Samedi 13 Mars 1819 - The Humors of Scarriff

Par Pouiny
Notes de l’auteur : Musique de référence : https://youtu.be/2DnqH4GWoCE?si=997oZPaLyhq_Anyq

Comme c'est un reel, il est normalement joué et dansé plus vite, comme dans cette version très différente de la première : https://youtu.be/JWBu9y28G24?si=t8-sL_nO2bvWa8lq

Cela fait bien deux semaines désormais que j’ai quitté Limerick et repris mon voyage. Le temps est humide, mais il s’adoucit de jour en jour, ce qui rend les nuits en forêt de plus en plus agréables. J’ai continué à suivre les rives de la Shannon River, lentement, profitant de retrouver ces sensations qui ont accompagné tant de mes mois précédents, et que j’avais perdu avec l’hiver. Ah, j’ai si hâte que la pluie se tarrissent et que l’été vienne à nouveau ! Peut-être qu’avec un peu de chance, je pourrais participer à un autre booleying. Je suis sûr que Richard adorerait ! Il a fini de courir après les rongeurs et tente désormais d’attraper ma plume des mains. Je suis obligé de lui jeter des cailloux pour qu’il me laisse écrire ! Peu importe le nombre que j’en jette, il ira toujours le chercher en courant, et parfois en aboyant. A croire que notre rencontre d’aujourd’hui lui a donné le goût de la roche…

 

Nous sommes un peu avant le village de Scariff, à l’embouchure d’un petit ruisseau sur lequel il doit subsister. De ce que j’en voir de ma carte, il prend naissance dans le lac O’Grady, a l’ouest. On peut se dire qu’il est plus intéressant de suivre la rivière Shannon, bien plus grande, plus longue, plus mystique… Mais elle me fait également quitter le comté de Clare, dont j’ai l’impression de n’avoir rien vu. Et la ville d’Ennis, alors ? Et puis les falaises, la mer… tout ça me manque, aussi. Seulement, une part de moi, peut-être, a envie d’arriver vite vers le nord en pensant que je rentrerai ainsi plus vite à Dublin. Après tant de jours immobile, et avoir savouré l’immobilité, je me dis bien qu’un jour ce train de vie là aura une fin. Mais quelle sera-t-elle  ? Quand est-ce que j’aurais vu tout ce que je souhaite voir ? Est-ce que j’en viens à craindre que mon périple soit sans fin ?

 

Oublions tout ceci pour le moment. J’ai pris mon carnet au départ pour décrire ma nouvelle aventure du jour. Alors que je marchais proche du ruisseau de Scariff, mon pied est tombé dans une sorte de crevasse humide. Manquant de perdre l’équilibre, je me rattrape de justesse avant de jeter un coup d’œil au piège dans lequel je venais de tomber. Malheur ! C’était une vieille bullán stone, manifestement abandonnée, que je venais de profaner.

 

Je sais bien que les bulláns, hors celles créées par les saints d’Irlande, ne doivent être vénérées en aucun cas sous risque d’excommunication. Elles sont la preuve par la roche que l’Irlande ne fut pas toujours catholique. Il est dit que ces pierres trouées, fusionnées à la roche ou au sol et dont la crevasse est toujours remplie d’une eau pouvant soigner ou maudir, sont plus anciennes que les anciens Dieux eux-mêmes. Qui les a taillée ? Comment l’eau fait pour ne jamais se tarir ? Nul ne le sait. Mais je pense que les pluies incessantes n’y sont pas pour rien !

 

J’aurais pu, et j’aurais du, en bon chrétien, continuer ma route et tracer mon chemin sans plus m’en soucier. Mais… Je ne saurai comment décrire, mais j’ai ressenti beaucoup de pitié pour cette pauvre source. Je ne crois pas qu’il y ait de bullán stone à Dublin même, mais Mère parlait parfois de ces lieux comme des pierres vénérées et confidentes des jeunes filles de la campagne. Par chez elle, avant de déménager en ville, il était commun que les filles enceintes aillent boire l’eau de la bullán afin d’assurer la santé du bébé à naître. Et à l’inverse… d’autres y allaient en secret avec un but bien moins avouable. Ainsi, les femmes décoraient les pierres de fleurs cueillies ou séchées, laissaient tomber à l’intérieur des pièces d’argent si leur souhait se réalisait… mais celle-là, que je n’aurais jamais vu si je n’y avais pas mis malencontreusement mon pied, n’avait rien de tout ça. Elle était nue, vide, oubliée. J’ai rappelé Richard et tout deux, nous avons contemplé le trou humide comme si nous pouvions avoir la même idée en tête. Puis, nous nous sommes mis au travail.

