Rumeur prophétique

Par Bleiz
Notes de l’auteur : Voici la suite du chapitre précédent. Bonne lecture !

23 Novembre :

Devinette : Qu’est-ce qui est pire que de se faire réveiller par le son d’une notification d’un email de votre agent à propos de votre côte de popularité en baisse ? Deux emails de ce même agent. 
Charlotte n’est pas la personne la plus diplomate que je connaisse et je ne le lui reproche pas, ce n’est pas comme si c’était une des raisons pour lesquelles je l’appréciais ou que je l’avais embauchée. M’enfin il devrait y avoir des limites ! Je ne pense pas qu’il soit recommandé d’écrire, à qui que ce soit, qu’il est « dommage que je passe autant de temps à lire mon courrier plutôt qu’à plancher sur les contrats qui me sont proposés, peut-être que comme ça j’aurais moins de raisons de me plaindre » et, dans le second message, de rajouter que « ce n’est pas grave si certains fans quittent le navire, ils reviendront » et qu’il ne faut pas que je m’inquiète ? Tout ça par ce que je n’ai pas communiqué avec mes admirateurs depuis un certain temps et n’ai pas eu de coup d’éclat récemment ? 
Le pire dans tout ça ? Je suis certaine qu’elle ne pensait pas à mal. Non, Charlotte est juste le genre de personne qui vous pousse au fond du trou avec sincérité, honnêteté et amitié. Elle a la délicatesse d’une paire de rangers en pleine face. Elle a dû se dire que j’étais au courant de la grogne qui montait chez mes abonnés et a voulu me remonter le moral à sa manière.
J’irais bien me recoucher mais vu ce qui vient de se passer, je vais plutôt me concentrer sur de nouvelles idées...

24 Novembre : J’ai l’impression d’être de retour à la case départ. Le drame de la page blanche. Le génie en moi se meurt. Tout conspire et me nuit et conspire à me nuire, comme disait l’autre. Je crois que je ne vais pas être très productive aujourd’hui. Voire pas productive du tout.
Changement de programme, j’ai des devoirs à rendre à M. Froitaut. Qu’ai-je donc fait pour mériter ça ?! Sans parler de ma mère qui a décidé de me libérer pour une demi-heure, le temps d’un aller-retour à la boulangerie... Je me sens misérable, il n’y a pas d’autre mot.

25 Novembre : Je tiens à présenter mes plus plates excuses à Jean de la Fontaine et Molière. J’étais dans l’erreur. La littérature, la poésie, le théâtre etc, c’est bien. Très bien, même. Alors s’il vous plaît, fantômes de mes deux cosinus, pouvez-vous retirer la malédiction que vous m’avez de toute évidence jetée ?!

Désolée, lecteurs. Comme d’habitude, je vous prends par surprise. Mais des excuses publiques (bien que gardées confidentiellement dans le secret de mon ordinateur) s’imposaient. C’était soit ça, soit jeter mon frère dans un volcan en offrande, et les volcans ne court pas les rues de Paris.

En gros, j’ai la poisse. Vous serez étonnés, peut-être ; quoi que cela fait maintenant quelques temps que j’accumule les tuiles. Si vous remontez votre regard de quelques lignes et revenez ainsi au résumé de la veille, vous remarquerez que j’étais aller acheter du pain. Rien d’exceptionnel jusque-là. Seulement, il y a un détail que j’ai omis d’écrire hier et pour cause ! je n’en savais rien.
Il se trouve qu’un journaliste moins que sympathique a décidé que suivre une jeune fille de treize ans était une attitude saine et m’a prise en photo ! Hier, alors que j’étais dans une humeur de chien ! Résultat : ma tronche déconfite s’étale sur toutes les couvertures en papier glacé des kiosques de France. Et moi, je meurs. Parce qu’à la limite, un mauvais cliché de ma pomme affiché dans toute la nation, c’est gênant mais ça s’arrête là. Là où ça devient problématique, c’est quand ces maudits gratte-papiers se mettent à faire des hypothèses abracadabrantesques ! « La Pythie en proie aux démons du futur ? » peut-on lire en gros titre.  Alors certes, d’une certaine manière, ils n’ont pas tort. L’absence d’idée géniale m’a donné du chagrin. Duper à l’internationale est un phénomène complexe et hélas pour moi, on ne trouve pas encore de guide sur le sujet. Cependant, ma triste humeur a été interprétée différemment. Ma moue signifierait, toujours d’après les journalistes, qu’une grosse prophétie se préparerait. Un évènement qui bouleverserait la face du monde, rien que ça ! Je ne suis pourtant pas si étonnée qu’ils s’emballent ainsi : j’ai toujours été très prudente à ne pas dévoiler mes véritables sentiments au public. Seulement hier, je n’étais pas prête ! C’était un vrai coup en traître. Quelle ironie tout de même, qu’au moment où je me creuse la cervelle pour inventer une nouvelle prophétie, les médias m’en colle la responsabilité d’une sur les épaules.

