Rencontre

Par Rachael

1642 AÉ, 137e

Meldelud, vaisseau de la flotte fédérale, il y a onze ans.

 

Je crois bien que je l'ai haï dès le premier regard. Par quelle lubie le haut commandement de la flotte fédérale m'envoyait-il un gosse de dix-neuf ans, auréolé d'une gloire héritée de la dernière bataille, pour évaluer la dangerosité des télépathes du vaisseau capturé ? Un gamin, un civil, un héros ! Et un putain de spion !

 

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La prise de Chuoo avait constitué le premier accroc dans notre tranquillité trompeuse de civilisation spatiale pacifique et avancée. Comment un homme avait-il pu mettre à sa botte le pouvoir fédéral liant une quarantaine de planètes, rien qu'en s'emparant de Chuoo, le satellite artificiel abritant le gouvernement ?

Chuoo, ainsi que les transports spatiaux dont le satellite était le nœud central, pour être plus exact. Il fallait quand même être diablement fort pour repérer et exploiter cette faille du système, cette faiblesse au cœur de la structure : qui maîtrisait les transports contrôlait tout !

Pendant près de dix ans, le gouvernement sur Chuoo était devenu une farce, un instrument d'extorsion, profitant de son monopole sur les transports pour taxer le commerce entre les planètes. Les meilleurs stratèges ne comprenaient toujours pas comment un tel système avait tenu aussi longtemps. À moins que l'homme à la tête de ce mécanisme possède des capacités hors du commun, comme le prétendait la rumeur. Était-ce pour cela qu'il se faisait appeler le dragon ?

La libération de Chuoo, la tentative de reconquête du dragon, la lutte contre lui, nommée commodément guerre du dragon, tout cela ne fut que péripétie. Le cœur de la question restait la nature de l'usurpateur que nous avions réussi à déloger, dans des circonstances un peu obscures à vrai dire... comme si l'État-major avait regimbé à révéler la vérité nue, à troubler la quiétude des peuples de la Fédération.

Il n'est d'ailleurs pas douteux que l'armée fédérale, dès cette époque, connaissait l'existence de télépathes possédant des pouvoirs surhumains, bien au-delà des « simples » capacités d'espionnage des spions ordinaires.

Quant à moi, si je n'étais pas dans la confidence des secrets d'État, j'avais rempli mon rôle ; après la dernière bataille, j'avais hérité d'un vaisseau saisi à l'ennemi dans le secteur fédéral que je commandais. Le dragon y avait rassemblé sa collection de trophées : télépathes de tous âges, hommes, femmes et enfants arrachés aux quatre coins de la Fédération pour son agrément. Si j'étais persuadé de leur malignité, l'État-major, lui, cherchait comme toujours à juger, évaluer, mesurer, et il m'envoyait pour cela sa dernière trouvaille.

 

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J'ai su dès le moment où j'ai posé les yeux sur lui que les choses allaient mal tourner pour moi.

En bon Nigatien, j'avais déjà pris mes propres mesures pour disposer de ces spions. Ce vaisseau était un tel clin d'œil du destin !Comment ne pas m'estimer investi de la mission de débarrasser l'univers de ces créatures nuisibles ?

En dehors de Nigato, les chasseurs n'appartiennent à aucune guilde, ce qui ne signifie pas pour autant qu'ils n'existent pas. Qu'ils soient considérés comme des démons ou comme des humains aberrants, les spions sont partout mis à l'index. Comment supporter que quiconque fouille en toute impunité au plus profond de votre cervelle ? Les groupuscules d'agités prêts à partir au combat ne manquaient pas. Il avait suffi de leur fournir les plans du vaisseau capturé, puis de réduire a minima la garde affectée à celui-ci.

C'était la première fois que je trahissais l'armée. Je n'en éprouvais pas de remords. Impossible de laisser passer l'occasion de débarrasser le monde de la quarantaine de monstres rassemblés là en un lieu unique.

Un de plus ou un de moins, cela ne me gênait pas beaucoup en théorie, cependant en pratique, sa présence multipliait les risques.

Je savais par mon entraînement militaire que j'étais difficile à lire pour un spion, mais celui-ci n'avait pas du tout l'air du même calibre que les télépathes utilisés avec parcimonie dans la flotte.

Je me suis efforcé de l'éviter au maximum, déléguant aux officiers subalternes le soin de traiter avec l'équipe envoyée par le haut commandement. Il n'a pas percé mes défenses : une retenue à mettre à son crédit ou la conséquence de ma prudence ?

Difficulté supplémentaire, j'avais peu de moyens de convaincre les exterminateurs, qui agissaient avant tout pour leur propre compte, de différer leur attaque.

Les détails d'une si vieille affaire importent peu, et l'honnêteté m'oblige à dire que leur narration in extenso me causerait un certain déplaisir. Allons donc à l'essentiel : évidemment, le pire s'est réalisé, comme dans les mauvais films où le héros providentiel arrive pile au moment opportun pour sauver le monde. L'attaque des chasseurs a eu lieu alors qu'il se trouvait sur le vaisseau capturé, occupé à évaluer les prisonniers. Il l'a fait échouer, il a été blessé, et moi, je me suis retrouvé inculpé de haute trahison.

