s[a]c[r][T]ificial goa[L]t

Je vide mes poches en vrac sur mon bureau. En plus de ma carte de donnée, j’ai deux papiers. Les exécuteurs ne partent que demain soir, du coup, j’ne peux pas vraiment transférer la thune tout de suite…Ma chambre c’est juste un placard et il n’y a pas beaucoup de cachettes possibles, mais ici, ma thune est safe. Je ne crois pas qu’ils vont fouiller nos piaules ou plutôt, si c’était dans leur plan, ils l’auraient déjà fait. Je soulève mon matelas et la planque sous le sommier. Les unités de nettoyage ne passent pas par là, à cause de la planche qui bloque.

Ensuite ? Attendre demain soir, je suppose ? Je m’installe à mon bureau, jette un œil à ce que les profs ont mis sur la page GLES du lycée. La plupart m’ont envoyé des messages de sympathie, y ont juste Mme Landrin, qui ne perd jamais le nord et qui me rappelle qu’il y a un travail à rendre pour jeudi prochain. Bref.

Je range ma tablette dans un coin et m’étire, il est encore tôt, 18 h, mais comme on est en automne, le soleil commence à faire grève. Dès qu’il fait sombre, je me dis que je devrai aller dormir. Mon regard se pose sur les trois trucs en papier, je devrais les mettre à recycler. J’en chope un, mais je remarque vite que la texture est cheloue. Elle n’est pas tout à fait lisse, même si de visu, elle a l’air de l’être. 

Oh, je sais… 

J’en attrape les côtés, tire. Le document se détend, prend trois fois sa taille et laisse apparaitre du texte.

Ce truc, c’est un Dé-Tract. Mais c’est génial ! Pendant la dictature, sans internet, les résistants avaient besoin de transmettre leurs idées sans se faire choper, alors ils ont inventé cette astuce. De visu, ça ressemble à n’importe quel bout de papier. Il paraît qu’on pouvait en trouver littéralement partout. À l’époque, il n’y avait pas d’unité de nettoyage, les villes étaient sales, donc ça passait inaperçu.

Je ne sais pas qui à créer ces machins, la Soraya spéciale, c’est facile, y a son nom sur le bordel, mais pour ce truc. Peut-être Niffug ? Non. Lui, c’était plus l’informatique et la robotique. Je déplie le premier que j’ai trouvé et en lis le titre : « Comme disait Paul Eluard ». Et le deuxième ? « Are we stupid? Well, yes, but actually no ». C’est rigolo que des deux dé-Tract que j’ai eus, je tombe sur des opposés quasi exacts. Le premier date de l’époque « P-essayiste » de Niffug et le second, a été signé de son vrai nom. Et niveau style, c’est le jour de la nuit… Niffug-P-essayiste était plus sage et éloquent alors que les textes Niffug-Niffug ça frappe fort, mais ça vole dans tous les sens.   

 

La légende dit qu’entre-temps, il a connu la destruction de son centre d’opération et que ça l’a un peu rendu dingue. Enfin, non, quand je dis « légende », c’est à moitié vrai en fait. J’veux dire, une rapide recherche sur SAFENET m’apprend que les dates collent, mais c’est compliqué de comprendre ce qui se passe dans la tête des gens, surtout si je ne les ai jamais vus. 

Puisque je suis sur ma tablette, je regarde qui à crée les dé-Tract. J’aime bien SAFENET, on y trouve toutes les infos qu’on souhaite et on n’a pas besoin de quitter la sécurité de la première page. Hylia le fait, parfois, elle va sur le net gris, mais c’est un peu sus’. Si je m’y aventure, mon lycée va nominer pour un stage de civisme. 

Ouais, n’y a pas vraiment de réponses, juste un « Niffug, probably ». Mais bon, difficile de savoir maintenant, tous ces gens-là sont morts. 

 

« Dame Reynia ? Il est l’heure de commencer à penser à votre repas du soir ».

 

— OK, je rétorque à Sir Potipoter par réflexe.

 

Si je n’ai pas Potipoter pour me rappeler de bouffer, je rate l’heure et si on ne réserve pas sa nourriture, on reste sur le carreau, seule solution se faire livrer et c’est plus cher. 

