Respire !

Notes de l’auteur : Remerciements à ceux qui me liront :
Merci à Dieu et Yeshoua, qui alimentent ma foi avec bonté.
Merci à ma famille, qui a été présente jusqu'au bout, et a participé à l'aboutissement de cette nouvelle.
Merci à tous mes lecteurs, pour vos commentaires très encourageants et édifiants ! Je vous aime !

   Les pensées d’Octave se concentrèrent sur un sujet brumeux. Quelque chose qui remuait son âme et la plongeait dans un flou considérable. La plus terrifiante des incertitudes, la question qu’il s’était toujours posée : d’où viens-je ? Un trouble pareil devait forcément l’attirer ; c’était dans ces situations qu’il se manifestait. Main serrée sur un levier, il attendait et contemplait ce qu’il avait mis en œuvre. Il ne manquait plus que lui.  


– Bonsoir Octave, dit soudain une voix près du moteur.  


La maigre silhouette de Monsieur Dalmin apparut, et s’approcha doucement d’Octave. 


– Savez-vous à quoi vous me faîtes penser, Monsieur Dalmin ?  


En un geste furtif, Octave ajusta la pupille de verre laissant apparaître un ciel nocturne. Des milliers d’astres constellaient cette étendue infinie. Seulement, un épais nuage vint les camoufler. 
 
Les deux hommes le fixaient attentivement, et le virent être balloté par le vent, jusqu’à ce qu’il disparaisse complétement du cadre.

 
– Un nuage, qui ne fait que passer, lança joyeusement Octave. Voyez-vous, j’ai appris que les grêlons de la peur ne suffisent pas à empêcher l’ouvrier de travailler. Et le vent de la témérité souffle ! 


Les traits cireux du visiteur se contractèrent un instant, avant d’afficher un léger sourire désinvolte, qu’il dissimula rapidement sous un masque grave. 


– Octave, que vous arrive-t-il ?  
– Vous dites connaître les Fabriques, ma Fabrique ?  
– Bien évidemment !  
– Comme si vous aviez décidé de la place de chaque rouage et de leur fin - que vous pourriez repousser - …comme si vous en étiez l’artisan ! 


Désemparé, Monsieur Dalmin tenta de se contenir. 


– Vous le connaissez donc lui aussi ? remarqua Octave avec un sourire victorieux. 
– Qui vous en a parlé ? rétorqua amèrement le visiteur. 
– Lui-même ! Vous qui vous considérez comme fin connaisseur, n’avez même pas observé le message qu’il m’a délivré ! jubila Octave en désignant les machines. Vous êtes un menteur, conclut-il en plongeant son regard plein de défiance dans celui embarrassé de Monsieur Dalmin. 


   Les yeux du négociateur se plissèrent et s’assombrirent davantage. La sueur de la malhonnêteté apparut sur son front, sillonné par les rides de l’irascibilité. Monsieur Dalmin se redressa lentement, à en faire craquer ses vertèbres, et les ombres qui étaient attachées à ses pieds grandirent. Ces dernières s’agitèrent et se rapprochèrent de l’ouvrier, qui reculait peu à peu. Une masse noire sortit de derrière le moulin pour rejoindre ses congénères, et c’est alors qu’Octave comprit. Le moulin qui ne voulait plus marcher était l’une des premières observations de Monsieur Dalmin, il en saisit la raison. Octave se pressait désormais contre le panneau de commandes.    


– Vous vouliez me faire une proposition, sachez que je la décline. 
– Bien, dit aigrement Monsieur Dalmin. Seulement êtes-vous sûr de votre choix ? Je ne propose jamais une seconde fois.  
– Sans l’ombre d’un doute ! 

Les lèvres de Monsieur Dalmin se déformèrent, on eut dit qu’il voulait sourire, sans toutefois y parvenir.  
 
– Vous croyez que vous pouvez compter sur l’Artisan, mais regardez autour de vous ! s’écria-t-il en désignant le décor décati avec de grands gestes, tel un volatile effaré qui secouait ses ailes déplumées. Tout s’effrite, tout titube, votre Fabrique est corrodée par votre rouille ! Car vous êtes un homme rouillé, pauvre imbécile !   


Sa perte de sang-froid excitait les ombres qui avançaient de plus en plus.

   
– Ça ne l’a pas empêché de me réparer ! protesta Octave. 
–  Vous semblez persuadé qu’il le désirait réellement… mais réfléchissez donc ! Pourquoi n’est-il pas resté auprès de vous, pourquoi vous narguer en ne nettoyant qu’une partie de vos machines ?  


Sa voix devenait de plus en plus aigüe, et se mua en un sifflement désagréable qui résonnait dans la Fabrique.  


–  Pourquoi avoir utilisé cette femme pour vous mettre en garde contre moi, et ne pas venir en personne ? ajouta-t-il avec âpreté. La réponse est qu’il a horreur de vous ! Il a horreur de votre personne rongée par la pourriture de votre orgueil et de votre amertume ! 


