Je viens de monter deux tentes. Paraît que je suis très douée alors on m’a demandé de faire celle de Méline d’abord – elle sort de l’esthéticienne – et maintenant les autres attendent près du lac, comme si j’étais leur domestique. Et dire que mes parents étaient contents que je vois d'autres personnes… Je ne vais pas pouvoir leur raconter cette partie-là.
La dernière sortie camping que j’ai faite, c’était avec Anastasia. À chaque fois, on en profite pour faire la compétition. Première arrivée au bord du lac. Première tente montée. Première en maillot de bain. Elle m’arrache un sourire même à distance.
– Tu rêvasses à quoi, Marie ? On en a besoin pour se changer.
À pas chaloupé dans sa robe transparente et hyper échancrée, Méline s’est approchée de moi. Jordan se tient juste derrière.
En sueur dans mon vieux t-shirt et mon jean couvert de sable, je hausse les épaules et me penche sur la troisième tente.
– Tu veux de l’aide ? me demande Jordan avant d’être arrêté par Méline qui le prend par le bras pour le ramener vers le lac.
Elle minaude, accrochée à lui, et se met à babiller. Au moins, il ne peut pas voir mes joues cramoisies.
– Marie se débrouille très bien toute seule, ne t’inquiète pas. Parle-moi plutôt de ton dernier match de foot. T’étais tellement impressionnant, j’arrive pas à l’oublier…
Il jette un dernier coup d’œil en arrière avant de grimacer. Ouais, je dois pas avoir besoin d’aide avec mon mètre soixante-dix et mes épaules de nageuse. Au temps pour moi.
Est-ce que je regrette ? Un peu. Est-ce que je vais finir par entrer dans leur club ultra sélectif ? Sans doute. Alors je ravale ma fierté et je plante le premier piquet de cette maudite tente.
Malheureusement, il part en lambeaux sous mon petit marteau. Oups. J’ai dû taper trop fort. La faute à Méline aussi qui me prend pour sa bonne. Pas grave, il y en a trois autres. Je me lance sur le deuxième qui s’écrase avec un bruit de bois parti finir sa vie sous un camion.
Luttant contre mon sentiment de bêtise totale, je tourne la tête vers le lac. Ils sont tous en train de siroter une bière – encore un truc que je ne pourrai pas dire à mes parents – sans se préoccuper de ce que je fais. Sauf peut-être Jordan encore une fois – raison de plus pour fantasmer sur ses yeux bleus – qui m’adresse un petit signe de la main.
À regret, j’attends qu’il reprenne sa conversation passionnante avec Méline et son décolleté pour foncer vers le bois qui nous protégera cette nuit du vent. Autant aller le plus loin possible, personne n’aura l’idée de regarder, mais on ne sait jamais ! À une cinquantaine de pas de la lisière, je m’arrête et je commence à fouiller le sol. Il est couvert de brindilles toutes plus fines les unes que les autres.
À quatre pattes sur le mélange de terre et de sable, je cherche le bon bout de bois, celui que je vais pouvoir couper avec mon couteau-suisse et enfiler dans le sol avec assez de force pour tenir la tente avec le petit crochet et tout. J’en ai pour au moins une demi-heure.
– Tu t’es perdue ?
Je sursaute, tombe en arrière et presse ma main contre ma cuisse, là où j’ai rangé mon couteau.
Un homme d’une cinquantaine d'années me surplombe, dans un genre de robe blanche, comme les grecs. J’ai raté l’ouverture de l’asile local ?
– Ne sois pas si inquiète. Je suis venu t’aider.
Je ravale un rire nerveux.
– Vous avez des piquets sous votre robe ?
L’envie me démange de me taper la tête contre le tronc d’arbre le plus proche. C’est pas ça qu’il faut dire à un gars louche en robe rencontré au milieu d’un bois… Qu’est-ce que je peux être stupide parfois !
Malgré tout, il arque un sourcil et s’esclaffe. Pendant ce temps, je me mords les lèvres comme si je pouvais me bouffer et devenir assez petite pour me cacher dans un trou de souris. Il doit bien y en avoir dans le coin, non ?
Quand il s’arrête enfin, c’est pour me tendre la main. Je l’attrape et passe un coup rapide sur mon pantalon. Autant mourir digne.
