Maxilien Roska

Par Rachael

1653 AÉ, 257ième

Au milieu de nulle part.

 

L'unité que je dirige aujourd'hui pour l'armée a pris ses quartiers dans l'espace, dans un vaisseau de colonisation reconverti, le Maxilien Roska. Ces abris gigantesques, convoyant pendant des dizaines d'années des gens plus aventureux que la moyenne ou plus désespérés, sont devenus en un jour ou presque des reliques d'un autre âge. Mis au rebut par l'avènement de l'hyperespace.

Celui-ci est presque neuf. Il n'a jamais navigué vers l'inconnu et ne le fera sûrement jamais. Une arche de Noé, échouée sur le sable, attendant en vain la vague. Aucune graine ne sortira de ses compartiments vides pour ensemencer une nouvelle terre. Aucun colon ne se lèvera de ses caissons de suspension ; la plupart de ces systèmes sophistiqués ne sont même plus là, ils ont été reconvertis à de meilleurs usages, pour soigner des malades ou sécuriser des accidentés. Les salles dépouillées avec leurs berceaux vides ressemblent à des ruches éventrées, exhibant leurs alvéoles d'une façon vaguement obscène.

Nous profitons donc des installations d'un appareil qui aurait pu contenir dix mille personnes endormies dans leur sarcophage, prêtes à se réveiller dès la fin du voyage.

Nous ne sommes que vingt.

Notre localisation demeure secrète, à l'écart de toute route commerciale. Nous jouissons d'un accès prioritaire à deux navettes hyperspatiales, seul lien physique avec le monde des hommes. Notre vaisseau est si éloigné du moindre établissement humain que cela nous donne parfois comme un sentiment d'insécurité ou de nostalgie étrange, amenant tous à se serrer le soir dans une pièce minuscule baptisée « salle d'équipage ». Besoin de proximité et de chaleur humaine, sans aucun doute.

Nous n'apparaissons dans aucun organigramme officiel. Si le commandant en chef des armées de la Fédération venait à disparaître brutalement, aurions-nous encore une existence légale ?

L'appareil abrite des équipes scientifiques qui décortiquent les particularités des télépathes hors du commun que nous surveillons. Nous y conduisons des expériences avec de rares sujets volontaires. Les études sur des prisonniers ont été suspendues : elles ont failli nous mener à notre perte, nous avons constaté nos limites devant l'ardeur à nous fausser compagnie de ces monstres presque invincibles.

Si ces déboires se sont révélés beaucoup plus périlleux qu'exaltants, force est de reconnaître que notre quotidien n'est en général ni l'un ni l'autre. Nous constituons surtout des dossiers individuels, nourris par un travail de fourmi d'enquêtes et de surveillance des faits et gestes de nos cibles, à distance ou sur le terrain. Les trois quarts du temps, le labeur dans la cellule de détection de la flotte fédérale n'a rien de très glorieux.

Le dernier quart m'incombe : relations avec les hauts échelons de l'armée ou du gouvernement, avec les volontaires, et surtout opérations de terrain quand les autorités décident « d'effacer » un sujet trop dangereux ou trop entreprenant. Mes séjours sur l'immense vaisseau durent peu, je n'ai jamais connu cette lassitude dont parlent les occupants plus réguliers que moi, assoiffés de contacts humains en dehors de notre petite équipe et confits d'ennui dans leur boîte de conserve grand luxe.

Excepté en ce moment, où je me sens comme un prisonnier sur mon propre appareil. Si ces six derniers mois m'ont paru bien courts, depuis les jours se traînent. Me voilà à attendre que l'Autre revienne et me libère de la crainte de laisser échapper des secrets qui ne m'appartiennent pas.

Manque de chance, cette fois, je n'ai aucune nouvelle depuis des lustres. Mon unité le surveille, je sais en principe toujours où il sévit. Sauf que là, il s'est évaporé depuis des semaines. Où court-il encore ? Pense-t-il seulement à ses obligations envers moi ?

L'angoisse monte, jour après jour, alors que presque quinze jours se sont écoulés depuis les six mois fatidiques.

Je hais cette attente ; je hais la nécessité où je me trouve de flotter au milieu du rien, par peur de me faire dérober par un spion, un autre foutu télépathe, des secrets qui pourraient mettre en danger la structure même de la Fédération.

