Rendez-vous nocturne au parc

  • Tire Cassandre ! Mais tiiire ! Cria la voix stridente de Jonathan. 

La sorcière me faisait des grimaces, tirait sur son énorme verrue, avançait vers moi ses longs doigts crochus… 

  • Tue-la ! 

Je grognai. 

  • Minus, arrête de hurler, je ne suis pas sourde ! Laisse-moi me concentrer ! 

Quelle arme choisir ? Le canon plasmique ? L’arbalète à flèches d’argent ? Je me décidai pour un classique : les bonnes vieilles torches enflammées. Ça, ça marchait sur tous les monstres. Je dus néanmoins en lancer une bonne dizaine avant que la sorcière ne s’enflamme dans un concert de coassements démoniaques. 

Une mélodie de victoire retentit. Fin du niveau 4. 

  • À moi ! À moi ! Cria aussitôt mon petit frère en se jetant sur la manette. 

Je le laissai s’en emparer en soupirant. Les jeux vidéo le mettaient toujours dans un tel état d’excitation… J’avais acheté celui-ci, intitulé « Trick or Treat – La vengeance du démon » parce qu’il était en promotion au magasin de jeux vidéo. Après tout, il était dans l’air du temps ; le mois d’octobre arrivait presque à sa fin et je voyais fleurir aux fenêtres les décorations de papier mâché représentant les traditionnelles citrouilles, chats noirs et silhouettes de sorcières à cheval sur leur balai.

De toutes les maisons du quartier, la nôtre était celle qui était le moins décorée. Pris par leur travail, mes parents n’avaient pas encore sorti les deux caisses de décorations dont nous agrémentions habituellement notre belle maison victorienne. Papa et maman possédaient un cabinet d’architectes. Cette année, ils avaient reçu une énorme commande à honorer, une histoire de complexe immobilier. Ils s’en réjouissaient, mais pas moi… Ces temps-ci, on les voyait à peine. 

Dehors, le temps était en accord avec mon humeur. Un mélange de noir et de gris, des bourrasques glaciales qui soufflaient sur nos fenêtres et faisaient gémir les poutres du grenier. On était samedi soir, et au lieu d’aller au cinéma avec les copains, j’avais dû rester à la maison pour jouer la baby-sitter. 

A 9 ans, on aurait pu croire que mon frère pouvait s’occuper de lui tout seul, non ? Pourtant, il restait un éternel gamin, naïf, turbulent, capricieux. Il avait aussi cette mine triste qui faisait ressortir ses yeux bruns aux longs cils –un trait familial que nous partagions avec mon père-, son arme secrète lorsqu’il s’agissait de m’attendrir. Même en ce moment, alors qu’il se défoulait en dégommant des monstres, ses cheveux blonds et bouclés lui donnaient un air angélique. 

Quant à moi, à 15 ans, j’avais l’impression d’avoir depuis longtemps dépassé l’enfance. Mes rondeurs m’avaient abandonnée et mes yeux foncés n’attendrissaient plus personne. Encadré de longs cheveux noirs, mon visage pâle affichait en cet instant un air morose et mon corps, grand et malingre, flottait dans des t-shirt trop grands à l’effigie de mes groupes de rock préférés et de héros Marvel. 

Dire que je suis coincée ici ! Râlai-je. 

En ce moment même, Allison et Carl devaient faire la file devant le cinéma, impatients d’acheter leurs billets d’entrée. Nous attendions tous les trois avec impatience la sortie du film « The Wizard of Terror », un classique de l’horreur. Et le samedi où nous pouvions enfin aller le voir, mes parents me prévenaient qu’ils avaient un rendez-vous de dernière minute avec leur client et que je devais garder Jonathan. La tuile ! 

Je connaissais mes deux amis depuis si longtemps que je pouvais les imaginer avec précision, attendant leur tour devant le guichet. Allison, petite blonde nerveuse, trépignait sans doute d’impatience dans sa jupe rayée rose et noire aux motifs de tête de mort. Carl, plus flegmatique, devait lire le résumé du film pour la millième fois sur son smartphone. Je le voyais presque, tête baissée sur son écran, remontant de temps en temps ses lunettes sur son long nez. 

Quelque chose de mou me heurta la tête avant de retomber sur le parquet. Retour à la réalité. Jonathan me fixait l’air goguenard, heureux que son coussin ait atteint sa cible. 

  • Qu’est-ce que tu veux, tête d’andouille ? Maugréai-je. 
  • J’ai faim ! J’ai massacré toutes ces sales sorcières ! Il me faut un repas de victoire !
  • Le seul repas de guerrier que je peux te faire, c’est des pâtes au beurre. Tu veux des pâtes au beurre ? 

Devant le rugissement enthousiaste de mon frère, je ne pus m’empêcher de sourire. Au moins, il n’était pas difficile à nourrir. 

 

La nuit était déjà bien avancée quand mes parents revinrent enfin de leur rendez-vous. Jonathan s’était endormi, roulé en boule sur le divan. J’étais moi-même à deux doigts d’en faire autant. A la télé, « La nuit des morts vivants » en arrivait au générique. Heureusement d’ailleurs. Maman n’aurait pas apprécié du tout que je fasse voir ce film à mon frère cadet. 

