Chez Pierre

La maison de Pierre se situait à plusieurs kilomètres de là, loin des regards indiscrets. Mathias arrêta sa moto devant un haut portail en fer forgé. Derrière celui-ci se dressait une forêt de chênes et de pins. Seule une longue allée de terre indiquait le chemin à suivre pour rejoindre la maison. Il se dirigea alors vers l'un des poteaux de maintien du portail pour entrer un code sur l'interphone. Le portail s'ouvrit immédiatement et le jeune homme redémarra sa machine pour traverser l'allée. La nuit n'était pas encore tombée et pourtant, la pénombre régnait tant les arbres étaient hauts. L'atmosphère était même étouffante, à tel point que Maïwenn, plus cramponnée que jamais à son conducteur, se serait crue dans un film de série z d'où elle et son compagnon ne ressortiraient jamais vivant. La maison était là, à une centaine de mètres. Sobre, ce n'était pas le manoir qu'elle s’attendait à trouver dans un cadre pareil. Au contraire, c'était une demeure simple, sur deux étages. Mathias gara sa moto derrière le garage, séparé du reste de la maison.

— Pourquoi se cacher, la maison n'est pas vide ?

— Elle l'est, pour l'instant. La femme de Pierre est partie dans sa famille dès la première garde à vue. Toute cette histoire n’est pas claire et il se pourrait que nous ne soyons pas les seuls à venir ici.

Ils firent le tour de la maison pour arriver sur la terrasse. Une grande baie vitrée permettait d'accéder à l'intérieur du salon.

— Ils ont fait rénover tout le bas de la maison il y a cinq ans. Si on a de la chance, ils n'auront pas verrouillé avant de partir.

— Attends... Ça complote à tout-va et ils ne fermeraient pas chez eux ? Et comment sais-tu tout cela sur eux ?

Le jeune homme tira la poignée de la baie vitrée qui s'ouvrit aussitôt. Les jeunes gens se regardèrent, l'un satisfait de lui, l'autre atterrée que ce soit ouvert, puis ils pénétrèrent dans le salon. Il faisait très sombre à l'intérieur, impossible de distinguer quoi que ce soit. Maïwenn sortit alors de son sac une lampe-torche pour éviter d'allumer les lumières et suivit Mathias dans le vestibule.

— Tu n’as pas répondu, comment sais-tu tant de choses sur eux ? insista Maïwenn.

— Je suis enquêteur. La famille Godest est la plus influente des Guides de la région, je me dois de connaître certains détails.

— Mouais, si tu le dis, rétorqua la jeune femme peu convaincue.

Ils montèrent ensuite à l'étage pour fouiller le bureau de Pierre. Les volets étant fermés, Mathias alluma le plafonnier.

Maïwenn découvrit alors une pièce au style épuré. Le sol était fait d'un parquet très clair qui s'accordait parfaitement avec les murs peints de couleur beige, ornés de quelques photos de bateaux. Des deux côtés de la porte, se trouvaient des armoires de classement et au milieu de la pièce, un bureau soigneusement rangé. Le regard de Mathias fut attiré par le répondeur du bureau qui clignotait. Il appuya sur la touche de lecture pendant que Maïwenn jetait un œil aux anciens dossiers dans les armoires.

« Pierre, c'est Richard, je reviens juste de Polynésie, j'ai vu Noelyse. Nous devons parler. Rappelle-moi. »

— Qui est Noelyse ? interrogea Maïwenn.

— Aucune idée, personne dans la famille ne s'appelle comme ça à ma connaissance.

— Et une interrogation de plus, une !

Mathias continua sa fouille des différents tiroirs du bureau, mais après une vingtaine de minutes de recherches infructueuses, le jeune homme commençait à perdre patience. Il soulevait frénétiquement chaque photo des murs en quête d'un coffre, sans aucun résultat. Ils allaient abandonner et quitter la pièce lorsqu'un bruit de vitre brisée se fit entendre au rez-de-chaussée.

— Vite, Maïwenn, cache-toi sous le bureau.

— Arrête de me donner des ordres, maintenant ça suffit !