Je hais cette dépendance qui me lie à lui et à nul autre. Il me protège, il emprisonne au fond de moi ce que je n'aurais jamais dû apprendre, je suis son perpétuel obligé et son cobaye obéissant. Je le hais.

 

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Mart
Posté le 04/09/2018
Coucou Rachael!
Me voilà déjà au bout du prologue et des trois premiers chapitres. La raison voudrait que j'aille découvrir une autre fiction pour pouvoir voter plus équitablement, mais j'en ai peu envie. Ton premier chapitre m'a vraiment donné une sacrée claque. J'aime beaucoup ta plume, je m'étais déjà régalé en lisant Naelmo, mais là, quel festin des mots! 
La narration est audacieuse et très réussie, mais là où je te tire vraiment mon métaphorique chapeau, c'est au niveau des émotions si contradictoires qu'éprouve Sengo au contact de L'Autre.
Je n'ai pas encore eu l'occasion de découvrir en quoi Sengo mérite d'être nommé l'aventurier, mais je n'aurais pas hésité à nommer ce texte dans la catégorie "Sans voix", puisque c'est ainsi qu'il m'a laissé.
Merci de partager tes histoires avec nous, et à bientôt pour la suite.
Au plaisir de te lire,
Mart 
Rachael
Posté le 04/09/2018
Oh, c'est vraiment gentil, Mart ! Tu me laisses sans voix moi aussi :-*)
J'ai beaucoup aimé écrire ce texte, et je me suis aussi beaucoup pris la tête avec cette narration éclatée dans le temps. Tant mieux si ça se ressent à la lecture. 
Fannie
Posté le 15/02/2017
Maxilien Roska et Rencontre :
Coucou Rachael,
Ça doit être angoissant de se retrouver isolés loin du reste du monde, dans le secret, en sachant qu’une seule personne sait où on est. Heureusement qu’ils sont en groupe : c’est toujours mieux que d’être seul. L’ambiance est bien décrite, avec ce petit groupe de personnes perdu dans un immense vaisseau vidé d’une partie de ses installations.<br /> C’est curieux que Sengo ait le sentiment d’être le cobaye de l’Autre. Son obligé, je comprends, mais son cobaye, ça laisse entendre qu’il ne maîtrise pas la situation et qu’il en est conscient. Il le hait peut-être aussi en partie parce qu’il lui manque…
Le premier paragraphe est la parfaite illustration du sentiment de frustration et même de jalousie que peut éprouver quelqu’un qui a dû gagner ses galons face à un petit jeune (ou un nouveau) qui arrive en un rien de temps à être influent et qui le doit essentiellement à sa facilité naturelle.
Coquilles et remarques :
la plupart de ces systèmes sophistiqués ne sont même plus là [sophistiqué dans le sens de perfectionné, élaboré ou compliqué est un anglicisme contesté ; cette acception n’est même pas mentionnée dans certains dictionnaires]
elles ont failli nous mener à notre perte, nous avons constaté nos limites devant l'ardeur à nous fausser compagnie de ces monstres presque invincibles. [Je mettrais un point ou un point-virgule.]
 
Il fallait être quand même diablement fort [je mettrais : « Il fallait quand même être diablement fort » ; j’ai l’impression que ça sonne mieux, que c’est plus fluide]
empli de télépathes civils pour la plupart, hommes femmes et enfants [il faudrait ajouter une virgule après « hommes »]
Il avait suffi de leur fournir les plans du vaisseau capturés [capturé]
puis de réduire à minima [comme précédemment, je propose « a minima » en italique]
Voilà pour aujourd’hui.
Rachael
Posté le 15/02/2017
Hello,
Comme je bloque un peu sur le pano aujourd'hui, j'en profite pour te répondre...
Oui en effet, Sengo a l'impression d'être un cobaye, on y reviendra plus tard. C'est assez normal à ce stade de ne pas comprendre exactement ce que Sengo veut dire. Il doit livrer son histoire "dans l'ordre", même s'il se permet certains commentaires de ce type. J'espère que ça ne donne pas une impression trop nébuleuse, parce que ce n'est pas le but non plus de faire trop de mystères inutilement. (??)
Il le hait peut-être aussi en partie parce qu’il lui manque : peut-être bien, en effet...
Pour les coquilles, je remarque qu'elles sont presque toutes dues à un passage que j'ai rajouté, et sûrement trop vite relu :-(
En ce qui concerne "sophistiqué", j'ai conscience du côté contesté, mais je trouve que c'est tellement employé que je l'ai laissé. 
j'ai corrigé tous les numéraux (pas mis à jour sur FPA), ce n'était pas très cohérent d'ailleurs entre les chapitres.
A ce propos, peux-tu à la fin de ta lecture me donner ton avis sur la chronologie ? Je sais qu'elle est un peu dure à suivre, est-ce que tu pourras me dire si cela t'a gêné dans ta lecture? Merci !
Merci pour toutes tes remarques ! 
  