   Octave frémit, ses genoux tremblaient sous le poids de ces accusations. Mais il se souvint du télégramme, de son contenu, et tourna la tête en signe de déni. Pris de rage, le funeste homme leva son bras ascétique en direction d’Octave, et les ombres se jetèrent sur lui. Paralysé, l’ouvrier se sentit écrasé par un poids invisible qui le faisait suffoquer. Sa vision devint soudainement floue, son souffle saccadé. Plaqué contre le sol, il parvenait à bouger avec peine. Son esprit fut si trouble, qu’il luttait pour ne pas perdre connaissance.  
Monsieur Dalmin se pencha alors sur lui, répandant son souffle glacial sur son front. Il promena sa main froide sur son cou et se saisit du cordon où était suspendue sa clef, avant de le lui arracher d’un geste sec.  


–  C’est dommage, Octave. Nous aurions pu travailler ensemble, sans en arriver là. Mais il est désormais trop tard. Je possède ta Fabrique ! 


Octave parvint à poser son regard lointain sur l’homme. 


–  Non. 
–  Comment ? 
– Vous ne possédez rien de moi, réussit-il à dire. 
Devant son silence, Octave répéta. 
–  Il n’y a pas de marché. Cette clef est inutilisable pour vous.
 
Chaque mot était difficile à prononcer, pourtant, il gagnait de l’assurance. Et plus il en avait, plus l’étreinte étouffante des ombres diminuait. Monsieur Dalmin eut un mouvement de recul. Ses ombres se retirèrent comme une vague ; et avant qu’elles ne se rabattent sur lui, Octave se traîna en arrière.  


–  Partez, partez et ne revenez jamais ! 
–  Vous êtes condamné, Octave ! hurlait-il.  


   Saisi de dégoût et de dépit, Monsieur Dalmin jeta la clef sur le corps meurtri de l’ouvrier, puis disparut derrière le moteur. Octave le vit à peine se retirer. Sa perception était noyée dans une confusion profonde où les bruits et les formes étaient indistinctes. L’ouvrier serrait la clef rugueuse dans sa main. Son pouls s’était ralenti. Des fracas au niveau du premier palier annonçaient un éboulement. Le grondement parcourait chaque tuyau de cuivre et se répercutait sur les parois de métal, résonnant comme un bruit de tonnerre.  
Son corps était alourdi par la fatigue. Octave crut qu’une ceinture en plomb étreignait ses poumons. Il se retourna sur le dos et fixa le plafond d’un œil vide. Celui-ci lui donnait l’impression qu’il allait s’écrouler d’un instant à l’autre.  


C’est la fin, pensa-t-il. Et comme pour éviter l’angoisse de voir la mort tomber sur lui avec brutalité, il ferma les yeux. 


– Non, ce n’est que le début. 


Cette voix lointaine le mit en alerte. Malgré son immense volonté pour se lever, il ne put bouger ni apercevoir qui lui parlait. 


– Vous êtes revenu, grinça Octave. Monsieur Dalmin, s’il vous reste un semblant de pitié, achevez-moi avant que la Fabrique ne s’écroule. 


Des pas se rapprochèrent et Octave aperçut une boîte à outils, posée près de son corps meurtri. Ce qu’elle contenait, Octave ne put l’observer clairement, mais il en saisit l’éclat.  


– Pourquoi détruirais-je ce que j’ai moi-même créé ? demanda la voix. 

   Soudain, se dressa une haute silhouette, vêtue d’une cape et d’un haut-de-forme d’une grande blancheur. Elle s’accroupit, s’approchant au plus près pour qu’Octave le vit. L’ouvrier fut saisi de stupeur à la vision de ce visage au-dessus du sien, dont chaque trait radieux dégageait une bouffée de joie et de bienveillance. Un sourire débonnaire et des yeux humides de compassion semblaient vouloir l’envelopper entièrement. 


– Qui êtes-vous ? soupira difficilement Octave. 
– Je suis l’Artisan. 
 
   La surprise se lisait sur le visage blême d’Octave. Il cherchait à détailler bien plus profondément son visiteur, sans grand succès. L’ouvrier restait méfiant, et se demandait si ce n’était pas un autre piège qu’on lui tendait. L’Artisan perçut son scepticisme et devina ses interrogations. Ne craignant pas de salir ses vêtements, il s’en allégea et les posa sur le parterre poussiéreux. Puis, il laissa le temps à Octave de rassembler ses idées, tout en promenant son regard calme et patient sur la Fabrique, qui était toujours ébranlée. 


– Comment êtes-vous venu à moi ? s’enquit soudain le blessé. 
–  Je suis entré par le moteur.  
– Comme Monsieur Dalmin, souffla gravement Octave. 
– Pas exactement, non… moi j’ai frappé. 
– C’était donc ça, les bruits de tonnerre, les tremblements et le reste ? 
– Non, rit l’Artisan. Ça, c’était votre peur. Il y a quelque temps, je me suis présenté à vous à travers divers signes et messages. Il faut que vous sachiez que je ne me précipite pas chez quelqu’un sans en avertir l’hôte, et sans y être invité : que ce soit par une question ou une plainte... car je les entends ! Ayant pris connaissance des événements et de votre état sérieux, j’ai cru bon de venir jusqu’à vous en personne.  
– Et où étiez-vous avant ? 
– Jamais loin. 