Des voix s'élevèrent dans le salon. Elle glissa une feuille du dossier qu'elle consultait dans sa poche puis, s'accroupit sous le bureau pendant que Mathias éteignait la lumière avant de la rejoindre.

Au moins deux personnes saccageaient le rez-de-chaussée. Très vite, les intrus visitèrent les différentes pièces de l'étage en mettant toujours autant de cœur à tout retourner sur leur passage. Maïwenn sentait son pouls battre de plus en plus fort alors que les pas des hommes s'approchaient du bureau. Elle regarda Mathias, cherchant dans ses yeux un peu de réconfort, mais elle n'y trouva que de l'excitation. Alors qu'elle était morte de peur, lui, au contraire, n'attendait qu'une chose : qu'ils entrent dans la pièce. Il était à l'écoute du moindre indice qui lui permettrait de reconnaître les intrus. Il regarda Maïwenn avec un petit sourire. Elle lui prit le bras pour tenter de le calmer et de lui faire comprendre qu'elle n'était pas rassurée, mais c'est aussi à cet instant que la porte du bureau s'ouvrit. Elle lui lâcha le bras pour mieux se recroqueviller sur elle-même et regarda dans le reflet de la fenêtre l'homme sur le pas de la porte, éclairé uniquement par les lumières du couloir. Il s'avança et alluma le plafonnier.

— On aura peut-être plus de chance ici, tu ne crois pas Lukian ? dit-il en direction du couloir.

— J'espère bien. Nous ne pouvons pas rentrer les mains vides. Il nous faut des documents contre lui ou contre le père de la folle dingue.

La peur qui avait tétanisé la jeune femme quelques minutes plus tôt s'était tout à coup transformée en rage en les entendant parler ainsi. C’est aussi à ce moment-là que Mathias sauta par-dessus le bureau et fonça sur Lukian. Il lui assena un coup de poing au visage puis un deuxième dans l'estomac. Ce dernier n'eut pas le temps de se défendre et tomba contre l'une des armoires qui manqua de se renverser sur lui. L'autre homme saisit Mathias par derrière pour l'immobiliser, mais celui-ci réussit à se dégager. À son tour, il lui tordit le bras droit dans le dos jusqu'à ce que son agresseur soit à genoux hurlant de douleur. Un troisième homme entra et aida Lukian à se relever. Tous deux se jetèrent sur Mathias qui fut projeté par-dessus le bureau, aux pieds de Maïwenn. N'écoutant que sa rage, elle se saisit de la lampe de bureau et frappa lourdement l'un des hommes qui s'écroula immédiatement. Elle se tourna ensuite vers Lukian, qui frappait Mathias toujours à terre et le saisit par le pull, emportée par la colère qu'elle accumulait depuis quelques semaines.

— Folle dingue, hein ? Apprenti Varlarc'h ou pas, il y a un endroit que tu ne peux pas protéger, hurla-t-elle avant de le frapper à l’entre-jambe.

Lukian se tordit de douleur au sol, à côté de Mathias qui se relevait difficilement. Il ne restait plus que le dernier homme, qui se tenait le bras droit, probablement cassé. Il se releva avec peine, mais détermination et commença à s'approcher d'elle d'un air menaçant. L'adrénaline tenait encore Maïwenn vaillante et elle n'avait pas peur de le corriger, mais celui-ci resta figé, eut une fraction de seconde d'hésitation puis partit en courant. Elle, fière de l'avoir fait fuir, soupira de satisfaction et fit demi-tour pour aider Mathias. Ce dernier se tenait déjà debout juste derrière elle et avait repris tous ses esprits.

— Tu ne croyais pas vraiment que ta carrure avait suffi à faire fuir un apprenti ? dit-il en riant.

— Je viens de te sauver la mise. À ta place, je ne la ramènerais pas trop.

Il ignora sa remarque et se dirigea directement vers la porte.

— Allez la boxeuse, on y va !

— On ne va pas le laisser là, je l'ai peut-être tué ! dit-elle en pointant l'homme qu'elle avait assommé.

— Non, tu ne l'as pas tué, dit-il en riant de plus belle. Allons-y avant qu'ils ne reviennent plus nombreux.

Il laissa passer Maïwenn en premier dans le couloir et s’approcha de Lukian, qui se tordait toujours de douleur.