Et si seulement j’étais seule à me lamenter dessus. Charlotte me harcèle depuis ce matin, jurant ses grands dieux qu’elle n’est pas à l’origine de la rumeur. Comme si je ne le savais pas ! Tout est de ma faute, pour le coup. Elle aussi ne chôme pas : en tant que mon agent, les journaux et chaînes de télévision doivent passer par elle pour espérer pouvoir me parler. Tiens, la voilà qui me rappelle.

« Marchand, si tu...

-Je suis désolée, il faut que tu me croies ! Ce n’est pas de ma faute !

-Bon sang, mais je sais ! Calme-toi, pour l’amour du ciel. 

-Si je retrouve cet imbécile qui t’a prise en photo... » grogna-t-elle à l’autre bout du fil.

« Ah, attends un peu, j’ai un double appel, je te reprends après.

-Non, att-

-Allô, ici Ingrid Karlsen, à qui ai-je l’honneur ? » déclamais-je d’une traite.

« C’est pas la grande forme, dis-moi. » me répondis une voix familière.

« Tristan ! Je ne m’attendais pas à ton appel. Quoi qu’avec du recul, je suis surtout étonnée que tu ne m’aies pas contactée plus tôt.

-Les rumeurs de ta prochaine prophétie se propagent comme un feu de paille. Qu’est-ce que c’est que cette nouvelle invention ?

-Mais rien, justement ! » Je gémissais presque de rage et de frustration dans le combiné. « J’avoue que j’étais à la recherche d’une nouvelle idée depuis un jour ou deux...

-Encore ? Mes avertissements ne t’ont donc servi à rien ?

-Mais je n’ai rien trouvé ! Et maintenant, un bête journaliste a mis ma photo partout et le monde attend que je lui sorte une nouvelle trouvaille.

-Tu pourrais dire que c’est la culpabilité qui te ronge et dire la vérité...

-Oh, tu m’ennuies. Je te laisse, j’ai laissé Marchand pour te répondre.

-Qui, ton agent ? »
 
Je laissais à Internet le soin de répondre à sa question. Un glissement de mon index sur l’écran et je retrouvais la voix de Charlotte :

« Toujours là ?

-Oui, bien sûr. Du coup, qu’est-ce qu’on fait ?

-Eh bien...

-Ça va chambouler tout notre programme. »

Arrêt sur image. J’étais supposée recevoir du soutien de sa part et elle, elle me parlait de travail ? J’avais envie de lui crier «Mais tu te fous de moi ? Je suis au bord du breakdown émotionnel, je suis dans la panade et toi, tu me parles de planning ? Est-ce que tu sais où tu peux le mettre, ton planning ?! » Cependant, étant dans la situation délicate dans laquelle j’étais, je me suis contentée d’un :

« ...Je te demande pardon ?

-Pour l’instant, je n’ai dit oui à aucun contrat, mais là... soit ils vont nous bombarder de demandes, soit tout va s’arrêter ! On va potentiellement se retrouver à sec.

-Mmm, je vois. Écoute, normalement ça m’intéresserait mais là, pas du tout. 

-Bon sang Karlsen, c’est important ! Il faut que-

-À plus tard. »

Et je raccrochais. Pas mon geste le plus élégant, je vous le concède, mais parfois une attitude brute est plus efficace que toutes les courbettes. Je repassais donc à Tristan :

« Allô ?

-Pythie, qu’est-ce que tu comptes faire ?

-Ne pas sortir de chez moi pendant les deux prochains jours, histoire que ça se tasse. Je trouverai sans doute une solution pendant ce temps-là. 

-Ta solution étant un nouvel artifice ? Pythie, ça va mal tourner. Tu as déjà du mal à garder ton mensonge...

-Mon plan, c’est un plan, » insistais-je. Pourquoi personne ne se donnait la peine de l’appeler ainsi ?

« Si tu veux. Tu ne vas pas y arriver !

-Pas avec cette attitude, certainement pas ! Garde tes ondes négatives pour toi, merci. Cela dit, tu as raison sur un point.

-Ah !

