Samedi 05 Septembre 1818 - Barndances

Par Pouiny
Notes de l’auteur : Musiques de référence : https://www.youtube.com/watch?v=0soG9cEefy0
https://youtu.be/3FCgZrhVeCY?si=1TRk6-RuSuxFKfpT

Eh bien ! Il s’en est passé des choses, depuis la dernière fois que j’ai écrit dans ce carnet, mais il y avait tellement de travail que mon temps libre s’est retrouvé aspiré par mon sommeil ! Au moins, mon labeur a été apprécié à tel point que j’ai reçu des compliments des fermiers même les plus aguerris pour mon contact avec les animaux. Au moins, je saurai en quoi me reconvertir si jamais je ne me plais plus à voyager… Même si j’imagine que le travail en extérieur doit être bien plus plaisant en booleying à la belle saison qu’en hiver sous la pluie, le froid et la nuit, je pense qu’il est important pour un irlandais de savoir faire plusieurs métier, potentiellement à la fois. Au cas où…

 

Tous les troupeaux sont redescendus au premier septembre. Les bêtes et les hommes se sont séparés, chacun reprenant ses biens et les guidant jusqu’à chez soi. C’est alors que j’ai compris que tout le monde ne venait pas du même village. Oran, le père de la petite Niamh qui avait pris à cœur mon éducation pastorale avec sa jeune amie Laura, m’a alors expliqué que les bêtes se raréfiaient en Irlande pour permettre de mener à bien un booley.  « Les paysans s’appauvrissent, les bêtes et les terres sont prises pour payer les taxes… bientôt il restera tout juste une vache par éleveur et elle sera tuée pour nourrir les sasannachs. Pour l’instant on peut encore s’épauler et faire front commun en réunissant au maximum nos possessions… mais jusqu’à quand ça durera ? ». C’était la première fois qu’il parlait anglais en m’expliquant cela. Pas de doute, on descendait de la montagne.

 

Je suis resté quelque peu en arrière. Je tenais a observer une dernière fois la mer de mouton que j’avais pu observer en arrivant. Je l’ai vue se diviser en deux, puis en trois, puis en quatre. Je me suis senti comme un Moïse du nouvel âge. Puis j’ai regardé encore un peu en arrière, pour m’ancrer dans la rétine ce paysage où j’avais pu entendre de si belles choses. Le vent de la montagne ramenait le mauvais temps, pour couvrir les hauteurs de leur manteau de nuage. Je suis descendu avant de me prendre l’orage au soir. Oran m’avait promis le couvert et une paillasse en échange des services rendus, et ce n’était pas de refus !

 

Je ne peux pas m’empêcher de sourire en regardant ces pages. Laura et Niamh sont devenues comme les petites sœurs que je n’ai jamais eues. Elles sont a peine plus jeune que Marty et tout dans leur attitude me ramène à lui. Laura ne vient pas du même village, mais elle m’a fait promettre que je viendrai chez elle après être passé chez Niamh. Puis, même si elle ne sait pas écrire, elle a pris mon stylo pour griffonner une sorte de signature… Elle avait trop peur que je l’oublie. Toutes deux ont beaucoup pleuré quand il a fallu se dire au revoir. Il est difficile à croire qu’elles ne sont ensemble que trois mois par an tant elles avaient l’air inséparables. La fin des booleys serait un véritable désastre pour elles.

 

J’ai suivi les traces des animaux avant d’arriver au village d’Oran, de l’autre versant des montagnes, à la tombée de la nuit. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre, pour sûr, mais clairement pas à ce qui m’attendait. Ou plutôt, ce qui ne m’attendait pas. Car le village était littéralement fantomatique, pas une lumière dans aucune des maisons aux alentours. Pas un murmure de discussion étouffé par les murs, pas âme qui vive. Surpris, j’ai continué de déambuler le village, jusqu’à enfin y trouver ma première lueur. Puis est venu ensuite le son des concertina et des fiddle, ainsi que des bruits de pas en rythme. Tout ceci venait pourtant d’un lieu où ce genre d’agitation serait probablement proscrit. Mais en voyant quelques personnes y rentrer avec quelques ballots de paille, l’air de rien, j’ai compris qu’il se passait bien ce que je pensais ; ça jouait un véritable Céilí dans la grange.  Et les airs, les rires qui semblaient en sortir me caressaient le cœur.