— Je n'aimerais pas être à ta place Lukian. Quand je pense que tu suis une formation pour devenir un grand guerrier et que tu te fais laminer par quelqu’un sans entraînement.

Il se dirigea ensuite vers l'homme que Maïwenn avait assommé et vérifia son pouls.

Mais pourquoi j'ai vérifié, elle n'aurait pas pu le tuer.

Il se releva, eut un instant de réflexion sur son geste puis sortit de la pièce un petit sourire malicieux aux lèvres. Il rejoignit ensuite Maïwenn dans le salon où il put constater l'ampleur des dégâts. Lukian et ses hommes avaient éventré le canapé, ouvert et vidé tout ce qui pouvait l'être.

— Nous devons partir avant qu'ils aillent mieux, lui assura la jeune femme.

L’adrénaline redescendant, Maïwenn sentait une grande fatigue l’envahir alors qu’ils roulaient vers Concarneau. Sur la route, ils furent dépassés par plusieurs camions de pompier, sirènes hurlantes. À l'entrée de la ville, s'élevait une épaisse fumée en provenance de la ville close.

Mathias fit alors un détour pour voir de quoi il s’agissait et gara sa moto sur la place du centre, là où les pompiers avaient pris position. Rapidement, il descendit de son engin et traversa la route le séparant de l’entrée de la ville close pour se renseigner. Il apprit alors qu'un magasin avait pris feu. L’incendie avait été maîtrisé, mais l’accès à la citadelle restait interdit, même aux riverains qui s’étaient réfugiés sur la place.

Mathias comprit immédiatement que le magasin en question était la librairie. Conscient qu’ils étaient en danger, il fit demi-tour pour rejoindre Maïwenn, mais alors qu’il s'engageait sur le passage piéton, une voiture manqua de le renverser. Les policiers, un peu plus loin, étaient trop occupés pour y prêter attention, mais Maïwenn par contre avait assisté à la scène et se précipita à la rencontre du jeune homme :

— Ce n'est pas une coïncidence, c'est la librairie qui a brûlé, j'en suis sûr, déclara Mathias en entrainant Maïwenn vers sa moto.

— Pourquoi on ne va pas voir la police alors ?

— Pour leur dire quoi ? Nous n'avons aucune preuve. Je vais dormir avec toi cette nuit. J'aime autant rester près de toi au cas où.

— Euh… Dormir avec moi ?

— Chez toi, chez toi, rectifia le jeune homme.

Cette tentative d’humour mise à part, Maïwenn prenait conscience de la gravité des évènements et réalisait qu'elle était entrée dans un engrenage qui la dépassait complètement. Devant la porte de la maison, l'idée que cet incendie soit d'origine criminelle lui trottait tellement en tête qu'elle n'arrivait pas à mettre la main sur ses clés. Las d'attendre Mathias s’adossa à la porte qui s'ouvrit sans résistance.

— Tête de linotte, tu avais oublié de la fermer, se moqua-t-il.

— Euh... Non pas du tout.

— Allez, ça arrive d'oublier.

— Pourquoi faut-il toujours que tout le monde doute de moi ? Au lieu de ça, tu devrais te demander qui a bien pu l'ouvrir. Laisse-moi passer, intima la jeune femme.

Elle le bouscula et entra, bien loin d'imaginer ce qu'elle allait trouver. Tout comme chez Pierre, les coussins avaient été éventrés, les chaises brisées, même le téléviseur n'avait pas été épargné et gisait sur le sol. Le même désastre les attendait dans la cuisine, la chambre de Jeanne et à l'étage. Devant ce spectacle, Maïwenn s'assit sur son lit, complètement abattue. La similitude dans la méthode de saccage était trop grande pour qu'il s'agisse d'une coïncidence. On voulait l'effrayer et c'était réussi. Comment allait-elle expliquer cela ? Elle n'eut pas le temps d'y réfléchir, car son portable ne tarda pas à sonner et c'était sa mère, proche de l'hystérie :

— Qu'est-ce que tu fabriques ? C'est la cinquième fois que j'essaie de t'avoir ! Tu deviens folle ou quoi ? Tu te drogues ?

— De quoi tu parles. Pourquoi es-tu énervée comme ça ?