C’est elle qui entra la première, dans le hall d’entrée dont l’arche en bois donnait sur le salon. Les bras encombrés de plans, elle nous jeta un coup d’œil avant de laisser tomber les rouleaux de papier sur le buffet. 

  • Coucou… murmura-t-elle en s’approchant. 

Elle devait croire que j’étais endormie. Je remuai et me mis sur mes pieds. 

  • Salut. Il dort, dis-je en désignant Jonathan. Papa n’est pas là ? 
  • Il gare la voiture, répondit ma mère, toujours en chuchotant. Cet imbécile de voisin a encore placé sa camionnette devant l’allée. 

Notre voisin avait une vieille camionnette qui était trop grosse pour sa propre allée de garage. Comme mes parents étaient souvent absents, il en profitait pour abuser des règles de bon voisinage. 

  • J’espère que ton père va enfin aller lui dire deux mots, à celui-là. Des mois que ça dure, cette histoire ! 

Mais je savais que mon père n’en ferait rien. Il n’y a pas plus coulant que lui. Il a horreur des confrontations et essaye toujours de trouver des solutions « à l’amiable ». Souvent, c’est maman qui finit par piquer une colère monstrueuse pour remettre les choses à leur place. Comme la fois où ce représentant n’arrêtait pas de venir sonner à notre porte pour nous vendre des articles ménagers. Mon père finissait par l’inviter dans le salon et le laissait faire son monologue pour présenter son aspirateur ré-vo-lu-tio-nnaire (ainsi qu’il le disait, détachant chaque syllabe). Ça pouvait durer des plombes, et à la fin, maman devait toujours intervenir pour mettre le marchand à la porte. 

Maman se pencha vers Jonathan toujours roulé en boule. Elle le prit dans ses bras sans aucun problème -mon frère est un poids plume. 

  • Je vais le mettre au lit. 

Derrière nous, la porte d’entrée s’ouvrit à nouveau. Papa paraissait trop petit pour son grand imper et ses yeux étaient immenses derrière des lunettes à verre épais. Une touffe de cheveux noirs rebiquait sur son front dégarni. Il me fit un clin d’œil avant d’aviser les plans. 

  • Je les mets dans le bureau, dit-il à ma mère qui montait Jonathan.  Cassandre, tu devrais monter… Il est tard. Maman et moi, on a encore des choses à faire. 

Et voilà. J’avais passé une soirée à veiller sur mon frère, j’avais raté un super film au cinéma, tout ça pour que mes parents m’envoient me coucher sans même un « bonsoir ». En passant devant mon père, j’évitais sa main qui voulait, comme d’habitude, m’ébouriffer les cheveux. Ce soir, je n’étais pas d’humeur. 

En passant devant la chambre de mon frère, j’aperçus maman qui le bordait. Le bienheureux Jonathan aurait droit, lui, à un câlin en règle. Bien sûr j’étais trop vieille pour que l’on me borde. Mais je ressentis tout de même une pointe d’envie en le voyant, enveloppé dans sa couette, maman lui caressant le front comme elle avait jadis l’habitude de le faire avec moi. 

Je lui fis un vague signe de la main et gagnai ma propre chambre. Mon antre. Mon refuge. Les murs peints en violet étaient recouverts de posters en tous genres, du groupe de rock tendance « The Winners » à une effigie grimaçante d’Alice Cooper. Mon bureau était encombré de magazines de jeux vidéo et le sol jonché de vêtements et de livres. J’ôtai mon pantalon, envoyait valdinguer mes baskets, et m’écroulait sur mon lit sans prendre la peine d’allumer la lumière. Au moins, je pourrais téléphoner à Carl demain pour savoir comment il avait trouvé le film. Ça m’éviterait de dépenser mon argent dans un navet, lorsqu’il sortirait en dvd… 

Le sommeil vint vite. Après avoir veillé sur mon frère toute la soirée, j’étais épuisée. 

 

Le lendemain, dimanche, je me réveillai dans l’odeur caractéristique d’un petit déjeuner dominical. Ce jour-là, pas de céréales noyées de lait hâtivement avalées, mais bien des gaufres à la cannelle, des crêpes ou des brioches à la confiture… 

Mon odorat m’apprit avant même que j’aie ouvert les yeux que j’allais me régaler de crêpes à la confiture de myrtilles. Si j’arrivais avant que tout le monde ait vidé le plat ! Je courus à toutes jambes jusqu’à la cuisine et réussi à faucher la dernière crêpe avant que mon frère ne l’attrape. 

  • Pour moi ! M’exclamai-je en l’enfonçant tout entière dans ma bouche. 

Lors des petits déjeuners du dimanche, ma famille ressemble à un clan de lions ; il faut se battre pour avoir sa part ! 

  • Maman… Geignit Jonathan, Cass m’a piqué ma crêpe ! 
  • Tu en a déjà mangé trois, répondit distraitement maman sans quitter son journal des yeux. 

Mes parents étaient attablés, maman lisant le quotidien de la ville, et papa étudiant un dossier à la couverture cartonnée. 

Entre eux deux, Jonathan avait l’air d’un vampire, avec sa bouche barbouillée de confiture aux fruits rouges. Je me servis un verre de jus d’orange en clignant des yeux, légèrement éblouie. La tempête de la veille avait cédé la place à un soleil doux qui rentrait par les larges baies vitrées de la cuisine, comme un dernier hommage à l’été.  