Rimeko
Posté le 23/01/2017
Re-bonjour !
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"Nous constituons surtout des dossiers individuels, nourris par un travail de fourmi de veille des réseaux" Hein ? Jusqu'à fourmis, je comprenais, mais après...
<br /><br />
Mon petit cerveau a enclenché ses deux neurones et vient enfin de comprendre (grâce à la suite) que Sengo travaille, dans le ''présent'', à nouveau pour le gouvernement. Peut-être que ç'aurait mérité un peu plus d'explications... Là, je me demandais quand ça se passait, j'étais genre « mais il chasse encore les télépathes ? Il avait pas perdu son grade ? Ah mais, ça c'était avant de se rapprocher de l'Autre... et... hein ? » (Bon, en même temps, je n'arrive pas à me repérer avec les dates en début de chapitre, donc c'est un peu de ma faute XD)
En tous cas, je crois avoir un peu plus compris en quoi constitue cette « protection », ça c'est cool ! Et la fin, ouch, c'est violent ce qu'il dit... Ça apporte un nouvel angle à leur relation déjà bien compliqué, ça m'intrigue énormément !
Rachael
Posté le 23/01/2017
Désolée de t'avoir perdue... Je ne sais pas comment faire pour rendre tout ça plus clair. Qu'est-ce que tu penses qu'il aurait fallu pour éclaircir ça pour toi ?
C'est sûr que le plus complexe dans cette histoire, c'est sa chronologie, avec les retours en arrière. Je n'aime pas forcément beaucoup le principe des dates, (parce que je ne les regarde pas tellement moi-meme quand je lis un bouquin) mais je n'ai pas vu comment faire autrement. 
Sunny
Posté le 02/12/2014
Elle est sympathique la planète d'origine du monsieur xD
Sinon je commence petit à petit à mieux situer les choses... et pareil pour leur relation. Si c'est aussi contraignant pour lui, y a effectivement rien d'étonnant à ce que ça le stresse un tout petit peu x)
Et c'est marrant comme impression, cet Autre plus on en apprend plus il me paraît mystérieux ^^ Y a plus qu'à espérer qu'il ne lui soit rien arrivé de mal, hum hum.
Rachael
Posté le 02/12/2014
Hello Sunny,
Mhm, c'est un peu l'idée,  faire découvrir au lecteur petit à petit à travers le journal à la fois l'univers dans lequels les personnages évoluent,  leur personnalité, et la nature de leur relation. 
Tant mieux si ça marche pour le moment. On ne saura jamais tout, à cause des restrictions dont est l'objet le narrateur, j'espère que ça ne sera pas trop frustrant au bout d'un moment... 
Oui il est un peu stressé mon narrateur, mais il n'a pas un métier facile, non plus ! xD  
Jupsy
Posté le 09/04/2016
J'ai envie de dire à Sengo qu'il se ment, qu'il l'aime, mais avec la date, j'ai peur de me tromper légèrement. En tout cas c'est intéressant de découvrir le quotidien de Sengo à la tête de sa petite unité. Il n'a clairement pas une existence facile. Non parce qu'il faut être honnête, je trouve l'idée que des télépathes assez flippantes, surtout si ça peut reprogrammer un cerveau sans le moindre mal. Cela explique la relation complexe qui l'unit à l'Autre, le fait qu'il se sente dominé par ce dernier. 
Bon allez je vais découvrir la suite car je veux en savoir plus. Tes chapitres sont beaucoup trop couuurts, heureusement que tout y est ! Sinon j'aurais dû mettre en place une méthode pour te faire poster selon mes envies :P  
Rachael
Posté le 09/04/2016
Ah les dates, j'espère que tu ne te prends pas trop la tête avec ça, parce que mon but ultime, c'est qu'on arrive à naviguer sans trop peiner entre le passé et le présent. 
Et oui, tout y est, il y a d'autres lectrices qui ont du patienter entre les courts chapitres... Ouf, j'échappe à la torture ! :P 
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