— Tu es chez ta grand-mère ?

— Oui.

— Je viens d'avoir un coup de téléphone de la police. Quelqu’un dit t'avoir vue saccager la maison. C'est vrai ?

— Bien sûr que non, pour qui tu me prends ? Je viens de rentrer, la maison a été cambriolée.

— Cambriolé ? Ton père est toujours en garde à vue et maintenant ça ? Je ne sais pas ce qu’il se passe, mais ça ne me plaît pas du tout. Peut-être es-tu sortie trop tôt de la maison de repos. Le médecin de Jeanne m’a appelé, il m’a dit que tu avais un comportement instable. La police ne va pas tarder à être là et tu verras avec eux, fini sa mère sans même cacher sa suspicion.

— Comment peux-tu penser une seule seconde que je puisse faire ça ?

Sa mère avait déjà raccroché et Mathias, alerté par ses cris, l'avait rejoint.

— Quelqu'un a appelé la police pour leur dire que j'avais saccagé la maison. Ils l'ont cru et une patrouille arrive, c'est quoi ces conneries ?

— Nous devons partir au plus vite, rassemble tes affaires, dit Mathias avec fermeté.

— Partir ? Si je fais ça, ils vont forcément croire que c'est vrai !

— Réfléchis deux secondes. La maison de Pierre, la librairie, maintenant ici. Ton père est en garde à vue et toi aussi tu seras bientôt accusée de ce meurtre si on ne prouve pas le contraire. Les Varlarc'h de Richard sont derrière tout cela. Les enjeux sont trop importants pour qu'il nous laisse prouver que Pierre est innocent. Ta mère aurait cru à une chose pareille il y a quelques mois ?

— Non, bien sûr que non.

— Ne cherche pas. Elle est manipulée, probablement dans son sommeil.

— Je croyais que vous aviez des règles ? Que les Varlarc'h étaient des gardiens ?

— Les Varlarc'h, sont formés pour protéger le secret des Guides et là, nous le menaçons. Estime-toi heureuse de n'avoir eu à faire qu'à des apprentis, car sinon, tu ne les aurais pas assommés avec une lampe.

Maïwenn, qui avait toujours eu une vie rangée, se retrouvait sans trop savoir pourquoi au cœur d'une machination. Elle ramassa dans son sac de voyage les vêtements éparpillés au sol puis rampa sous son lit pour décrocher le journal de Jeanne qu'elle avait pris soin de scotcher au sommier.

Comme quoi ça a du bon d'être paranoïaque de temps en temps.

Elle se rendit ensuite dans la salle de bains pour compléter son nécessaire de voyage, puis dans la cuisine. Elle ouvrit le seul tiroir non vidé de cette pièce, celui des couverts, en vida son contenu et saisit une liasse de billets que sa grand-mère avait l'habitude de cacher en dessous.

Elle empocha les trois-cents euros et rejoignit Mathias qui commençait à s'impatienter dehors.

— Tu en as mis du temps, allez, on file, j'ai entendu des sirènes. On prend ta voiture.

— Tu rigoles ou quoi ? Je ne te pensais pas aussi amateur. Tu ne regardes jamais de film policier ? S'ils me recherchent, ils vont aussi rechercher ma voiture.

— Alors là, tu m'impressionnes. C'est vrai, je n'y avais pas pensé. Bien vu.

— Contrairement à ce que tu as l'air de penser, il m'arrive d'avoir de bonnes idées.

— Non, je ne pense pas ça... On prend ma moto alors, monte.

— Et où allons-nous ?

— À Quimper, je t'expliquerai.

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Den ar vilin
Posté le 18/06/2024
Ma foi, voilà donc un chapitre plus que mouvementé. Et on est au milieu de tout ça, comme Maïwenn on ne comprend plus rien à ce qui se passe, on se contente de subir. C'est très entrainant en tout cas.
Quand tu publieras la suite, compte sur moi pour la lire avec grand plaisir.
À bientôt ^^
Portequigrince
Posté le 16/07/2024
Merci beaucoup pour tes retours, c'est très important car cela me permet de voir si je suis sur la bonne voie ou complètement à côté!
A bientôt j'espère
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