  • Tante Nat’ arrive à midi, annonça papa avant d’avaler une gorgée de café. 
  • Elle mange avec nous ? Demanda maman. 
  • Sûrement. Il faut qu’on achète de la viande… 

Tandis que mes parents soliloquaient sur le menu, je me réjouissais intérieurement. Ma tante était bien plus jeune que mon père, et bien plus fun ! Parfois elle pouvait être agaçante, surtout quand elle tentait de jouer les adultes. Mais la plupart du temps, elle laissait ce rôle à mes parents. 

Le téléphone de la cuisine se mit à carillonner. Maman le saisit, les sourcils froncés. 

  • Allo ? Ah, oui… Je te la passe. 

Elle me tendit le téléphone. A mon tour de froncer les sourcils. 

  • C’est Carl, il dit que tu ne réponds pas sur ton téléphone portable… 
  • Ah oui, je l’ai laissé en haut, répondis-je en collant le combiné contre mon oreille. Hé Carl, comment ça va ? C’était bien le film, hier ? 

Je passai au salon non sans jeter un dernier regard à mes parents. J’espérais bien qu’ils m’avaient entendue évoquer le film que j’avais raté !

  • Cass, tu ne vas pas le croire ! C’est… Super cool ! Lança la voix surexcitée de Carl. 

Cette réaction ne ressemblait pas à Carl. C’était lui, le type calme de notre petite bande. Allison était plutôt du genre à sauter partout pour un rien tandis que j’avais un tempérament grincheux et introverti. 

  • Quoi ? Le film était si bien que ça ? 
  • Non, oublie le film ! C’est encore mieux ! 
  • Qu’est-ce qui peut être mieux que The Wizard of Terror ? Grommelai-je, vaguement intriguée.

J’entendis la respiration de Carl s’interrompre pendant une seconde au bout de la ligne, comme s’il avait ouvert la bouche puis s’était ravisé.

  • Tu le sauras ce soir, finit-il par dire d’une voix tendue.
  • Ce soir ? Mais de quoi tu parles ? 
  • Sois ce soir au parc, à vingt heures. Dis à Allison de venir aussi.
  • Mais…

Il raccrocha avant que j’aie eu le temps d’en placer une. Je fixai le combiné, frustrée. Si m’appeler un dimanche matin pour partager son excitation ne ressemblait pas à Carl, faire des mystères d’un rien était au contraire une de ses habitudes. Il adorait se sentir le maitre du jeu, et faire comme si nous étions ses marionnettes, Allison et moi. D’ordinaire, l’enjeu de ses cachotteries était puéril, comme lorsqu’il avait su une semaine avant tout le monde que notre prof de math avait démissionné pour partir s’installer à l’autre bout du pays avec sa petite amie. Il en avait fait tout un cirque, alors que finalement, tout le monde s’en fichait. Je n’osais imaginer l’invention idiote qui allait me conduire à me geler les pieds ce soir au parc de notre quartier.

Pourtant, je savais que j’allais m’y rendre. Carl avait beau être un casse-pieds de première parfois, je me sentirais mal à l’aise de le savoir seul dans le parc, en train de nous attendre Allison et moi. 

Tandis que mes parents rangeaient la table de la cuisine, mon frère se jeta dans le canapé pour se vautrer devant des dessins animés (un privilège du dimanche matin). De mon côté, j’appelai rapidement Allison pour l’informer de notre rendez-vous. Elle fut bien moins sceptique que moi et passa une minute à m’énumérer les raisons hypothétiques qu’avait Carl de nous convoquer. Je la laissai pérorer patiemment et raccrochai quand l’excitation lui coupa le souffle. 

Toute une journée à attendre… Heureusement, la perspective de voir ma tante Nat’ (elle avait horreur qu’on l’appelle Nathalie, prénom qu’elle trouvait vieux jeu) m’aida à rester patiente. Tante Nat’ est la sœur cadette de papa. Ils ont 12 ans d’écarts ! Et elle est bien plus cool. Pas du tout en mode « sergent chef » avec moi ! 

Maman s’absenta pour aller faire quelques courses, tandis que papa étalait des plans sur la table de la cuisine. Encore du travail ! Absorbé par ses paperasses, il ne me vit même pas passer quand je déposai mon verre de jus d’orange vide dans l’évier. Je passai derrière mon frère, qui m’ignora tout autant, hypnotisé par l’écran de la télévision. 

Je montai à l’étage tandis que notre antique horloge, accrochée contre le mur du salon, sonnait 11 heures. Parfait ! J’avais tout le temps de me préparer avant le repas. Je m’enfonçais lentement dans le couloir de l’étage, lambrissé de bois et couvert d’un épais tapis gris. Au bout de celui-ci, la fenêtre que mes parents avaient percée pour casser la sobriété du lieu me donna, comme d’habitude, l’impression furtive d’atteindre les portes du paradis. C’était en quelques sorte le cas : je virai à droites et entrai dans notre salle de bain pour m’offrir un délicieux bain bouillant, surmonté d’un épais nuage de mousse pétillante. J’y trempai pendant une éternité, n’écoutant que les gouttes tomber du robinet et le brouhaha lointain de la télévision. Je sortis de la salle de bain aussi légère qu’une bulle, le bas de mes cheveux mouillés coulant sur l’éponge de mon peignoir. 

