Cet échange le convainquit que le prodige de l’outil ne pouvait être l’œuvre de Monsieur Dalmin. Ce dernier était effectivement certain de sa mort prochaine et s’était acharné à le persuader de l’innocuité de son contrat. Il n’avait en aucun cas évoqué le miraculeux événement. Pourtant, c’était bien une démonstration que l’on utilisait comme appui, en faveur d’un marché comme celui-ci !
La proposition de Monsieur Dalmin paraissait alléchante, même si Octave éprouvait quelques réticences quant au marchandeur. Dans son for intérieur, il méditait encore l’intriguant miracle. Mais était-ce suffisant pour balayer une offre pareille ? Qu’avait-il à perdre : il était si proche de la fin. Son temps était compté.
Une seule question persistait dans son esprit : qui était le réparateur de sa clé ? Ce « qui ? », faisait cliqueter les bielles et leurs roues à manivelle. Ce refrain perdait en intensité au fur et à mesure qu’Octave s’endormait. Ses mains devinrent molles et laissèrent tomber le précieux outil qu’il utilisait pour la réparation de son Télégraphe. Le bruit cinglant de sa percussion avec le sol le réveilla en sursaut.
Les paupières d’Octave, appesanties par le sommeil, s’écarquillèrent de surprise à la vue de ce qu’il y avait devant lui. Un tracé de clarté sillonnait les machines, comme si on y eut passé un linge qui avait réparé toutes les corrosions et absorbé toute la poussière. Il se mit à suivre le tracé avec une expression abasourdie. Cette propreté se détachait clairement de la rouille, dont était atteint le reste de l’appareil.
L’incompréhension l’envahit. Il devait prendre du recul à ce phénomène. Octave monta les escaliers ; cela lui donnerait suffisamment de hauteur. Lorsqu’il arriva haletant au premier palier, son souffle fut coupé. Le tracé prit la forme d’un signe, les signes en mots, les mots en réponse :
« Je suis l’Artisan ».
Un bruit aigu survint en direction du bureau. Cela faisait des années qu’Octave n’en avait pas entendu de similaire, ce qui augmenta sa surprise. Octave dévala l’escalier et se mit à examiner son Télégraphe avec précaution. Il s’était actionné sans crier gare. Son regard suivit le levier qui se mit à osciller, et le cœur palpitant, il saisit une feuille. La traduction des différentes séquences fut laborieuse, car il avait presque oublié le code. L’âge l’avait rendu taciturne.
Alors que les impulsions s’enchaînaient sans ménagement, Octave s’efforçait de rester concentré. Quand le levier cessa de bouger, l’ouvrier reposa son crayon et lut le message.
« Cher Octave,
Je me permets de vous écrire, car il est important que nous parlions de Fabrique en Fabrique. Un ami m’a chargée de vous adresser cet avertissement, car vous semblez avoir fait la connaissance du dénommé Monsieur Dalmin. J’ai moi-même eu à le confronter il y a quelques années, car il voulait aussi marchander avec ma petite Fabrique. À l’époque, j’avais de nombreux problèmes. Il s’est avéré que la peur avait agité et abîmé quelques-unes de mes machines. Monsieur Dalmin s’était renseigné sur mon compte avant de s’introduire chez moi. Sachez que sa réputation dans le secteur l’associe à des titres très peu enviables tels que « l’arnaqueur des temps modernes », « le loup des usines » ou encore « le gredin aux clefs ». Vous l’aurez deviné, sa réputation est entachée de scandales. Je m’inquiète pour vous, car vous étant replié sur vous-même, vous êtes devenu très vulnérable. Voilà notre conseil, à mon ami et à moi : ne croyez pas ce malhonnête homme d’affaires ! Il essaiera sûrement de vous troubler par quelques mensonges bien conçus, pour faire du profit sur vous. Quoiqu’il vous vende, bien que vous le désiriez jusqu’à compromettre votre Fabrique, déclinez-le, je vous en supplie, cher Octave !
Votre bien dévouée Hélène »
Octave plia délicatement le papier et le mit dans sa poche. Après un court silence, les clics des rouages reprirent l’hymne de la question : « qui ? ». Octave se saisit du manipulateur et appuya sur la poignée : « Qui est cet ami dont vous parlez ? Est-ce l’Artisan ? ». L’attente fut longue et accompagnée de bon nombre de trépignements. Soudain, le levier se réactiva et délivra un simple « oui ». Cette réponse donna un regain d’énergie à Octave.
Il existait bel et bien un autre individu qui cherchait à entrer en contact avec lui ! Seulement, il réfléchit un instant au contenu du message d’Hélène, et se rendit compte d’un fait qui l’irrita. Parmi ces deux individus se trouvait un escroc qui jouait avec ses espérances. Était-ce l’Artisan ou bien Monsieur Dalmin, qui souhaitait réellement l’aider ? Lequel des deux mentait ? L’ouvrier conçut un plan. Il comptait bien tirer cette affaire au clair
J'espère qu'Octave va pouvoir démêler le vrai du faux et se débarrasser du/des importuns pour protéger tous les fragiles rouages de ses pauvres machines.
La mécanique du coeur, ça n'aime pas les grains de sable !
(Monsieur Dalmin ne m'inspire que très moyennement confiance mais parfois le vrai méchant de l'histoire n'est pas le plus flagrant ! )