Samedi 12 Septembre 1818 - Song of the Kelpie

Par Pouiny
Notes de l’auteur : Chanson de référence : https://youtu.be/C73xQAksXAU?si=ib2diMWMNzdliN8G

Une version différente mais sur le même air, à la harpe celtique :
https://youtu.be/JMJRgzHiGFE?si=AmRXT9fxN0vSYYZs

 

Voilà une semaine maintenant que je marche vers le nord. Je me suis enfoncé dans le comté de Kerry et les villages se sont éclipsés au profit des immenses plaines parsemées de collines humides. Le soleil de l’été commence à me quitter, si bien que je ne suis parfois pas forcément certain de bien me diriger vers où mes pas sont censés me mener. Je ne sais pas si c’est la douleur de mes rencontres ou bien de déambuler seul dans cet océan de verdure grisé par les nuages lourds, mais je dirais bien que je me sens mélancolique, ces temps-ci.

 

Mais j’ai un but provisoire à tout ceci. Avant que je quitte son village, Oran m’avait parlé de la grande ville du comté. Il m’avait assuré qu’elle me plairait et qu’au centre de son lac avait été formé la plus grande école druidique de l’histoire de l’Irlande. « St Patrick lui-même aurait été formé là-bas ! » M’avait-il dit avec un clin d’œil. « Tu ne peux pas manquer ça. ». Il ne m’en fallait pas beaucoup plus, je suis parti. Et je n’ai pas encore vu ce fameux lac, mais quelque chose me dit que je m’en rapproche, il faut que j’écrive pourquoi.

 

Après des longues heures de marche, je me suis enfoncé dans une immense forêt. Entre le manque de soleil et la densité des feuilles jaunies des aulnes, j’avais l’impression d’avancer de nuit en plein milieu du jour. Pas un bruit accompagnait mes pas, pas un insecte, pas un oiseau. Seulement le craquement des branches et des sapinettes de pin sous mes chaussures. L’air semblait pesant, si bien que j’ai commencé à craindre l’orage. Pris d’une étonnante torpeur, je me suis construit un abri de fortune, un feu… et je me suis endormi.

 

Je me suis réveillé au petit matin, ce matin, par une sensation étrange près de ma hanche. Mon manteau se faisait retourner comme si quelqu’un essayait de me faire les poches. Je me suis redressé immédiatement, droit comme un I, afin de confronter mon voleur ! Mais il n’était pas… Ce n’était pas un humain. C’était un cheval. Un immense et magnifique cheval aux yeux de couleur bleue d’Opale. Il n’avait pas été effrayé par mon geste brusque et il continuait de me dévisager avec un regard doux et curieux. Nous sommes restés là, comme ça, immobile à se fixer. Je ne pouvais plus me détacher de son regard ; c’est comme s’il me jugeait, ou plutôt comme s’il tentait de me soigner. Je ne saurais pas vraiment dire.

 

Après quelques minutes à essayer de comprendre ce qui se passait, j’ai mis ma main dans cette fameuse poche qu’il avait tenté de me voler ; il y avait un bout de pain sec, tout ce qu’il me restait du village que j’avais quitté. Lentement, je l’ai sorti de ma poche et je lui ai tendu. J’ai ainsi pu constater que le bout de mes doigts tremblait. De peur, d’excitation ? Une musique sembla alors flotter dans l’air alors que ses sabots percutèrent le sol pour se rapprocher de leur proie. Il a dévoré le quignon en une bouchée.

 

Il était si serein, il était d’un blanc immaculé, et sa longue crinière était si bien coiffée, si bien soignée… Impossible que ce cheval soit sauvage. Il était si fascinant que je n’ai pu retenir ma main pour lui caresser le haut de son cou. C’est à ce moment là que j’ai compris à qui j’avais affaire. Les larmes me montèrent aux yeux et ce n’est qu’en pleurant que j’ai pu le remercier de m’avoir accordé un si grand honneur.

 

Car sa peau était lisse, lisse et froide comme un poisson privé de ses écailles. En le caressant, je crus ressentir le courant de l’eau pure d’où il devait venir. Car cette créature n’est pas qu’un cheval, c’est une bête divine et sacrée, diabolisée et raréfiée par la folie des hommes qui ont tant de fois tentés de l’asservir et de le torturer pour tous les secrets qui semblent se refléter dans ses yeux. Ce cheval… Aucun doute n’est permis, c’était un kelpie qui me souhaitait la bienvenue sur son territoire. Et grand-père m’a tant de fois raconté des légendes à son sujet, qu’il faisait tant de bien de se rendre compte par l’évidence que tout ce qu’il avait pu me raconter avait une part de vérité.

 

 Il m’a léché la joue en sentant mes larmes perler sur sa crinière. Il m’a tendu son cou afin que j’affermisse mon étreinte. Puis il s’est détaché de moi et je l’ai regardé s’éloigner avant de disparaître dans un fourré. S’est alors installé un air que me jouait souvent mon grand-père après ses histoires – le chant de la Kelpie, un air lent et infini, qui se complaît et se pavane à chacune des notes qui le compose. Peu m’importe désormais de trouver cette école de druide au milieu du lac. Tout ce que j’espère, c’est de pouvoir le recroiser, pouvoir de nouveau admirer son incroyable beauté. Et que peut-être, s’il me fait cet immense honneur, qu’il m’offre les secrets sur l’Autre Monde que peuvent garder ces êtres fabuleux.

 

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