Tandis que je m’habillai, cédant comme d’habitude à la simplicité d’un jean noir et d’un haut garni d’une tête de mort grimaçante (effigie du groupe Hell’s of Hell), j’entendis la porte d’entrée s’ouvrir et se refermer. Les joyeux gazouillements qui me parvinrent ensuite me confirmèrent que tante Nat’ venait d’arriver. Elle avait conservé les clés de la maison qui lui permettaient de venir nous garder à l’improviste, mon frère et moi, quand la corvée de babysitting ne m’incombait pas encore. 

*****

Descendant l’escalier à toutes jambes, j’entraperçus sa chevelure rousse tandis qu’elle se dirigeait vers la cuisine, en grande discussion avec papa.

  • Hé ! Tante Nat’ ! 

Ma tante se retourna et fronça ses sourcils fins.

  • Comment ? 
  • Euh… Nat ! Corrigeai-je.

Elle avait horreur aussi qu’on l’appelle « tante ». Ça lui donnait l’impression d’être vieille ! Son visage s’adoucit et elle passa son bras sur mes épaules, m’enveloppant par la même occasion de son ample manteau de laine rouge. 

  • Comment ça va la naine ? Toujours pas grandit ? 

Aha. Tante Nat’ est une géante, à côté d’elle, tout le monde paraît petit. Elle est longue, fine, et ses cheveux carotte forment comme une explosion au sommet de son corps au format coton-tige. Je notai que malgré ses paroles enjouées, ma tante ne paraissait pas dans son assiette ; des cernes plombaient ses yeux bleus et son regard était éteint. 

  • Ça roule ! Et toi ? Toujours pas bronzé ? 
  • Alors ça, tu peux parler ! 

Il est vrai que nous arborons toutes les deux la même teinte de peau claire. D’ailleurs, ma famille entière fait partie du clan aspirine. 

  • Oui mais moi, je ne reviens pas de deux semaines au soleil ! arguai-je néanmoins.

Nat’ était en effet partie en vacances aux Seychelles, avec son petit ami, Marc. Ils devaient nous envoyer des cartes postales, mais nous n’avions rien reçu !

Cette fois, la mine de ma tante flancha carrément. Elle tenta d’arborer un pauvre sourire et détourna le regard avant de s’éloigner, gagnant la cuisine où s’agitaient mes parents. C’est à ce moment que je remarquai l’absence inhabituelle de Marc. 

Je mis la main à la pâte, tandis que mes parents s’agitaient autour du rôti à cuire. Je déposai quelques couverts sur la table, mais la plus grande partie de mon travail fut de gérer Jonathan. Mis en joie par l’arrivée de Nat’, il ne cessa de laisser tomber verres et fourchettes. 

Finalement nous fûmes tous attablés. Le rôti était comme d’habitude légèrement brûlé, parce que mes parents et tante Nat’, trois as de la cuisine, n’arrivaient jamais à se mettre d’accord sur la cuisson. Je me servis en carottes tandis que les adultes déblatéraient. Enfin, le silence se fit, chacun dégustant en silence (enfin, sauf Jonathan, qui avait décidé d’attaquer sa viande dans une fidèle imitation du lion du Serengeti). Maman prit la parole.

  • Alors, Nat’… Comment va Marc ? 

À en juger par le regard furtif qu’elle échangea avec mon père, l’absence de Marc les avait étonnés eux aussi. Nat’ mâchonna un instant, déglutit… Et fondit en larmes.

  • On n’est plus ensemble ! Il est parti en vacances avec une autre ! balbutia-t-elle entre deux torrents de larmes.

Aussitôt, mes parents lâchèrent leur couvert.

  • Oh ma pauvre… la réconforta papa.
  • Quelle en... flure, marmonna maman, ses yeux lançant des éclairs derrière ses lunettes.

Le repas prit aussitôt une autre allure. Les parents entourèrent Nat’ qui leur expliqua tous les détails de l’aventure. Je grignotai mes carottes en tendant l’oreille, tandis que mon frère contemplait la scène en ouvrant de grands yeux. « m’y attendait pas du tout… » « il m’a juste envoyée un mail… » « pas de nouvelles… » « après 2 ans, tu te rends compte », marmottait Nat’, le nez dans sa serviette.

Quand la première vague de pleurs se fut apaisée, mes parents regagnèrent leur siège, tandis que Nat’ tripotait le contenu de son assiette, l’air plus triste que jamais.

  • On devait se faire un week-end cocooning, rien qu’à deux, pour Halloween. Au lieu de ça, je vais devoir rester toute seule. Je n’en peux plus de rester toute seule… lâcha-t-elle encore, une dernière larme roulant sur sa joue.
  • Tu peux rester ici avec les enfants ! s’exclama aussitôt papa.
  • Mais oui ! Renchérit maman, on doit justement s’absenter ce week-end. 

Tante Nat’ haussa les épaules. 

  • Je ne veux pas gâcher leur week-end… Ils ont probablement autre chose à faire que de tenir compagnie à leur vieille tante ratée, surtout à d’Halloween… 

Maman se tourna vers moi et me lança une œillade sévère. 