L’Artisan le détaillait de la tête au pied. Son timbre de voix laissait paraître une douce sympathie ; c’était le ton que l’on adoptait quand on s’adressait à un ami, longtemps perdu de vue, et que l’on ne souhaite plus quitter. 


–  Je peux vous réparer si vous le désirez. 
Octave émit un rire qu’il accompagna d’une grimace.  
– La Fabrique s’effondre ! Vous le voyez très bien ! Et je ressemble à un amas de poussière cloué au sol…
Ne pouvant achever sa phrase, le regard d’Octave se voila d’une immense tristesse et d’une expression de déception.  
– Pourtant, j’avais tellement de questions à vous poser. 


Il ne put empêcher une larme de couler, la première qu’il alla puiser dans son puits à regret. Cela lui fit du bien. 

–  Rien n’est perdu, insista l’Artisan.  
–  Mais comment comptez-vous me sortir de là ? 


Chaque mot, il le sentait, lui coûtait. Son souffle se fit de plus en plus lent, et de plus en plus rare. Octave toussa. L’Artisan lui prit sa main calleuse. 


–  Il n’est pas question de fuir, mais de réparer. J’ai pensé à ramener mon essentiel, ajouta-t-il en désignant sa boîte à outils. Il faut que vous me confiiez votre clef, Octave. 


   Celui-ci le regarda de nouveau dans les yeux, et y vit le même océan de bonté où naviguait une chaloupe d’espoir, sur laquelle l’Artisan lui faisait de grands signes. Les expirations régulières et paisibles de ce dernier apaisèrent le trouble d’Octave, jusqu’à ce qu’il s’évapore complètement. Les tremblements de la Fabrique cessèrent. Lentement, le blessé desserra la main et laissa apercevoir une clef, si corrodée qu’elle en avait perdu son aspect originel. Octave la pressa fortement dans la paume de son ultime secours, puis il expira. Désormais moite, la main de l’ouvrier quitta celle de l’Artisan et retomba sur le sol. Il n’y eu plus un bruit dans l’immense labyrinthe métallique. Bouleversé mais à la fois serein, l’Artisan effleura délicatement la clef comme si c’eut été une fleur effritable. Peu à peu, elle prit l’apparence et la solidité d’un diamant.  

Doucement, les rouages se remirent en route, les chaînes du moteur cliquetèrent en une cadence régulière et… Octave respira. 

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Makara
Posté le 20/07/2020
Recoucou ! Me revoilà ! Je n'avais pas fini ton histoire ! C'est une très belle découverte ! Cela ne m'étonne pas que tu aies été sélectionné(e) au concours des jeunes écrivains :)
Bravo ! C'est une nouvelle très poétique et bien écrite ! J'ai bien aimé cette idée de l'artisan qui relance la machine à la toute fin. En y réfléchissant, j'ai trouvé que cela faisait un peu allégorie de la religion. Octave retrouve la foi, après avoir été un temps tenté par d'autres chemins et par un autre personnage (Mr Dalmin). En retrouvant la foi, il retrouve la vie :)
ça me plait de penser ça <3
J'ai hâte de lire de nouvelles histoires de ta part <3
Bisous volants <3
Charlie. A. L.
Posté le 20/07/2020
Recoucou Makara !
Merci pour tous tes encouragements :) C'est vraiment gentil !
Oui, tu as raison, c'est une sorte d'allégorie en rapport avec la foi, la confiance et Dieu. Tu as bien interprété :)
Je te remercie, et j'ai hâte de te revoir dans les parages !
Gros bisous !
Pluma Atramenta
Posté le 09/07/2020
Coucou ! L'histoire est donc... terminée ? En tout cas, je l'ai réellement adoré, on voit que tu l'as bien travaillé, et ta manière d'écrire est vraiment prometteuse ! Le mécanisme de ton imagination a bien fonctionné, on dirait ;)
J'ai hâte de lire tes prochains écrits ! (surtout si c'est du steampunk)
Que l'inspiration soit avec toi !
Pluma.
Charlie. A. L.
Posté le 09/07/2020
Coucou Pluma !
Oui l'histoire est bien terminée... :)
Je te remercie, ce que tu me dis m'encourage tellement !
Au plaisir de te revoir dans les parages !
Que l'inspiration ne te quitte jamais ;)
Charlie
Pluma Atramenta
Posté le 09/07/2020
Tu as des projets que tu vas publier ? :)
Charlie. A. L.
Posté le 09/07/2020
Sur Plume d'Argent ?
Certainement ! J'en ai tout un fichier, il faut juste que je retravaille un peu ces manuscrits :)
Pluma Atramenta
Posté le 09/07/2020
J'ai hâte de voir ça !
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