 

J’enfile mon pyjama, que je n’ai toujours pas mis à laver. J’en ai un autre, mais je sais plus où. Ça me laisse le temps de réfléchir à ce que je veux manger ce soir. Je galère un peu au moment de choisir, il y a trop de plats différents. Au final, je me retrouve à bouffer les trois mêmes trucs. Après l’avoir commandé, je prends une photo des dé-Tract, une du premier et deux du deuxième et les envoie à Hylia. Je sais qu’elle préfère le Niffug chaotique. Moi aussi… je crois. Elle ne me répond pas, la faute au Potipoter corrompu. Après avoir mangé, je me couche tôt. Demain, lycée... Même si Hylia va surement sécher. 


 

**


 

Envie de fumer ? Pensez à Mont-Doom ! Envie d’arrêter ? Mont..

 

Mon entrée dans le véhicule de l’auto-école interrompt la réclame. La vente de tabac est interdite au mineur et forcément la pub aussi. De toute façon, je n’ai pas les moyens d’acheter des cigarettes. 

 

Le néga fumait… ça aurait dû m’indiquer qu’il était plus âgée qu’il avait l’air. Plus vieux que moi-même.

 

Une mélodie prend la place du message corpo, « Rivers always find the sea » la seule chanson solo d’ABELI. Un choix un peu bizarre je trouve parce qu’elle n’a pas eu beaucoup de succès. Y a que les fans hardcores, comme Hylia, qui l’écoutent. Remarque, peut être que mon moniteur à lui aussi un making-of des clips d’American Prez' dans son cloud.

 

Mr Cartier me regarde depuis que je suis assise, ça fait quelques secondes maintenant. Son esprit est toujours aussi foggy, mais je sens en plus une nervosité piquante. Nope, je ne touche pas à ça. J’vais devoir me démerder sans lui pour les objectifs de la séance.

 

— Bonjour, je fais finalement, parce qu’il ne me quitte pas des yeux.

 

Je crois que c’est ce qu’il attendait, il ne se met à bouger qu’après ça. Je jette ma besace sur la banquette arrière. La journée au lycée a été étrange, des gens que je ne connais pas sont venus me voir pour me dire que si j’en avais besoin, je pouvais aller leur parler. Pas besoin. La chute du dirlo était inévitable, juste le timing qui était à chier. Et comme prévu, Hylia ne s’est pas montrée.

 

Il programme la voiture qui démarre dans un souffle. Le silence des moteurs m’a toujours un peu gêné. Je préfère les choses qu’on n’entend. Au moins on n’est pas pris par surprise. L’unité nous fait sortir du port. On dépasse même le centre pour aller vers la banlieue. C’est le genre de quartier où je n’ai jamais mis les pieds, parce qu’il est surtout résidentiel. Et si le centre-ville est déjà riche, ici j’ai l’impression que les villas, par réaction allergique aux prolétaires comme moi, vont éternuer à mon passage. 

On nous conduit devant le portail d’une maison en fer noir. Je ne comprends pas pourquoi l’unité m’amène là, ça semble être un domicile privé. 

Et holy fug, je suis certaine que si tout l’immeuble d’Hylia mettait tous leurs biens en commun, ils n’auraient pas assez d’argent pour acheter une pièce de ce palace. Dans les quartiers les plus huppés, même les moving house sont construites en série. Une maison custom, il faut plus qu’être riche. Il faut être filthy rich.

Le moteur s’éteint brusquement. Impossible de rallumer le véhicule. À chaque fois que j’essaie, la machine me répond avec un message d’erreur. Une panne ? Sérieusement ? Entre le néga-psy et ça…

Je fais quoi maintenant ? Je me retourne vers Mr Cartier, les yeux qui se baladent entre moi et sa tablette. Nerveux, il me crache au visage :

 

— Et bien ? Qu’attendez-vous pour remplir les objectifs de la séance ? 

