Son sac sur le dos, Maïwenn prit place derrière Mathias et à peine sortis du quartier, ils croisaient une voiture de police, gyrophare allumé.
Il s'en est fallu de peu. Ça y est, je suis une fugitive. Maintenant, je suis bloquée avec lui. Plus de retour en arrière possible.
Les roues de la moto frémissaient sous les pavés du centre-ville de Quimper et le bruit du moteur était amplifié dans les petites rues étroites. Il stoppa son engin au pied d'un petit immeuble au fond d'une voie sans issue et demanda à Maïwenn de l'attendre là. Elle le vit alors appuyer sur l'interphone de la porte d'entrée puis pénétrer dans le hall.
Le tour à moto l'avait complètement vidée, elle était à bout de nerfs et l'attitude directive de Mathias n'arrangeait rien.
Quelques minutes plus tard, ce dernier redescendit en compagnie d'un autre homme. Plus âgé, son visage paraissait avenant sous son épaisse chevelure bouclée. Il se dirigea vers elle avec un grand sourire et lui serra la main d'une poignée franche qui la rassura immédiatement.
— Philippe.
— Maïwenn.
— Oui, je sais qui tu es, Mathias m'a beaucoup parlé de toi.
— Euh, il ne faut pas exagérer. Il est vrai que son cas est intriguant, c’est tout, s'empressa de rectifier ce dernier.
— Alors comme ça, tu es la petite fille de Pierre ?
— À ce qu'il parait.
— J'espère que mon intervention vous aidera à mettre les choses au clair, reprit l’homme tout en lui faisant signe de le suivre.
Son appartement se trouvait au dernier palier et faisait la surface de l'étage. La décoration était moderne et très soignée malgré les jouets de ses deux enfants qui traînaient sur le sol. Divorcé, Philippe avait leur garde une semaine sur deux et n'avait pas eu le temps de nettoyer son intérieur ce qui le mettait très mal à l'aise. Après avoir caché rapidement le désordre, il était plus disposé à écouter Mathias lui résumer la situation et fut lui aussi très surpris des méthodes employées.
— J'ai le droit de savoir ce que nous faisons ici maintenant ? demanda Maïwenn, un peu agacée.
— Mathias ne t'a rien dit ? s’étonna Philippe en se tournant vers lui.
— C'est-à-dire qu'avec la police aux trousses, je n'en ai pas eu le temps, se défendit le jeune homme. Philippe est pharmacien, il a sa propre officine et il a des relations dans les laboratoires qui peuvent nous aider.
— Ce qu'apparemment Mathias a du mal à te dire sans tourner autour du pot, c'est que je vais te faire une prise de sang que je transmettrai à des collègues pour savoir si tu fais bel et bien partie de la famille de Pierre.
— Non mais vous rêvez debout ou quoi ?! Pas question ! Merci d'abréger le suspens cela dit, heureusement que tu es là pour me tenir au courant ! souffla la jeune fille.
— Excusez-moi votre altesse de ne pas avoir pensé vous communiquer tous les détails de mon plan, mais toi non plus tu ne m’avais pas tout dit, notamment sur l’arrestation de ton père, rétorqua Mathias d’un ton méprisant.
À cette réflexion, le sang de Maïwenn ne fit qu'un tour. Elle était stressée et en avait assez de se faire mener par le bout du nez alors qu'il avait besoin d'elle.
— Je n’ai rien demandé. Depuis que je te connais, je n'ai que des problèmes. Ma grand-mère va mal, mon père est en prison, ma mère veut m'enfermer et la police me recherche. Je t'ai défendu ce soir et là en plus, tu voudrais mon sang ! Pour qui tu te prends à la fin ? Tu veux que je t'aide ? Parle-moi sur un autre ton.
— On se calme, dit Philippe, un brin amusé. Vous avez besoin l'un de l'autre, que vous le vouliez ou non. Je te connais Mathias, je connais ton côté solitaire. Si tu veux résoudre cette enquête, il va falloir effectivement que tu changes d'attitude avec elle,. Quant à toi Maïwenn, une prise de sang est un moindre mal par rapport à un internement, exposa l’homme avant de quitter la pièce.
Un calme olympien régnait alors.