-Je ne risque pas de parvenir à mes fins si je ne mets pas au boulot maintenant. Je ne te salue pas, Tristan ! »

Je mis fin à notre appel sur ces mots. Comment voulez-vous que je reste un tant soit peu saine d’esprit avec des gens aussi peu encourageants ? C’est un miracle que je sois devenue la Pythie que l’on connaît aujourd’hui.
Il semblerait cependant qu’au moins un de nos deux lascars se sente suffisamment coupable pour m’envoyer un message d’excuses ! Une tentative de communication pour repartir sur des bases saines. Ils ne sont peut-être pas irrécupérables...
Tant pis, ignorez ce que je viens d’écrire. C’était M. Froitaut qui tenait à me rappeler que j’avais des exercices à lui rendre. Formidable. Oh, il écrit quelque chose, attendez. 

« J’espère que les journaux ne te mènent pas la vie dure. N’oublie pas de finir les exercices que je t’ai envoyé. Bon courage et à la semaine prochaine ! »

Je rêve. C’est obligé. Je nage en plein délire. Je n’ai pas les mots ! De quel droit ! Il se moque donc bien de ce qu’il m’arrive ? il n’y a rien, jusqu’au cœur de mon existence, qui ne soit épargné par mon quotidien haletant et franchement épuisant et lui, il me bassine avec ses devoirs-maisons ? Il se paye ma tête ! Où est la caméra cachée ? Outre le fait que je sois véritablement spéciale, dû à mes talents de mathématicienne, je pensais qu’il m’appréciait. Qu’il m’estimait en tant qu’élève. Il semblerait qu’il n’en soit rien.

Eh bien, qu’il en soit ainsi ! C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase de Soissons. Tous, ils se moquent de ce qu’il m’arrive tant que ça ne les concerne pas directement, eux et leur business minables ? OK. Je vais les forcer à me regarder. Il est plus crucial que jamais que je passe à la seconde étape de mon plan. Mais que faire ? La rage ne m’apporte que de la détermination, pas d’inspiration. Dans une situation comme celle-ci, je n’ai plus qu’une chose à faire...

J’entrais dans la chambre de mon frère avec fracas. Lui, au moins, ne change pas : il était avachi sur sa chaise tournante, le casque vissé aux oreilles, la manette greffée à ses mains. Quand il s’aperçut de ma présence, il tenta de me chasser d’un regard noir. Peine perdue ! J’avais des problèmes autrement plus graves que sa mauvaise humeur. Il sembla comprendre que quelque chose n’allait pas ; il mit son jeu sur une pause et me demanda avec un soupir :

« Qu’est-ce que tu fais là, microbe ? »

Je le fixais sans répondre, sourcils froncés. Il renchérit en secouant la tête :

« Alors ?

-Je suis fatiguée, » lançais-je en donnant de petits coups de pied dans sa chaise tournante. « Réconforte -moi.

-Maman est dans le salon si t’as besoin.

-Elle m’a puni, je ne veux pas aller quémander !  Tu es mon frère, il doit bien y avoir quelques gouttes de ton sang en commun avec le mien ! Une partie de ton cœur de pierre devrait se ramollir en voyant ta petite sœur en détresse ! RÉCONFORTE-MOI !

-Mais quelle peste ! » souffla-t-il en levant les yeux au ciel. « Toujours à te plaindre. »

Néanmoins, il ne remit pas son casque en place. Détail que j’aurais négligé si je le connaissais moins ; cependant, dans le langage de François, ça veut dire qu’il est prêt à m’écouter. Je n’ai aucune garantie qu’il me répondra ou tentera seulement de me réconforter, mais il y a définitivement une ouverture. Je décidais donc de prendre mes aises et sautais à plat ventre sur son lit. Bien sûr, sa couverture était en boule et ses oreillers sens dessus-dessous mais le simple fait de me trouver dans un environnement différent de ma chambre tout en restant familier me faisait me sentir mieux. Déjà je me sentais plus calme. La rage était toujours là, tapie dans les ombres de mon cerveau mais elle avait fait place à une froide logique et un besoin d’action. Je me remuais donc les méninges et ce pendant plusieurs minutes ; en vain. Je tentais alors de trouver l’inspiration ailleurs : embêter mon frère sembla la chose à faire.

« C’est quoi ton jeu ?

-Celui que tu m’as offert.

-Ah. Et c’est quoi l’histoire ? »

Je reconnais avoir uniquement choisi son cadeau d’anniversaire parce que mon père m’avait recommandé de le choisir. Je n’avais pas lu le résumé, à peine reconnu un design vif et des couleurs vives sur la boîte. 