 

Richard a rapporté les plus belles branches qu’il put trouver. Quant à moi, j’ai fait avec les herbes et les fleurs de saison. J’ai tenté de tresser les branches comme pouvait le faire les jeunes filles avec qui je passais le temps au booleying, mais force est de constater que je n’ai aucun don en la matière. Mais après une bonne heure, je dois avouer que j’étais assez fier du résultat. Pour finaliser une dernière touche à notre ouvrage, Richard et moi avons laissé tomber dans l’eau du la bullán une petite richesse ; une petite pièce pour moi, et un caillou brillant pour Richard que je l’avais aidé à trouvé. Je pris quelques secondes pour être fier de moi, mais alors que j’allais tourner les talons, un petite voix me stoppa dans mon élan. Une toute petite voix, dont le murmue fut si faible que je manquai presque de l’entendre. « S’il vous plaît… restez. Riez avec moi… »

 

Je me suis retourné, c’est alors que je l’aie vue. Toute petite, au centre de la source de la bullán. Ses longs cheveux semblait dépasser de deux fois sa taille et flottait en ondulant sur l’eau. Mais elle n’était pas belle. Elle peinait à sortir de a source, laissant apercevoir ses vêtements – une longue robe de schiste qui cachait jusqu’à ses pieds. Ses yeux étaient clairs, presque blanc. Et son visage ridé exprimait toute la fatigue et toute la solitude du monde. Là encore, rien n’aurait pu vraiment me retenir. Cette fée qui titubait et peinait même à s’assoir sur le bord de sa fontaine n’était très vraisemblablement capable de rien. Mais Richard s’est assis, et je me suis installé dans l’herbe, face à elle. Le silence s’est installé entre nous et sa bouche de pierre tenta de prononcer encore un mot, qui se fit avaler par le vent.

 

Je ne pouvais pas rire seul, alors j’ai décidé de lui offrir ce que j’avais de plus proche ; J’ai saisi mon whistle. Ses yeux se sont écarquillés en découvrant les gravures uniques dans le bois de l’instrument. Peut-être reconnaissait-elle le travail d’un Leprechaun ? Peu importe. J’ai fermé les yeux, et j’ai joué.

 

J’ai joué tout ce que je connaissais, tout ce que j’avais pu entendre de plus joyeux, de plus drôle, de plus triste aussi. Je reprenais toutes les mélodies qui me venait, de celle du mariage des souris à celle de la pauvre vieille dame rêvant de liberté. Et plus je jouais, plus je voyais cette petite fée grandir. Ses rides disparaissaient un a un, et son sourire était de plus en plus larges. Ses yeux, puis ses cheveux, retrouvèrent des couleurs. Seule sa robe de schiste, grise et terne, resta telle qu’elle était. C’était comme si elle se nourrissait de l’humanité, de nos émotions humaines, dont elle avait du être privée tant de temps, seule au milieu des plaines que plus personne n’arpentait. La nuit était tombé quand, à bout de souffle, j’ai cessé de jouer. Désormais, elle était presque aussi grande que moi, et son immobilité silencieuse me donnait presque l’impression de jouer pour une statue. Mais ses paupières clignèrent sur ses yeux pâles, et si aucun son ne sorti de sa bouche de pierre, je devinais sur ses lèvres un « merci ». A peine ces mots ne furent pas prononcé qu’une rafale de vent manqua de m’emporter. Je dus fermer les yeux, protéger mon visage… Quand je pu de nouveau voir autour de moi, il n’y avait plus que Richard. Malgré la soudaine et courte tempête, ni les fleurs, ni les branches que nous avions offert à la bullán n’avaient bougé.

 

En levant le camp tout à l’heure, avant d’écrire ces lignes, mon regard a été attiré par un reflet du feu dans l’arbre. Un reflet étrange, ou il me sembla voir entre les branches… une pierre de schiste. Mais le temps de tourner la tête, que c’était déjà parti.

 

Demain, je suivrai le ruisseau de Scarriff. J’ai un chemin à leur recommander.

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