  • Mais non ! M’exclamai-je, en en faisant des caisses. Je serai super contente de passer le week-end avec toi ! On fera la tournée des bonbons ensemble ! 

L’habituelle tournée des bonbons, incontournable, que j’aurais dû faire avec Carl et Allison. Mais je pouvais toujours les retrouver plus tard. Et je devais bien ça à ma tante... Durant toute mon enfance, tante Nat’ avait l’habitude de nous embarquer, moi et Jonathan, le temps d’une journée où tout était permis. On allait au parc, on se gorgeait de pop-corn au cinéma, on allait au fast-food… On avait même fait un laser game ! Il faut dire qu’à nous deux, nous faisons une paire d’enragés, devant laquelle notre jeune tante ne fait pas le poids. Je la soupçonnais du reste, de prendre autant de plaisir que nous à ces parties endiablées. Quel plaisir de revenir le soir, exténués, gorgés de sucre et de frites, après avoir été gâtés comme jamais ! Nous somnolions généralement dans le divan tandis que Tante Nat’ se faisait plus ou moins gronder par les parents pour ses largesses. 

Jonathan devait lui aussi se souvenir de ces fameuses journées. Il trépignait déjà sur sa chaise, jusqu’à en lâcher sa fourchette par terre. Maman et papa échangèrent un regard, l’air de regretter leur offre. 

Tant Nat’ esquissa un sourire timide, son menton tremblant encore. 

  • C’est vrai ? ça vous ferait plaisir ? 
  • Bien sûr, acquiesçai-je.

J’étais sincère. La voir dans cet état me donnait mal au cœur. 

Le visage de tante Nat’ s’éclaira. 

  • Alors c’est entendu ! Comme au bon vieux temps ! On se fera des hamburgers ! Ou des pizzas, ça vous tente ? 

Les parents hochèrent discrètement la tête, l’air vaincus. 

  • Parfait, conclut maman. Nous devions rencontrer les investisseurs du chantier ce week-end, on se préparait à faire des aller-retour pendant 3 jours… On pourra dormir sur place au motel, ce sera plus simple. 

Papa hocha la tête se tourna vers moi. 

  • Tu feras attention à ton petit frère ? 
  • Oui, ne le laisse pas dépasser les bornes, renchérit ma mère, les sourcils froncés. 

Le message était bien entendu : « ne dépasse pas les bornes toi-même, ou ça va barder ! ». Je haussai les yeux au ciel tandis que Jonathan protestait en faisant de grands gestes. 

  • Héééééé ! J’ai rien faiiit ! 

Son couteau rejoignit sa fourchette sur le carrelage. 

Tandis que maman l’enguirlandait et que papa et tante Nat’ s’entendaient sur l’organisation, je faisais rouler mes carottes dans mon assiette, songeuse. Bon, je ne m’amuserais pas autant qu’avec Carl et Allison, pour sûr. Mais je devais bien ça à ma tante ! 

L’après-midi s’étira en longueur. Tante Nat’ resta avec maman. Elles se préparèrent du thé et s’installèrent confortablement dans le canapé, pour une de leurs longues conversations “entre filles”, auxquelles j’étais encore trop jeune, d’après elles, pour participer. De toute façon, je les avais déjà entendues ; leurs papotages tournaient principalement autour d’histoires de cœur et d’allusions coquines que je ne comprenais pas toujours. Quant à moi, comme à mon habitude, je disparu dans ma chambre et jouais aux jeux vidéo sur mon ordinateur. Par la fenêtre, je pouvais voir mon frère et mon père, occupés à rassembler les feuilles d’automne en tas. Ou plutôt, mon père essayait de les rassembler en tas, jusqu’à ce qu’une bourrasque, ou Jonathan, ne les disperse à nouveau. 

Je fus surprise de la tombée du jour. Il n’était même pas 17 heures, mais déjà, je devais allumer les lumières. Dehors, l’obscurité s’était abattue et je pouvais observer mon visage, triangle pâle au milieu de la fenêtre de ma chambre, me scrutant d’un air curieux. Avec mon t-shirt noir, ma tête avait l’air de flotter dans les airs.

 

J’ai horreur des dimanche soir. Ils sentent déjà le lundi ; on doit préparer son sac, les parents nous parlent de l’organisation de la semaine… « Cass, n’oublie pas de ramener ton frère mercredi, il ne revient pas encore tout seul de l’école ! ». Souvent, notre repas est tristement constitué de tartines, ce qui n’a rien de réconfortant. Ce soir-là cependant, la perspective de mon entrevue avec Allison et Carl m’émoustillait quelque peu. Je mâchonnai mon pain garni de fromage, accompagné de soupe au cerfeuil, et prévint mes parents de ma petite escapade. Ils se contentèrent de me dire d’être prudente et de ne pas revenir trop tard. Ils avaient l’habitude que je disparaisse pour voir mes amis et savaient que notre point de ralliement était le parc tout proche ; je savais que, du moment que j’étais de retour avant 21 heures, je n’aurais pas de problème. 

