ce motif de haine.


-Vous êtes un nazi ! Dit le jeune 


-Ca suffit Charles, calme-toi. 


Un nazi ? Comment un vieux pasteur pourrait être un nazi ? Un pasteur prêt à rendre service, prêt à accueillir son prochain, lui qui tond les pelouses de ses voisins, cire les chaussures des plus vieux ne pouvant se baisser et écoute tous les sermons sans juger. Warren, un nazi ? Ce vieillard d'à peine quatre-vingt ans ? En voilà une surprise. 


Arrivés à New-York après des longues heures de trajet en train puis à nouveau en voiture, il entre dans une prison, dans sa tenue de pasteur. Les barreaux sont froids et les murs humides, son accoutrement fait tache parmi les tueurs en série. 


-Pardonnez-moi mon père, je ne peux vous accorder aucune faveur jusqu'au jugement, dit un gardien.
-Ce n'est rien mon fils, il doit y avoir une erreur, dit-il sereinement 


Puis, un homme parfaitement habillé entre dans la cellule. Par sécurité (pour lui ou pour les autres ?), il ne peut sortir de cette petite pièce froide et sombre. L'inconnu ne semble assez âgé, peut-être plus de la soixantaine et tient un dossier entre ses mains, c'est un avocat. 


-Bonjour Warren, je suis Thomas Orlowski, je suis votre avocat. 


-Un avocat ? Monsieur il doit y avoir une erreur. 


-Warren, je dois savoir une chose pour m'aider à préparer votre défense, êtes vous un ancien officier nazi ? 


-Bien sur que non ! Voyons, quels outrages vous faites à un officier de Dieu ! 


-Warren, vous avez plus de cinq chefs d'inculpation contre vous, je dois savoir la vérité et rien que la vérité. 


-Je vous dit la vérité ! 

 

Pour Warren, la nuit ainsi que les suivantes furent très courtes, la préparation au procès est si intense, il découvre des faits, des témoins, il ne comprend pas ce qu'il se passe, il a beau se creuser les méninges, il ne comprend pas ce qu'il se passe. Il se rappelle d'une conversation avec son avocat, il arrive transpirant, nerveux, une mauvaise nouvelle, oui, il lui présente une mauvaise nouvelle. Une phrase, le garçon n'a prononcé qu'une seule phrase qui résonne encore dans sa tête.


-Warren, je viens d'apprendre que le procès serait diffusé à la télévision, dans tout le pays. 


Un procès télévisé ? Mais pourquoi ? Warren ne comprend pas, mais il va très vite découvrir toute cette mascarade, car demain, c'est le grand jour et il sera vêtu de sa tenue de pasteur, parfaitement rasé, le vieillard doit faire bonne impression. 

Le soleil brille de mille feux et l'air est frais, un temps idéal à New-York, les rues sont étrangement silencieuses et devant le tribunal se trouvent des dizaines de journalistes prêts à capturer le moindre détail de l'affaire. Des centaines de spectateurs attendent leur tour, des jeunes, vieux, étudiants en histoire ou rescapés de la Shoah entrent lentement foulant le parvis sacré de la grande salle d'audience. Dedans, l'air est bien plus pesant, à gauche se trouve l'accusation représentée par Philipp Kholer, un Allemand tout droit venu de son pays natal, bon sang, Warren ne pouvait pas tomber sur pire, cet homme est connu pour avoir fait tomber tous les bourreaux, si tant est qu'ils soient vraiment coupables. Ensuite, se trouvent le juge Dieter Schwartz et sa seconde Doreen Maier, tandis que lui est une personne relativement neutre, Doreen est une ancienne victime de la Shoah, le procès semble être contre Warren. 

 

Puis c'est le calme plat, les spectateurs font silence tandis que les juges entrent dans la salle. Les avocats aussi, puis avec un lourd bruit de chaînes, Warren entre dans la pièce, sa longue tenue ecclésiastique surprend le public, il n'a rien a se reprocher, il est innocent.

 

-L'état d'Isarël contre Monsieur Warren Bellinghton. L'audience est ouverte.

 

Israël ? Comment ça Israël ? Pourquoi le procès se déroule aux Etats-Unis alors ? Les caméras tournent, font des gros plans, le public est bouche bée, devant se trouvent des victimes de la Shoah prêtes en découdre. Warren comprend l'enjeu de ce procès, ce n'est pas seulement une volonté de juger un potentiel bourreau, mais de prouver que les Etats-Unis aussi sont les vainqueurs de la guerre. Souvenez-vous, on a longtemps reproché aux Américains d'engager des nazis en fuite dans des institutions comme la CIA, il faut bien se dédouaner maintenant non ?

 

Dans la salle, l'ambiance est pesante, certains spectateurs huent le vieillard, d'autres se parlent entre eux, le silence n'est pas complet et malgré un manque d'impartialité, le juge décide de poursuivre le procès.

 

-Veuillez décliner votre nom, annonce le juge.

 

-Warren John Bellinghton, dit-il en se levant

 

-Vous devez jurer de dire la vérité, rien que la vérité.