C'est là que ma vie a déraillé... dès notre première confrontation et sans que nous ayons échangé plus que quelques mots de politesse officielle.

 

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Kittylou
Posté le 03/05/2015
Coucou, Rachael =) 
Me revoilà pour le triptyque !
Chapitre 4 : Oh là, c’est chouette de voir comment ton univers s’enrichit un peu plus à chaque chapitre. J’ai bien aimé la description du vaisseau que tu compares à l’arche de Noé (en lisant le titre du chapitre, au début, j’ai cru que c’était le nom d’une personne ^^). Ça fait un peu huis clos ce côté où l’équipage vit enfermé, séparé du monde extérieur avec l’insécurité de ne pas être reconnu par les autorités.  Le vaisseau semble immense pour seulement vingt personnes (« une boîte de conserve grand luxe », j’aime bien cette comparaison)  et l’ambiance doit vraiment être oppressante.
Au moins, Sengo n’est pas obligé de rester tout le temps à bord du Maxilien Roska. Six mois, c’est looong…Alors, il ne voit l’Autre que deux fois par an ? Ce qui est intéressant dans leur relation, c’est qu’il a besoin de lui mais en même temps, il le déteste. L’Autre m’a donné un peu l’impression d’une « drogue », d’un moyen pour Sengo d’apaiser son esprit et trouver la force de ne pas divulguer ses secrets. Je me demande si on découvrira le nom de l’Autre ou s’il restera toujours aussi mystérieux.
Chapitre 5 : une petite question, qu’est-ce qu’un spion ? ça me fait penser un peu à espion ^^
Je suis curieuse d’en apprendre plus sur le dragon. J’aime bien tous ces détails qui laissent sous-entendre une « histoire plus grande » avant celle de Sengo.
Plus on avance dans le récit, plus j’ai l’impression que Sengo semble avoir une grande part de noirceur en lui. Il a trahi l’armée sans le moindre remord et quand il dit « la première fois », ça n’annonce rien de bon. C’est intéressant de voir qu’il ne semble loyal envers personne, ni envers l’armée ni envers l’Autre.  
Encore une fois, un chouette moment de lecture =)
Rachael
Posté le 03/05/2015
Salut Kittylou,
En fait il sont plutôt bien sur leur grand vaisseau, mais c'est l'isolement et le côté "enfermé" qui sont difficiles à vivre. Ca et le fait de travailler dans une quasi clandestinité. j'avais pensé à plus développer cet aspect-là (vie sur le vaisseau), mais ce qui ntéresse Sengo, c'est vraiment de raconter ce qui est en relation avec l'autre, et la vie dans le vaisseau n'en fait pas partie. Mais peut être que j'arriverai à glisser quelques trucs quand même, parce que c'est vrai qu'il y a une ambiance particulière.
En effet, Sengo ne voit l'autre que deux fois par an. Tu as parfaitement raison, il a besoin de lui mais le déteste (enfin c'est compliqué, hein, on le verra par la suite). Il y a ce côté "drogue" mais comme ça se précisera plus tard, il faut prendre les choses littéralement quand je dis que l'Autre emprisonne les secrets dans l'esprit de Sengo.
Un spion, c'est un télépathe, c'est défini à la fin du chapitre quatre. Peut-être qu'il faut que je le définisse plus d'une fois ? (et en effet c'est une abréviation de espion, puisque les télépathes sont considérés comme des espions).
Sengo a sa part de noirceur, ou au moins d'inflexibilité et d'aveuglement. Il n'est loyal qu'envers ses propres convictions (finalement, il n'est sûrement pas fait pour l'armée XD). 
Découvrira-t-on qui est l'autre ou pas ? Eh, tu ne crois quand même pas que je vais répondre ? (chuuuutttt !) 
Merci pour commentaire,  :-)
c'est vraiment utile d'avoir tout ces ressentis pour voir quelle est la vision de l'histoire du côté lecteur, surtout qu'il y a un montage (flash back) un peu compliqué à gérer.
A+ 
Jupsy
Posté le 09/04/2016
Oh...
Donc Sengo a trahi à cause de ses convictions héritées de sa planète d'origine sauf que l'Autre a décidé de lui mettre des bâtons dans les roues. Donc leur rencontre a vraiment été épique. Je suis sûre que ce sera très amusant à raconter quand ils seront plus vieux autour du feu. Oui, bon j'imagine déjà une jolie maison où ils vivraient heureux sur une jolie petite planète... Faut juste que Sengo apprenne à oublier tous ses préjugés et que l'Autre se dévoile peut-être davantage. En tout cas, ça démontre bien que leur relation est très compliquée, et j'adore la voir évoluer parce que tu le fais bien, tranquillement et je pense que la longueur de tes chapitres aide aussi. Ils ne sont pas trop longs, ils donnent un bon rythme à ton histoire surtout que c'est un journal. Bref c'est du joli travail ! 
Rachael
Posté le 09/04/2016
Merci pour tous ces compliments (je suis toute rouge).
Une jolie maison sur une jolie planète ? Faut voir, mais quand même, on sent bien que ça va avoir du mal à se simplifier à ce point-là. Chuuut, je ne dis rien...
 
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