 

Je sursaute, je l’envoie presque valdinguer contre la porte de la voiture. Je n’aime pas qu’on me hurle dessus. Personne n’aime, mais les cris me font stresser et faire de la merde. J’avais une prof comme ça, au collège. Elle me trouvait lente et gueulait pour me « bouger ». Je me souviens encore comment elle tapait dans les mains de plus en plus vite et grinçait des « Allez Reynia ! Allez ! ». Elle était persuadée que ça m’aidait. Nope, moi, ça me faisait juste paniquer comme une conne. Moi j’ai eu de la chance, il n’y avait pas de détecteurs psi quand elle a fait une attaque cérébrale. Elle...elle moins...

Je… les objectifs de la séance. Je cherche ma tablette parce que je m’en souviens plus. « Réagir à une panne/situation dangereuse » merde. Bon. 

 

— Sir ? Peux-tu envoyer un message de détresse s’il te plaît ?

 

L’IA reste silencieuse. Je recommence. Toujours rien. Même la page SAFENET ne s’ouvre plus. Bordel. Je… je n’ai aucun moyen de contacter qui que ce soit. J’entends le moniteur souffler et taper sur le tableau de bord et ça ne m’aide pas à trouver une solution. Calme. Calme. Calme. Focus. Réfléchis. À pied ? Je pourrais marcher jusqu’à la station de tram la plus proche et…

 

— De l’aide ! Demandez de l’aide goddammit ! me crie Mr Cartier en gesticulant en direction de la maison au portail de fer.

 

J’avale ma salive de travers sur le coup de la surprise. Tousse. Le temps que je prends à essayer de survivre finit de le rendre furieux.

 

Je descends si vite que j’en fais tomber ma tablette et ma besace. Même pour les non-psis, la compagnie de gens en colère n’est pas agréable.  Ce n’est pas une bonne idée, on ne toque pas chez les inconnus comme ça. Mr Cartier m’incite d’un geste de la main. Mais, mais, mais… peut être que c’est fait exprès. C’est un exercice après tout, donc la personne qui vit là est surement au courant de mon arrivée… Right?

Je ramasse mon matos et sonne au portail de la villa. J’ai le temps de mettre mon sac sur l’épaule avant que la voix suave d’un acteur célèbre me réponde. La licence d’exploitation de ses samples a dû coûter une blinde. J’explique que je suis tombée en panne et à la fin de ma phrase, la porte s’ouvre. Je soupire. Ouais, donc c’est bien une situation prévue, aucune IA ne m’aurait laissé entrer comme ça, sans demander une identification. Seulement, je ne comprends pas pourquoi on est allés aussi loin du Port. 

Une IA a l’apparence d’un soldat de plomb, me reçoit au-devant d’une porte ouverte. Je n’avais jamais vu d’IA physique, ça coûte beaucoup trop cher, mais celle-là a une résolution de dingue. Par contre, le choix du casse-noisette est un peu chelou. 

Il m’indique le chemin à suivre. Le parquet craque sous mes pieds. Au vu du standing, ça ne m’étonnerait pas que ce soit du vrai bois. Pas très écofriendly, mais s’il peut payer les taxes qui vont avec, why not ? 

J’arrive dans un salon.

La lumière du crépuscule qui passe à travers une grande baie vitrée et qui se réfléchit sur tout un tas de dorure m’éblouit. Je me protège d’une main et continue de suivre mon guide. 

 

— Merde ! Je lâche malgré moi lorsque je marche dans une flaque. 

 

Bordel, à quoi ça sert d’avoir un sol en bois si t’as des unités de nettoyage qui puent du cul ? 

 

Euh… je… non. Attends. L’eau ce n’est pas rouge. De la peinture ? Non. L’odeur… ça sent le fer. 

 

Du sang. Une flaque.

 

Et là, à son centre, un homme en costume. 

 

Je recule. Trébuche. Atterris sur les fesses. L’IA braque ses yeux noirs sur moi, mais ne bouge pas. Je sens le parquet trembler. Mon estomac se rétracte. Je vomis.

Je tousse. Rampe. La porte. Sortir. Calme. Calme. Calme. 

 

Je fouille dans la besace et plante une seringue de sédatif dans ma jambe. Je reste au sol les quelques secondes necessaire pour que l’Hypotrankilis agisse. 