« En gros, » François pointa du doigt un bonhomme aux allures de bodybuilder aux cheveux démesurément longs et soyeux, « tu as un personnage. Tu es un héros et avec l’aide d’autres joueurs, tu dois accomplir des quêtes. Tu as une quête principale, qui est le fil rouge du jeu, et plein de petites quêtes secondaires. Ça commence avec l’unique princesse du royaume qui est capturée par le roi des démons. 

-L’objectif, c’est de la récupérer et c’est tout ?

-Pas que. Les membres de la famille royale ont un pouvoir magique unique qui leur permet de restaurer la barrière qui protège le royaume des humains des démons. Donc il faut récupérer la princesse pour qu’elle répare la barrière et combattre des démons.

-C’est fumeux comme histoire... Comment tu fais pour t’allier à d’autres joueurs ?

-Ben, c’est un jeu en ligne. Tu avances plus vite en créant une équipe. Le secret, » et il se pencha vers moi avec un air mystérieux, « c’est d’avoir des membres aux compétences différentes. Regarde, la spécialité de mon perso, c’est la force, parce que c’est un Chevalier. Donc j’ai besoin d’autres personnes douées en attaques sournoises, en sorts défensifs etc. »

Je me redressais à moitié. De petites étincelles électriques flamboyaient de çà et là dans mon crâne. Je tenais le début d’une idée, c’était tout près !

« C’est quoi, les différents types de personnages ? » le pressais-je, l’esprit tournant comme une machine.

« Oulà, il y a du choix ! Mais les principaux, je dirais que c’est Chevalier, Barde, Assassin, Voleur et Mage. »

Je tombais du lit avec fracas. Mon frère sursauta tandis que je bondissais sur mes pieds et m’enfuyait en hurlant :

« J’ai trouvé ! Merci François ! »

Entendez-moi, lecteurs. Le monde s’attend à une prophétie incroyable, rien de comparable avec ce que j’ai fait auparavant. Je vais la leur donner ! Je vais monter une équipe de héros et les lancer sur une quête. Je les choisirai soigneusement, de façon à ce qu’ils soient réellement efficaces, et ils accompliront de vrais miracles ! Je mettrai sur leur chemin des obstacles soi-disant infranchissables, mais qui seront calculés à la perfection, si bien que le monde s’ébahira devant leurs talents quand ils réussiront. Ce sera formidable. Bien plus complexe que mon plan de base, certes, mais cette-fois, je ne serais pas seule. Reste à convaincre Tristan de m’aider à inventer une prophétie qui tienne la route.
 

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Edouard PArle
Posté le 27/02/2022
Coucou !
Le nouveau plan d'Ingrid promet, en tout cas tu le vends bien ! Ca sent le coup à la fois subtil et foireux^^ L'appel à Tristan pour être aidée donne encore plus de piments au truc.
L'introduire par le personnage du frère est un super idée. Ca donne un intérêt à François dans le scénario au delà du frère pénible et c'est super original. Je suis vraiment très intrigué par ce que tu as pu concocter mais je m'attends à du lourd !
Maintenant reste à voir si Tristan accepte de coopérer. La pythie va-t-elle lui mentir ou tenter franc jeu ? Ca parait risqué de cacher la vérité à un tel génie, Ingrid est bien placée pour le savoir.
Petite remarque :
"C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase de Soissons." sympa l'expression ^^
Un plaisir,
A bientôt !
Bleiz
Posté le 28/02/2022
Salut,
Aaah, je suis contente que tu aies été surpris par le nouveau plan d'Ingrid ! Quant à Tristan, la réponse se cache dans les chapitres à venir...

À bientôt ! :)
Benebooks
Posté le 12/02/2022
Coucou !
(Je te fais part de suite de la petite incohérence : tu dis qu’Ingrid à 11 ans, mais elle en a bien toujours 13 ? XD sauf si elle a inventé une formule mathématique pour rajeunir ^^)
En tout cas, je m'attends au pire venant d'elle. Elle n'en finit pas de s'enfoncer, et son idée venue d'un JDR... je suis à la fois curieuse et inquiète pour elle ! Mais ton idée ne semble pas commune ! Hâte de voir
A bientôt !
Bleiz
Posté le 12/02/2022
Bonjour,
Merci pour ton commentaire ! Raaah, j'avais oublié ce décalage d'âge. Je vais corriger ça. Et oui, Ingrid a un nouveau plan diabolique, qui lui réserve plus de surprises qu'elle ne le pense ;)
À bientôt !
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