Je n'en peux plus de ce sable brûlant.
Ça fait des semaines que ça dure, et ce n'est pas prêt de s'arrêter.
D'habitude, je dors lorsque le soleil est au zénith car la nuit noire et le petit matin me suffisent pour mes obligations. Mais ça, c'était avant l'arrivée des nouveaux. Ils sont bien trop agités et inquiets pour que je les laisse seuls aussi longtemps.
Je serre les dents, je suis presque arrivée jusqu'à eux. Personne ne m'a vue passer ; les personnes comme moi peuvent quasiment se rendre invisibles s'ils le souhaitent, et je suis assez forte pour ça. Je suis particulièrement vigilante depuis que je suis tombée sur une bande de géants agressifs la semaine dernière. Généralement, ils sont inoffensifs voire amicaux, mais la période des pèlerinages a commencé et cela amène malheureusement toujours les pires de cette espèce.
Et c'est bien à cause de ces mêmes monstres que j'ai tant de tracas avec ces nouveaux-venus.
Ça y est, je les vois, mes protégés. Trois silhouettes encore indistinctes, des enfants, s'agitent autour d'un amas de roches bien plus hautes qu'eux. Petits et translucides. Je les distinguerais mieux une fois la nuit tombée.
Un coup d’œil en arrière, c'est bon, les géants sont loin, ils ne viendront pas nous importuner. Je me faufile entre deux rocs et je les appelle. Aussitôt, ils accourent vers moi dans un concert diffus de plaintes, de cris de soulagement et de pleurs.
Je m'assois à même le sable chaud, je leur parle, puis leur fredonne une chanson pour les apaiser, celle que me chantait ma propre mère. Petit à petit, leurs contours s'affinent et s'affirment. Je peux maintenant distinguer leurs grands yeux verts, profonds et apeurés.
Cela fait un moment que je m'occupe d'eux, tous les jours, durant de longues heures. Ils semblent tout oublier d'un jour à l'autre mais reconnaissent pourtant ma présence, du moins c'est mon impression.
Donc comme tous les jours, je leur explique à nouveau, doucement.
— Je sais que vous avez peur. Je sais que vous voudriez vous blottir à nouveau contre votre mère, sentir son souffle chaud et ses paroles rassurantes. Je sais que vous voudriez à nouveau courir dans l'herbe, jouer ensemble.
Ils me regardaient, l'air implorant, espérant sans doute que tout pourrait redevenir comme avant.
— Je sais que c'est injuste. Que vous ne pouvez comprendre tout ce qui vous arrive. Mais vous pouvez faire quelque chose pour améliorer votre situation. Ceci, leur dis-je en désignant la dépouille à mes pieds, est mon offrande. C'est pour vous, pour vous trois.
Leurs grandes billes alternent entre l'oiseau et moi.
— Ses ailes lui permettaient de voler autant qu'ils voulait dans le ciel. Le ciel, c'est la liberté, et c'est la liberté pour vous aussi.
Ils regardent en l'air, en plissant les yeux, et ne semblent pas comprendre.
Je laisse le silence s'étirer un peu, jusqu'à voir passer un goéland de grande taille non loin.
— Vous voyez ? Lui est libre. Vous non, vous êtes liés à ces rochers pour l'instant. Vous devez briser ces chaînes, je suis là pour vous aider, et lui aussi, dis-je en pointant le corps encore une fois.
Je commence à découper l'oiseau avec des gestes lents et habiles. J'ai l'habitude, et sans me vanter c'est du travail de pro. Pour leur montrer que nous sommes de la même tribu et qu'ils peuvent me faire confiance, j'arrache les plumes et la peau avec les dents, et seulement ensuite je leur tend à chacun un os.
— Vous sentez comme ils sont légers ? Rongez-les, n'ayez pas peur. Grace à ça, bientôt, vous aussi vous pourrez voler. Et vous serez libres.
Le plus aventureux commence à grignoter l'os du bout des dents. Peu de temps après, son frère et sa sœur l'imitent. Je continue à leur parler doucement, de tout et de rien, de la joie de ne pas être seul dans cette épreuve, du vent et de la liberté qu'ils pourront bientôt vivre, quand ils se libéreront de leur attache. Je les met en garde contre les géants. Durant leur prochaine incarnation, si cela se passe vraiment comme ça, ils devront être plus prudent. Les géants, il faut les tester, ne pas leur accorder notre confiance trop vite.
La nuit est noire, je leur parle des étoiles et de la lune. Je leur dis que je vais bientôt devoir partir, mais que je reviendrai demain.
Ils sont blottis contre moi, et dans leur dos, je vois de petites bosses qui n'étaient pas encore là hier, et je souris.
J'aime la conclusion, anodine et tendre à la fois.
Bravo pour cette première brique.
Peace.
Je n'ai pas la réf pour le "travail de pro", je changerais peut-être la formulation alors ^^'