 

Mais quand j’y suis rentrée, l’ambiance s’est stoppée net. Un silence lourd, pesant, s’est installée entre les stock de foin et chacun m’a regardé avec un air menaçant de méfiance à peine contenue. Intimidé par tant de personne qui me dévisageaient comme le diable en personne, j’allais m’excuser et tourner les talons quand quelqu’un s’est écrié en gaeilge :

 

« Eh toi l’étranger ! Raconte nous une histoire ! »

 

Les histoires, ça c’est surement le truc préféré des irlandais. C’est la demande incessante, le point commun entre toutes ces personnes de tous les horizons que j’ai pu rencontrer ces derniers mois. Mais il faut dire que dans une telle tension je ne m’attendais à une telle demande, qui relevait plus d’une épreuve mythique que d’une curiosité naturelle. J’ai un peu bégayé le temps de reprendre mes esprits et puis… J’ai raconté. D’instinct, m’est venu l’histoire de la lavandière, je me disais qu’avec un peu de chance elle adoucierait ces visages dur qui me toisaient. Mais mon histoire marcha au-delà de toute espérance. Je ne l’avais pourtant jamais raconté en anglais, mais quand ils entendirent sa chute, tous eut un rire presque trop beau pour être naturel. La pression qui s’était installée dans l’air chuta enfin ; on s’adressa à moi alors comme si j’avais toujours vécu ici. On me prit par les épaules, m’intégra dans la ronde et ce fut l’une des plus belles soirées de ma vie. Caché dans des bottes de foin des hommes sortirent des bouteilles et on dansa tous sur des rythmes plus ou moins vifs jusqu’au lendemain. S’enchainaient des cercles, des danses en ligne, en couple… Je ne sais pas par quel miracle l’intégralité du village, jusqu’à ses doyens et ses plus jeunes enfants, semblaient tous rentrer dans cette foutue grange. A bout de force, alors que la musique continuaient encore et que les danseurs commençaient davantage à ressembler à des étoiles qui papillonaient devant mes yeux, je me suis allongé sur de la paille et j’ai sombré dans le sommeil.

 

Je me suis réveillé le lendemain matin, le corps entier endolori mais avec la joie restée dans le cœur. Je suis allé dire bonjour à tous ces villageois avec qui j’avais dansé mais… Personne ne semblait me reconnaitre. C’est à peine si l’on me répondait ! Le brouillard de la fin de l’été s’était installée entre les habitations, si bien que je me disais que j’assistai là à une énième plaisanterie d’un Voisin, ou bien à un exemple typique de perte de mémoire collective. Seul Oran, retrouvé dans un champ de patate, m’accueilla chaleureusement, avec une sorte de malice dans l’ombre de son sourire.

 

Ce n’est seulement aujourd’hui qu’il m’a donné la réponse à mon interrogation ; Pourquoi diable tout le monde semblait faire comme si ce Céilí n’avait jamais eu lieu ? « Pour ne pas attirer l’attention des anglais ni du prêtre, pardi ». Je suis resté pantoi de la réponse, ce à quoi Oran répondit d’un geste d’épaule. « Toi qui vient de la ville et qui porte le nom du Saint entre tous les Saints, tu ne sais pas que la musique est un pêché et une interdiction de l’Eglise autant que de la loi ? »

 

J’ai compris bien des choses alors. Pourquoi mon père s’évertuait à nous apprendre à danser les bras le long du corps, pourquoi il avait fait rétrécir les fenêtres de son salon comme s’il tenait à les transformer en meurtrières. Pourquoi les bars avaient tendance à fermer les volets quand la musique sonnait trop fort, pourquoi on ne revoyait pas certains des poivrots qui avaient eu la mauvaise idée de sortir un Piob Mhor de chez eux. Ce n’était peut-être pas pour notre goût un peu trop prononcé pour l’alcool que les curés ne nous avaient pas à la bonne, finalement…

 

Quand j’ai eu le temps d’assimiler l’information, j’ai demandé à Oran la deuxième question qui me taraudait depuis lors ; Pourquoi diable m’avoir demandé de raconter une histoire ? L’homme a éclaté d’un rire franc qui emporta sa fille avec lui. « Pour vérifier que tu n’étais pas un sasannach, bien sûr ! »

 

J’ai été outré, bien sûr. Me confondre de la sorte, moi, Paddy ? Mais maintenant que j’y réfléchis. Je ne veux pas savoir ce qu’il serait avenu du pauvre anglais qui aurait passé le pas de cette grange ce soir-là. Oh non, je ne veux vraiment pas le savoir…

 

Grand-père, que Dieu te bénisse de m’avoir appris l’irlandais ! Fais changer d’avis les anges sur notre belle musique de là-haut pour moi, par pitié, je ne tiens pas à danser des Céilí en enfer…

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