Dix minutes avant 20 heures, j’enfilai mon pull à capuche le plus long et le plus épais, traversai la cuisine et sautai dans mes bottes en caoutchouc. Je dus me cramponner à la porte qui donnait sur le jardin quand je l’ouvris ; le vent était si fort qu’il faisait pression sur le battant. Je traversai hâtivement les herbes, le cou rentré dans les épaules, éclairant mes pieds avec mon téléphone portable. Quelle plaie ! Il faisait froid, triste, noir comme dans une cheminée, et les bourrasques écrasaient une bruine invisible mais glacée sur mon front et mes joues. Au fond du jardin, à côté de la cabane à outils et de l’enclos où mes parents entassaient les déchets verts, un petit portique en bois donnait sur la rue à l’arrière de la maison. Le parc était juste en face. Heureusement que les éclairages publics étaient enclenchés. Je ne m’y serais jamais aventurée dans le noir.  Dans des moments comme celui-ci, ma passion des films d’horreur se retournait contre moi et il me suffisait d’un bruit bizarre pour imaginer un tueur en série tapi dans l’ombre.

Bordé de peupliers qui grinçaient plaintivement, harassés par la tempête, le parc possédait une aire de jeux, dont les balançoires et le tourniquet dansaient tous seuls en grinçant. Au centre du parc, près d’une fontaine ronde et silencieuse, qui en été devenait une pataugeoire pour les enfants du quartier, je reconnus les deux silhouettes de mes amis ; Allison, emmitouflée dans un énorme anorak rose, ses deux jambes couvertes d’un bas noir sortant comme des cannes de ses vêtements avant de disparaître à nouveau dans de grosses moon boots fuschia. Carl, dont la silhouette filiforme penchait pour contrer le vent, son mince manteau complété par une légère écharpe verte. Ses verres de lunettes étaient opaques sous la lumière du réverbère. Trop gelée pour faire l’effort de couvrir le vent avec ma voix - ce qui impliquerait de tendre le cou hors de mon pull -, je me contentai de faire un vague signe de la main. Nous nous serrâmes automatiquement, formant un triangle de chaleur relatif.

  • Alors, demandai-je sans tarder, qu’est-ce qu’il y avait de si urgent, qui ne pouvait pas attendre demain ? 

Carl prit le temps de remonter ses lunettes sur son nez avant de répondre, comme d’habitude ; c’était un véritable Docteur ès Suspense ! À côté de moi, Allison trépignait.

  • J’ai attendu toute la journée ! lança-t-elle d’une voix fluette.

J’examinai ses joues roses, son nez en trompette, ses yeux brillants. Elle donnait vraiment l’impression d’être excitée. Je me la figurais assez bien passant son temps à regarder l’heure, assise dans le salon en compagnie de ses grands-parents, avec lesquels elle vivait. Ses parents étaient morts quand elle avait 6 ans ; depuis, ses grands-parents maternels l’avaient élevée. J’avais été chez eux de rares fois. Leur maison, située dans un quartier à proximité, comportait tous les éléments d’une habitation du 3ème âge : des napperons sur les étagères, des vases de fleurs séchées et dans l’air, une odeur mêlant eau de Cologne et vieux tissu. Ça ne devait pas être folichon de passer le week-end dans une atmosphère pareille. Même son yorkshire, Kit-kat, semblait toujours assommé sur son coussin. 

  • Alors ? Alors ! Insista-t-elle, trépignant sur place. 

Carl avait enfin la réaction qu’il attendait. 

  • La Maison de la Veuve, commença-t-il. 

Et il s’arrêta là. Je le regardai, hésitant à moitié à l’assommer d’un coup. Qu’est-ce qu’il pouvait être exaspérant ! 

Bien sûr, je connaissais cette fameuse maison, vieille et abandonnée, siège de nombreuses histoires de fantômes qui circulaient déjà de bouche en bouche à l’époque où mes propres parents étaient encore au lycée. Elle aurait appartenu, d’après la légende, à une sorcière dont le fantôme hanterait les lieux. Même moi, qui aimait les frissons, je ne m’étais jamais aventurée là. Non seulement sa silhouette noire hérissée de corneilles, perchées en propriétaires sur son toit défoncé, me donnait la chair de poule, mais j’aurais été chanceuse de ne pas passer à travers les marches pourries du patio. Cette maison donnait vraiment l’impression de vous contempler d’un œil mauvais, quand vous aviez le malheur de passer devant. Nous la contemplions de loin, avec un mélange d’émerveillement et de crainte. 

  • Alooooors ? Finit par demander Allison, à bout de souffle. 
  • Clyde Ursell et Marylin Vanhell, commença Carl. Ils vont aller y faire un tour samedi soir, à la nuit tombée… Ils m’ont demandé si ça m’intéressait, alors j’ai pensé à vous. 
  • Clyde et Marylin ? Ils sont craignos, commentai-je. 

Il s’agissait d’un couple de marginaux qui hantaient de temps en temps les couloirs du lycée, laissant dans leur sillage des odeurs d’herbe et d’encens brûlé. Entre nous, nous les appelions les BB, en référence à Bonnie Parker et Clyde Barrow, deux outsiders légendaires que ne manquait pas de nous inspirer l’étrange duo. Clyde, dégingandé, trimbalait toujours sa carcasse dans un vieil imper en cuir noir qui lui descendait aux chevilles. Marylin se remettait une couche de rouge à lèvres toutes les 3 minutes et fumait des cigarettes roulées à longueur de temps, qu’elle écrasait d’un air détaché sur les semelles compensées de ses bottes à talons, quand un surveillant se pointait. Ils formaient un drôle de couple de redoublants, nous toisant de loin, daignant à peine se rendre en cours. Une cause perdue pour laquelle même les profs avaient renoncé à se battre, se contentant de noter leurs nombreuses absences sans un mot. Ils étaient à la fois fascinants et étranges. Je n’étais pas sûre d’avoir envie de frayer avec eux. 