— Je... Je suis désolé... Voilà, tu es contente ? cracha presque Mathias.
— Je ne suis pas contente si tu ne le penses pas. Je viens de tout quitter pour je ne sais combien de temps et bloquée avec quelqu'un comme toi... Cette situation n'est pas évidente pour moi non plus.
— Quelqu'un comme moi, que veux-tu dire ?
— Toutes ces histoires de Guide, de trahison, de règles... Ce n'est pas mon monde.
— Écoute, je n'ai jamais été très doué avec les gens. Le sujet est clos si tu veux bien, repartons sur de bonnes bases.
Maïwenn acquiesça et sortit de sa poche la feuille qu'elle avait prise chez Pierre puis complètement oubliée par la suite.
— Peux-tu me remontrer la chevalière, s'il te plaît, je crois que je tiens quelque chose.
Mathias s'exécuta et lui tendit l'objet. Elle l'ouvrit pour en extraire la clé, la posa sur la feuille et lui fit signe de regarder. Le sigle sur la clé était en tout point identique à l'en-tête de la page. Il s'agissait d'un relevé de compte d'une banque étrangère.
— Alors là Maïwenn, j'applaudis des deux mains, quelle trouvaille, heureusement que je t'ai !
— Oui, enfin, n'en fais pas trop non plus. Tu n’es pas crédible. Cependant, je dois bien avouer que je suis assez fière de moi sur ce coup. Il ne reste plus qu'à trouver où se situe exactement cette banque. D'après l'adresse tout en bas, c'est en Grande Bretagne, à Southampton.
Philippe ne tarda pas à revenir dans la pièce vêtu d'une blouse blanche et tenant une seringue sous film protecteur. Il s'installa en face de Maïwenn.
— Maïwenn, acceptes-tu que je te fasses cette prise de sang ? demanda le pharmacien.
L'intéressée grommela mais retroussa sa manche et tendit son bras.
— Juste une question. Ton ami ne va pas trouver louche que tu lui demandes de faire ces tests ?
— Tu sais Maïwenn, nous sommes partout, même dans les labos. En plus, c'est un sympathisant de Pierre, il saura être discret, répondit le pharmacien tout en regardant Mathias.
— Tout s'est enchaîné tellement vite ; je n'ai pas eu le temps de tout lui expliquer en détail, mais ça viendra au fur et à mesure, se justifia le jeune homme.
— On passe à la suite ? demanda Philippe tout en rangeant les échantillons de sang.
— La suite ? s’inquiéta Maïwenn.
— Ah, ça non plus ! s’insurgea le pharmacien.
— Non. Encore une fois, pas le temps ! Maïwenn…
— Mathias…
— Le Visio-nerf nous a montré que tes souvenirs avaient été altérés, déclara le Guide.
— J’étais sûre que tu me cachais quelque chose ! s’emporta-t-elle.
— Calme-toi, lui demanda Mathias d’un air désinvolte.
— Arrête de me prendre de haut. On voit bien que ce n’est pas à toi que tout cela arrive ! rétorqua la jeune femme tout en pressant un coton dans le creux de son bras.
— Elle n’a pas tort, approuva Philippe avant de quitter la pièce une nouvelle fois.
— Il va nous aider, ne t’inquiète pas et laisse-toi faire, tempéra le Guide en pointant dans la direction de leur hôte.
— ça me rassure tiens ! ironisa Maïwenn.
Puis, Philippe réapparut avec un dictaphone qu’il posa sur la table basse près d’elle et pressa la touche d’enregistrement.
— Ok, tu dois te détendre et me laisser entrer dans tes souvenirs, lui annonça-t-il.
— Vous allez m’hypnotiser ? interrogea la jeune femme en s’enfonçant un peu plus dans le canapé du salon.
— C’est un peu ça oui. Je vais t’aider à débloquer tes vrais souvenirs. On peut y aller ? s’assura Philippe en même temps qu’il lui prenait les mains.
Maïwenn acquiesça et poussa un long soupir pour s’apaiser. Elle n’était pas sereine face à l’expérience qui l’attendait, d’autant qu’elle appréhendait ce qui allait refaire surface. Mathias s’assit sur un fauteuil à bonne distance et attendait avec impatience le résultat de cette séance. Il avait besoin de matière pour son enquête.