– Non, c’est pour un autre problème que je me propose d’intervenir. Il me semble que ton jugement est quelque peu détourné de sa fonction première depuis quelque temps.
Je cligne des yeux. Quoi ?
– Vous êtes qui ? D’où vous me connaissez ?
L’homme prend une grande inspiration et m’attrape les mains.
– Il n’est pas nécessaire de te connaître pour ressentir ton désarroi. Quant à mon identité, nous dirons que je suis un ami. Ça te va, un ami ?
Avec un sentiment de paix que j’ai rarement connu avec quelqu’un d’autre qu’Anastasia, je hoche la tête, prête à poursuivre la conversation la plus étrange de ma vie.
Il esquisse un sourire mais son regard brûlant trahit une extrême concentration. Je m’y perds un instant hors du temps. Tout s’est arrêté sauf une brise folle qui fait virevolter mes cheveux bruns. À la fois incrédule et rassurée, j’ai l’impression que le vent m’élève hors du sol et pour une raison qui m’échappe, ça ne m’inquiète pas.
Sous ses yeux qui m’hypnotisent, une lueur jaune apparaît. Elle prend le pas sur tout ce qui nous entoure, elle m’engouffre et s’enfonce jusqu’aux tréfonds de mon âme. Je la sens qui palpite, petite boule cachée sous la coquille de chair. C’est plus fort que moi, je me baisse pour l’examiner. Elle est rose. D’un rose pâle, comme les cheveux d’Anastasia. Bouleversée, je sens un flot de larmes qui remonte de ce bonbon jusqu’à mon visage. Et puis quand je relève la tête, je vois la lueur dorée qui se rétracte, avalée par l’homme en face de moi. Je fixe toujours ses yeux, pourtant son corps a disparu. Mes paupières clignent pour chasser le trop plein d'émotions. Je n’aurais pas dû.
Maintenant, il ne reste plus que la nuit et la forêt.
– Marie ! Marie !
On hurle mon prénom au loin. Sans plus penser à mon apparence, j’attrape le bas de mon t-shirt pour essuyer mes joues trempées.
Un multitude de couleurs me sautent aux yeux. Du bleu, du marron, du gris, du noir, du rouge. Toutes foncées. Trop sombres pour mon âme qui se recroqueville dans sa carapace.
J’ai beau frotter mes yeux, à part les arbres qui se penchent affectueusement sur moi, je ne vois plus que des taches de couleurs qui parlent.
– Tu vas bien ?
– On s’inquiétait.
– Et nos tentes, tu y as pensé ?
Je plie les bras devant moi pour me protéger. Dans le kaléidoscope de ténèbres, une lueur rouge se fait plus pressante. Elle a la même voix que Jordan.
– Arrête un peu Méline, t’es cruelle, là.
Méline, en noir, l’attrape pour l’éloigner.
– On était d’accord pour se moquer d’elle, c’était notre attraction du week-end. T’as oublié ? C’est même toi qui l’as proposée.
Le rouge s’assombrit tandis que les autres couleurs m’envahissent.
Mes bras se déplient d’eux-mêmes pour m’offrir l’espace dont j’ai besoin.
– Ça suffit. Je m’en vais.
J'ai relevé une petite chose dans la phrase : "Elle prend le pas sur tout ce qui nous entoure, elle m’engouffre et s’enfonce jusqu’aux tréfonds de mon âme." Je pense que "elle m'engouffre" est à revoir. Tu voulais dire "elle s'engouffre en moi" peut-être ?
J'ai noté deux coquillettes aussi :
"Un multitude de couleurs" > "Une multitude"
"dans un genre de robe blanche, comme les grecs." > "comme les Grecs" :)
J'aime ton humour, tu arrives toujours à le mettre dans des moments opportuns qui renforcent la tension.
L'utilisation des couleurs est très parlant et assez original, j'aime beaucoup. On ne comprends pas forcément exactement ce qu'il se passe, si c'est un rêve, une hallucination, de la drogue (😅), mais ce n'est pas gênant car on se laisse porter par le flot des émotions de Marie et on comprend totalement son désarroi.
A bientôt !
Tu vois quelque chose à améliorer pour mieux rentrer dans l'histoire ?