  • Comment tu t’es retrouvé à leur parler ? demandai-je, assez curieuse. 

Carl et les BB n’avaient à priori pas grand-chose à se dire ; Carl était un excellent élève, il était, comme nous tous, d’au moins 3 ans plus jeune. Comme moi et Alison, Carl était également un genre de marginal ; peu nombreux étaient les amoureux des films d’horreur et des jeux vidéo démodés, dans notre lycée. Nous n’étions pas non plus mis au ban. Nous nous fondions dans la masse sans nous faire remarquer, ce qui était loin d’être le cas des BB. 

Carl eut l’air d’hésiter avant de me répondre. Finalement il avoua : 

  • Je les ai rencontrés pendant une vente de vêtements de seconde main… On va apparemment dans les mêmes boutiques.

Je savais pourquoi il était mal à l’aise ; sa famille n’était pas riche et il devait très certainement se payer la plupart de ses vêtements tout seul, avec l’argent de poche qu’il se faisait en travaillant pour les voisins. 

Il remonta ses lunettes sur son nez, un geste qui, je le savais, trahissait son malaise. Je n’insistai pas. 

Le vent soufflait autour de nous, glissant de minuscules doigts glacés dans mes cheveux et sous mon pull. Allison devait avoir la même sensation ; elle trépigna un instant sur place dans l’espoir manifeste de réchauffer ses longues jambes exposées à la bise, avant d’enchaîner. 

  • Bon alors, en gros, ils proposent d’aller voir la maison en pleine nuit ? C’est un peu glauque… Et pourquoi nous ? 
  • Bon, je t’avoue qu’ils ne m’ont pas dit « toi et tes amis »… Mais j’ai insisté pour que vous veniez. Je me suis dit que ça pourrait être cool ! Je dois leur donner ma réponse demain matin.

A nouveau, il remonta ses lunettes sur son nez. Je me rendis compte que mon ami attendait notre réponse avec une certaine nervosité. Carl était toujours nerveux, bien sûr. Parfois, je me l’imaginais en souris, une souris fureteuse, toujours prête à fuir ou à trouver de nouvelles choses à faire. Il ne pouvait pas rester en place et comme les souris, était très prudent. Il manquait cruellement de confiance en lui et était une cible de choix pour les petites frappes du lycée ; ses grandes lunettes, son acné, ses dents de travers et sa gestuelle efféminée étaient souvent pointées du doigt dans des blagues plus ou moins potaches. 

Avec nous, il était détendu et aimait bien jouer au petit chef et au maître du mystère ; en-dehors de notre petit groupe néanmoins, il perdait de son panache et supportait les boutades en silence. Je ne pensais pas qu’il ait eu d’autres amis, comme Allison et moi, du reste. Mais Carl, lui, souffrait de ce manque de popularité. Il était évident que passer une soirée avec deux élèves de dernière année, que tous craignaient et respectaient, devait représenter pour lui un bond en avant dans l’échelle sociale du lycée. D’un autre côté, je savais que mon ami avait déjà été victime de blagues cruelles de la part des garçons de notre classe, qui l’avaient invité à une fête fictive et lui avaient donné une fausse adresse. Le pauvre s’était retrouvé face à un cabinet d’orthodontie. Il devait se méfier et nous invitait probablement aussi bien par amitié que pour assurer ses arrières. 

Je soupirai. Mon bon sens me soufflait que cette soirée n’était pas une bonne idée. Mais j’avais 15 ans et mon bon sens n’était pas mon principal conseiller. Visiter une maison hantée à Halloween ? Pour une fan de fantastique et de films d’horreur, c’était tentant… 

A côté de moi, Allison trépigna de plus belle. 

  • Moi j’en suis ! Trop cool ! 

Allison n’était jamais contre l’idée de passer un peu plus de temps avec Carl, ou lui faire plaisir. Ce dernier semblait pourtant ne pas s’apercevoir de son manège. Il se contenta de sourire en serrant le poing à la manière d’un joueur venant de marquer un point. 

  • Et d’une ! Allez Cass ! ça va être marrant ! Je te promets que si les BB sont craignos, on se tire. 

Je levai les yeux au ciel, sachant déjà quelle serait ma réponse. 

  • Bon, bon… Ok ! Qu’est-ce qu’on dira aux parents ? 
  • C’est Halloween ! C’est le soir de la chasse aux bonbons !  
  • Je dois passer la soirée avec ma tante, rétorquai-je… 
  • Ne lui dit rien alors… de toute façon, on a rendez-vous assez tard ; on doit se retrouver vers 11 heures au vieux terrain de rugby. 
  • Tu veux dire, faire le mur ? Souffla Allison, impressionnée. 
  • Ouais ! Moi, je sais que mes parents n’y verront que du feu, lança Carl d’un ton assuré. Cass ? 
  • Je… Je pense que mes parents ne seront pas là, ça ne devrait pas poser de problème. 

