Rifilstify le grincheux

Une douce brise automnale soufflait sur l’étang, dispersant en milles éclats la lumière du soleil couchant. Les nénuphars et roseaux semblaient danser au son du chant des oiseaux, tandis que les tortues profitaient des derniers rayons de soleil. Seul un petit éclat de lumière jaillissant des hautes herbes venait rompre cette harmonie.

Au milieu des joncs et des genêts se cachait un petit lutin, pas plus grand qu’une grenouille. Il portait dans sa main une minuscule boussole dont la bordure dorée reflétait la lumière tombante. Après un examen attentif de sa boussole et des alentours, le lutin était sûr de lui : le refuge qu’il cherchait était ce château au sommet de la colline qui lui faisait face.

Rifilstify rangea sa boussole dans sa poche et repris sa route. Les nuits étaient fraîches depuis quelques temps, et il était bien content d’avoir atteint sa destination avant que le soleil ne se couche. Sautant d’une ombre à l’autre, se faufilant entre les herbes et les rochers, il commença son ascension de la colline. À mesure que le château se rapprochait le lutin commençait à entendre des voix, des éclats de rires, des cris. Du haut de la muraille qui entourait le parc du château il comprit : c’était une école, et des dizaines d’adolescents profitaient des derniers rayons du soleil dans ce surprenant jardin-forêt qu’il contemplait.

C’est bien ma veine, se dit Rifilstify. Il détestait les adolescents. Ils avaient le malheur de combiner le pire des enfants et le pire des adultes, et il savait qu’il n’aurait jamais un instant de répit avec tous ces fouineurs qui chercheraient à le déloger de sa cachette. Entre le froid d’une nuit de plus en extérieur et le bruit de dizaines de jeunes humains, le lutin ne savait pas quel était le pire.

Tandis qu’il considérait sérieusement de passer son chemin, une odeur de madeleines vint lui chatouiller les narines, accompagnée du doux fumet de maïs grillé, de citrouille et d’épices. Il n’avait pas eu un bon repas chaud depuis bien longtemps, et se dit qu’il pouvait bien rester pour la nuit.

Il s’approcha prudemment de la grande porte donnant sur la cour du château. Il ne fut pas difficile d’échapper au regard des adolescents, trop occupés qu’ils étaient à faire allez savoir quelles bêtises. Suivant les douces odeurs de nourriture, Rifilstify finit par arriver devant la fenêtre d’une grande cuisine. S’y affairaient des humains, jeunes et adultes, mais également des êtres du petit peuple. Un nain tranchait des tranches de potimarron tandis qu’une elfe créait un courant d’air pour faire tourner une cuillère en bois dans une grosse marmite. Des gnomes façonnaient une magnifique tarte aux pommes, et il y avait même une salamandre dans la cheminée en train de griller à la perfection des épis de maïs. Tout ce beau monde cuisinaient joyeusement, remplissant plats après plats de mets à l’apparence délicieuse.

Rifilstify resta quelques instants à contempler ce spectacle. Il avait beaucoup voyagé, avait séjourné dans nombre de lieux différents, mais n’avait jamais vu autant de créatures différentes travailler ensemble. Peut-être que ce château n’était pas si mal au final ? Il remarqua qu’à chaque nouveau plat finit, les cuisiniers plaçaient toujours une portion dans une grande niche dans le mur en face de lui. Il se décida à entrer dans la cuisine pour en chiper un morceau.

L’avantage quand on est un lutin, c’est qu’on peut se glisser dans n’importe quel interstice, et devenir invisible une fois dans l’ombre. Il se faufila discrètement parmi les cuisiniers affairés et se glissa dans la niche du mur. À sa surprise il ne restait pas la moitié de ce qu’il avait vu être placé à cet endroit. Se disant qu’après tout d’autres lutins avaient dû passer avant lui, il pouvait bien prendre un petit morceau supplémentaire sans que ça manque à qui que ce soit.

Rifilstify empaqueta son repas dans son baluchon, puis entreprit de sortir de sa cachette par la petite fissure sur le mur du fond. Suivant les serpentements du mur de pierre il arriva enfin sous les toits du château. Il trouva une petite ouverture dans les tuiles qui lui permettait de contempler les alentours. Il sortir ses victuailles encore chaudes et les mangea en admirant les étangs et forêts qui s’étendaient à perte de vue. Un sourire de contentement s’installa sur son visage. Il allait peut-être rester quelques temps dans ce château finalement.