 

Maintenant que j’y pense, on n’avait pas besoin de s’éloigner du port. L’IA n’avait pas besoin de me laisser entrer, juste d’envoyer un message d’alerte. Que l’IA Casse-Noisette n’a pas appelé les secours, ça aussi c’était louche. Je me relève. Ça pue. Tout pue ici. Ça sent la bille, le sang et les emmerdes. Je me lève et avance vers la sortie. Le sédatif me permet au moins de ne pas courir comme une coupable, vomir, ou les deux. Une gamine du port qui se retrouve dans la banlieue rupine un gars mort, ce n’est pas bon. Même lorsque je vais me faire innocenter, ça sera après un background check complet sur moi et ça, c’est la pire des choses qui puissent m’arriver. Je dois me tirer et trouver un endroit safe. Disparaître et… 

 

Un coup, au visage.

Je crois qu’il s’écoule quelques secondes avant de réaliser : j’ai la face collée au parquet. J’essaie de me relever, mais un genou me maintient au sol. Ça crie dans tous les sens et deux fusils d’assaut se braquent sur moi. 

Des exécuteurs me tiennent en joue. Pas les gentils en civil. Ceux-là sont équipés pour la guerre. 

Ah, on m’arrête. Je crois que j’ai perdu ma chance de fuite. 

 

— Reynia XV-568, crache l'un d'eux, vous êtes en état d’arrestation pour le meurtre de Owen Opéli, juge de France. 

 

Hein ?

 

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Tac
Posté le 23/01/2023
Yo !
Hé ben quel chapitre ! Le piège qui se referme autour de notre héroine... brrr...
J'ai pas trop bien compris ce qui se passe dans l'autoécole : qui est M. Cartier ? J'ai cru comprendre que notre héroïne jetait quelqu'un ou quelque chose mais si M. cartier est une vraie personne et pas une IA, logiqument ça ne peut pas être lui alors je n'ai pas compris;... Je ne comprends pas non plus ce que le personnage apprend dans ces leçons : manifestement il ne conduit pas, mais il est censé réagir quand il y a un problème... je crois que j'ai loupé des infos ! s'il n'y a pas besoin de conduire car c'est fait par des ia, alors pas besoin de leçons de conduite ; si l'objectif c'est réagir quand une ia plante, je suis pas sûr que le cadre d'une voiture qui pause en pleine rue soit une première leçon avisée... bref, j'ai pas capté grand chose de cette leçon en elle-même (audelà du fait qu'elle foire et qu'il y ait un truc chelou), comme tu l'auras compris.
Plein de bisous !
Pandasama
Posté le 01/07/2024
Salut !
Déjà désolée pour mon temps de réponse ! Je pense reprendre ce chapitre pour le rendre un peu plus compréhensible !
Flammy
Posté le 10/01/2023
Coucou !

Ah oui, on lui laisse pas le temps à Reynia x) Le pire, c'est que ya pleins de trucs qui devraient l'innocenter, genre l'auto école et les milles incohérences, mais tout ça va disparaître et tout le système va lui retomber dessus x) Je suis quand même extrêmement curieuse de comment la situation va exploser, parce que le fait qu'elle soit psy, clairement c'était pas prévu et ça va tout rendre ingérable à mon avis ='D Bon courage pour les autorités après ça !

Quelques remarques :

"Puisque je suis sur ma tablette, je regarde qui à créer les dé-Tract. J’aime bien SAFENET, on y trouve toutes les infos qu’on souhaite et on n’a pas besoin de quitter la sécurité de la première page. Hylia le fait, parfois, elle va sur le net gris, mais c’est un sus’. Si je m’y aventure, mon lycée va nominer pour un stage de civisme. " qui a créé / un peu sus' / va me nominer

"je rate l’heure et si on ne réserve pas sa nourriture, sinon on reste sur le carreau et l’on doit se faire livrer et c’est plus cher." j'ai du mal à comprendre pourquoi le "sinon" est là ^^"

Bon courage avec la suite !
Pandasama
Posté le 11/01/2023
Salut !

Oui, c'est le chapitre ou les choses "sérieuses" commencent ! Et ta curiosité sera satisfaite assez rapidement (en terme de chapitre hein, pas en temps d'écriture)

Merci pour ta lecture et pour tes corrections !
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