Mon ventre se nouait à la perspective de faire le chemin seule, de nuit, jusqu’au terrain, qui se trouvait à près d’1 kilomètre de chez moi. Je regrettai déjà ma décision… 

  • Moi, objecta Allison d’un ton amer, je ne pourrai jamais sortir… Mes grands-parents ne dorment jamais tout à fait. Ils disent qu’avec l’âge, leur sommeil devient plus léger. Je ne peux pas aller aux toilettes sans que ma grand-mère ne sorte de sa chambre pour voir si tout va bien. Alors, sortir en cachette… Hors de question. 

Elle serra les bras autour de sa doudoune, l’air dépité. 

  • Tu peux dormir chez moi ! ça, ma tante acceptera, proposai-je, enthousiaste. On reviendra ensemble.

Le regard d’Allison s’illumina. 

  • Oh ce serait trop cool ! Mes grands-parents seront d’accord. Je viendrai te chercher après qu’on ait fait la tournée des bonbons avec Carl alors. On te rejoindra là-bas, ok Carlie ? 

Carl hocha la tête, enthousiaste. 

Allison dormait très souvent chez moi et mes parents adoraient l’avoir à table. Ils disaient que ça les changeait de mes airs grognons. Je faisais d’une pierre deux coups ; Allison viendrait, nous serions donc en majorité si les deux BB essayaient de se jouer de nous. En plus, je n’aurais pas à marcher toute seule jusqu’au terrain de rugby. Comme pour sceller notre deal, nous fîmes un high five. Carl tenta de nous rejoindre, mais comme d’habitude, il rata son coup et sa main retomba mollement. 

  • Bon alors, c’est dit les filles ? A la maison de la Veuve ?
  • A la maison de la Veuve ! Répondîmes-nous en cœur. 

Le vent souffla plus fort et nos paroles s’envolèrent au loin. Mes cheveux masquèrent mon visage un instant et j’eus la nette impression que des doigts glacés me titillaient la peau du crâne. 

  • Bon, c’est pas que votre compagnie m’ennuie, lançai-je, mais je me les caille. Je rentre. A demain ! 

Je tournai les talons, leur faisant un dernier signe, et me hâtai jusqu’à chez moi. Après avoir traversé le jardin à grand enjambées, je me réfugiai dans la cuisine, illuminée et chaude. Je fermai la porte à double tour avant de souffler, soulagée. Je songeais à notre petite escapade. M’étais-je fourrée dans une situation potentiellement dangereuse ? Probablement. Balayant mes inquiétudes, un délicieux frisson d’excitation me parcourut la colonne vertébrale. Trop cool ! 

Le salon était plongé dans la pénombre, à l’exception de l’écran de télévision allumé. Mes parents étaient allongés, recroquevillés l’un contre l’autre et recouverts d’un plaid, les yeux fixés sur l’écran qui annonçait je ne sais quelle catastrophe dans un pays lointain. Il était rare que je les voie comme ça ; comme un couple. La plupart du temps, ils revêtaient soit leur costume de parents, soit d’architectes, soit d’adultes responsables (quand il s’agissait de parler à d’autres adultes, comme ma tante). Je leur exposais rapidement la situation avec Allison et leur demandai si elle pouvait dormir chez nous samedi prochain.

Ils acquiescèrent sans problème. 

Plus tard, allongée dans mon lit, vêtue de mon t-shirt favori et de grosses chaussettes de laine (j’ai toujours froid aux pieds, surtout l’automne et l’hiver), je fixai le ciel noir comme de l’encre. De temps en temps, la lune apparaissait, moins d’un dixième de seconde, avant d’être masquée à nouveau par un paquet de nuages sombres qui avançait à toute vitesse. Je ne tardai pas à m’endormir, bercée par cette danse hypnotique. 

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P.Orchis
Posté le 18/04/2022
Très chouette pour un premier chapitre qui nous embarque au sein de la famille et de l’intrigue à venir. Les personnages sont sympa et nous donne envie d’en savoir plus sur eux.
Cependant je me demande pour quel âge tu destines ton livre?
MathMajois
Posté le 03/05/2022
C'est une bonne question ! En fait, très clairement la thématique, l'âge des persos, l'univers, sont inspirés de mes propres lectures d'enfance (style chair de pour etc). Mais je n'ai pas envie de m'empêcher d'utiliser certaines thématiques / vocabulaire pour coller à un public. Donc je vais juste me laisser aller et on verra ensuite quel public aime le texte :)
Esteveneta
Posté le 16/04/2022
Bonsoir MathMajois,
J'ai beaucoup apprécié ce premier chapitre. Ton style est frais, enlevé et tes paragraphes structurés. Ton vocabulaire est foisonnant. Les personnages sont bien campés, on s'y attache tout de suite. Bref, un vrai bon moment de lecture !
MathMajois
Posté le 18/04/2022
Coucou, merci beaucoup d'avoir pris le temps de me lire ! N'hésite pas à continuer ta lecture et à me faire part de tes observations. C'est surtout dans la durée que maintenir une bonne qualité (et surtout une bonne structure) représente un défi. Surtout en respectant mon public cible !
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