La réunion était très agitée. Ils se retrouvaient en urgence car la France avait à nouveau bombardé les rebelles dans leur pays d’origine alors qu’ils marchaient sur la capitale. Sans l’intervention de l’armée française, le dictateur y serait passé cette fois. Il fallait organiser une manifestation pour dénoncer cette intervention, demander les autorisations en Prefecture et communiquer à ce sujet. Les exilés faisaient la différence entre l'armée et la population française contre qui ils n'avaient pas de griefs. De même, ils considéraient qu'un asile occtroyé par la France, c'était un peu la reconnaissance de ses torts.
Des Français militants étaient aussi présents dans l’assemblée, mais les pauvres étaient un peu paumés dans les débats en arabe. Une fois ce sujet traité et les tâches réparties, la conversation bifurqua sur les situations personnelles de chacun et notamment la procédure d’asile et les papiers en général. Certains de leurs compatriotes, des étudiants pacifiques qui venaient pour la première fois à leur assemblée, déclarèrent que l’ambassade refusait de leur renouveler leurs passeports. Il n’en fallait pas plus pour insurger les rebels en exil. Leur gouvernement fantoche ne faisait pas son travail alors même que ces jeunes n’étaient pas des opposants politiques. Le coeur de Brahim battait fort. A chaque fois qu’il était question de la politique de son pays et du régime qui avait décimé la majorité de sa famille, une rage impuissante faisait vibrer ses os.
Sur ces entrefaites, la femme chargée de la sécurité, une réunionnaise cinquantenaire et belliqueuse, se pointa avec deux agents baraqués. Elle vint s’enquérir avec suspicion des raisons de ce rassemblement peu discret de mecs majoritairement noirs et parlant arabe dans un lieu public. Alors qu'elle leur demandait de vider les lieux avec défiance, certains membres de l’assemblée s'enflamèrent et la traitèrent de "collabo". En réponse, la femme aux yeux exorbités s’insurgea, déclarant être Française et pas Africaine, et qu'elle n'avait rien à voir avec eux. Elle était prête à en découdre.
Brahim n’aimait pas la tournure que prenait les évènements. Il avait le racisme en horreur. Ses années de survie sous le radar en Libye l’avait vacciné. Il était aussi contre les ethnies qui gangrènaient la vie politique de son pays, et contre tout ce qui venait diviser les groupes pour des raisons aussi stupides qu’un ancêtre ou qu’une nuance dans la couleur de la peau. Peu partageait son opinion, même au sein de leur collectif. Un des membres du groupe, un ancien avec un statut de réfugié reconnu, canalisa l'échauffourée avec diplomatie et la réunion se dispersa.
Brahim retrouva Ahmed a la sortie du parc. Ils dirent au revoir aux autres et marchèrent un moment ensemble. Son ami le scruta et lui demanda en montrant sa blessure :
– C’est quoi ça ?
– Des Alibabas à La Chapelle.
Il ne montra aucun étonnement et continua :
– Et alors ?
– Alors ils ont trouvé quelque chose, mais pas ce qu’ils cherchaient.
Brahim montra son poing pour ponctuer son propos et Ahmed rit. Un rire sec et peu joyeux.
Ils burent leurs 8.6 assit sur un banc. La bière aux effluves de vodka leur monta vite à la tête. Ils riaient en évoquant leur trentes six coups et rêvaient de la révolution au pays. La colère vibrait dans leur paroles. Ahmed était une figure sur les réseaux sociaux, il dénonçait, fustigeait, menaçait. Il y a trois mois, il avait pris des coups de couteaux dans le ventre. Des membres de l’ethnie dirigeante vivant à Paris l’avaient coincé et il avait failli y passer. Cela aurait pu se terminer en vendetta s’il n’avait pas arrêté les autres membres du groupe dans leur élan de vengeance. Ahmed déclara :
– Les manifs, c’est bien, mais il faut trouver autre chose.
– Comme quoi ?
Il marqua une pause et ses yeux se mirent à briller comme ceux d’un gamin quand il déclara :
– Occuper notre Ambassade.
Brahim sentit son coeur battre plus vite. Ils avaient déjà essayé de le faire sans grand succès la première année où il avait débarqué en France. Il était très chaud pour recommencer.
– Quand ?
Ahmed savait que c’était risqué et il dévisagea son ami :
– Tu voudrais vraiment faire ça ?
– Dis moi juste quand.
Ahmed se mordit les lèvres puis dit :
– La semaine prochaine. Tu dis rien à personne. Je préviens que nos amis et les autres ont les appellera au dernier moment.
Brahim hocha la tête. Ils se serrèrent la main et Ahmed reparti chez sa compagne tandis que Brahim retourna à sa tente sous le périph’.
Pour sûr, que suivant le titre du recueil, de ce tableau relativement brut, va découler de belles perspectives.
Je te transmets mes habituelles remarques (très mineures) :
- "Les exilés faisaient la différence entre l'armée, l'Etat au sens weberien, et la population française contre qui ils n'avaient pas de griefs" => Selon ce que je comprends du récit, on est dans la tête de Brahim (point de vue interne, même si tu n'utilises pas le "je"). Or je ne sais pas si Brahim utiliserait l'expression "l'Etat au sens weberien", qui par ailleurs, selon moi, complexifie le récit sans lui apporter quelque chose de très important.
- "l’ambassade refusaient de leur renouveler leurs passeports." => refusait
- "les rebels en exil" => les rebelles
- "Je préviens que nos amis et les autres ont les appellera au dernier moment." => Je ne comprends pas la phrase, il y a un problème de construction je pense.
A bientôt pour la suite du récit :)