 

-Je le jure, dit-il en levant sa main droite

 

-Warren, vous êtes jugés pour avoir été Meinhard Altdorfer surnommée Caligula ayant travaillé à Chelmno et dans la Gestapo. On vous accuse d'avoir servi intentionnellement Hitler dans sa volonté d'exterminer le peuple juif. Qu'avez-vous à dire pour votre défense ?

 

-Que ces accusations sont totalement fausses. Messieurs, mesdames, je suis un simple pasteur dans un petit village nommé Stowe, je ne suis pas cette personne. Et je ne suis pas celui que vous surnommez Caligula, mon unique surnom est mon père et je ne sers que Dieu dans sa volonté d'éclairer les âmes perdues.

 

-Vous niez donc l'accusation ?

 

-Oui votre honneur, je suis innocent

 

-Faites entrer le premier témoin, annonce l'accusation 

 

Dans la pièce entre un vieil homme, le crâne dégarnit et la démarche hésitante 

 

-Monsieur, veuillez décliner votre identité.

 

-Je suis Salomon Pziak, fils de Dov et Helena Pziak, je suis né à Łódź le 5 mai 1930. J'ai été déporté avec ma famille le 5 mai 1942, le jour de mes 12 ans, ça, je m'en souviendrais toute ma vie.

 

-Vous souvenez-vous de votre arrivée à Chelmno ?

 

-Nous étions entassés dans des wagons à bestiaux pendant des heures et des heures, sans avoir ni à manger ni à boire. Une fois arrivés, on nous jetais dehors sous les aboiements des chiens. 

 

-Quel était votre rôle à Chelmno ? 

 

-Je travaillais dans une carrière de pierre.

 

-Et vos parents ?

 

-Je ne les ai plus jamais revus, ils ont été placés dans une autre file que la mienne, la dernière chose que mon père m'a dite est "fais attention en marchant", dit-il en larmes. Et tous les jours, je voyais un homme, un très grand homme, imposant avec son uniforme et son chien, il avançait lentement, très lentement dans la carrière et il fixait tout le monde du regard. Je me souviens encore de son sourire, car il avait deux dents sur le côté en argent, c'était horrible monsieur le juge, horrible

 

-Je vous remercie, vous pouvez disposer

 

-Nous appelons à la barre, Ivor Moreno

 

Un autre vieil homme le pas plus assuré arrive.


-Je suis né en 1907 à Varsovie. J'avais une femme et deux enfants que cet homme Caligula à tuer, c'est lui Caligula, c'est lui ! 


- Objection votre honneur, personne ne lui a posé de questions


-Accordé, veuillez oublier ce qu'à dit le témoin. M.Morello, veuillez décliner votre identité et votre rôle à Chelmno 

 

-Je n'étais pas à Chelmno !


-J'étais à Mauthausen et je vous promets votre honneur que cet homme était gardien là-bas ! Je le reconnais entre mille, je me souviens de son surnom, on l'appelait "żelazny uśmiech" à cause de ses dents en argent !


-Veuillez traduire tout propos en langue étrangère M.morello 


-Ça signifie sourire de fer, cet homme était le mal incarné et je me souviens de ses yeux bleus, je me souviens de sa manière de tabasser les détenus, de comment il jouait avec les.. Corps, il était cruel si cruel et le reconnaît entre mille votre honneur, entre mille !


-M.Morello, voici cinq photographies d'hommes ayant été gardiens à Mauthausen. Ce sont les cinq gardiens que nous n'avons pas encore retrouvés et qui sont possiblement encore en vie, posé votre index sur celui qu'est Caligula.


-Celui-ci votre honneur, oui, celui-ci 


Le témoin pointe du doigt un homme âgé d'un peu plus de quarante-ans. L'avocat de l'accusation montre alors à l'audience et aux jurés deux papiers d'identité : ceux de Meinhard Altdorfer en 1942 ainsi que ceux d'un certain Mark Werner arrivé aux États-Unis en 1946. 


-Votre honneur, le témoin à montré du doigt l'homme numéro 6 qui est Meinhard Altforder comme vous pouvez le voir sur ces papiers d'identité. Ici, nous avons la preuve formelle que Warren Bellinghton est non seulement arrivé aux États-Unis au même moment, mais s'est mariée la même année ! De plus, les témoignages témoignent de ses dents en argent, chose que l'accusé possède comme vous pouvez le voir sur cette photo que nous avons prise ce matin.


-Votre Honneur, nous n'avons pas eu connaissance d'aucuns de ces documents, nous demandons une heure de suspention pour les consulter avec mon client 


-Très bien, une heure vous est accordé, l'audience est suspendue


Le marteau tape deux fois puis Thomas Orlowski ainsi que Warren se rendent dans un petit bureau juste derrière la salle d'audience. Accablé, l'avocat n'a jamais eu affaire à une telle situation, aussi délicate qu'incertaine, il reste convaincu de l'innocence de son client.


-Pourquoi ne pas m'avoir dit cela ? Warren, êtes-vous arrivés dans ce pays en 1946, la même année que votre mariage ? 

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