Il m’a fallu beaucoup de courage pour me lever ce matin, mais voilà. Après deux mois resté dans les environs de Killarney, j’ai dit adieu à Eilís et je suis parti sur le chemin, droit vers le nord. Mais je ne suis pas parti seul.
Au moment de se dire au revoir, ma belle a absolument tenu à ce que j’emporte deux affaires supplémentaire dans mon sac. Une pièce d’or et… une laisse. Pour Richard, bien entendu.
« Je l’aime beaucoup, mais c’était le chien de mon mari, et je ne l’ai jamais vu aussi heureux depuis que tu es là à le caresser et le promener presque tous les jours. Prend le avec toi… Il est encore jeune, il ne te ralentira pas. Il pourra faire fuir les bandits, et la pièce d’or pourra faire fuir les fées Unseelie. »
J’ai bien tenté de refuser, mais s’il n’est déjà pas évident de dire non a Eilís, ça l’est encore moins face à ce molosse gigantesque aux yeux perçant. Certes, Richard est très gentil, et je pense que le voyage m’aura permis de découvrir que j’ai un certain savoir-faire avec les animaux, mais il faut dire qu’il est sacrément dissuasif. Sa longue queue a manqué de me gifler le visage ce matin, alors que j’essayais désespérément de lui mettre son nouveau collier. Je crois qu’il n’a pas encore réalisé qu’il quittait Killarney et sa maîtresse pour de bon. Je lui ai promis que je lui écrirais une lettre pour l’informer du bien-être de l’animal, elle a fait semblant de ne pas pleurer en enfilant son tablier. L’aurore n’était pas encore levée quand je suis parti. Quelle drole de sensation de marcher et d’être libre et sans abri de nouveau ! J’ai l’impression que c’était il y a une éternité.
Maintenant, le tout est de savoir où je pars. Je me suis arrêté en pleine, là où une borne indique Castlemaine à l’ouest d’ici une douzaine de kilomètres. Je sens que je vais partir par là. Je suis bien curieux de voir la péninsule, et je pense que Richard sera heureux de découvrir la mer. Ce fanfaron a marché toute la matinée devant moi , courant a tout allure dans chaque fourré… on verra jusqu’à quel point il tiendra le rythme.
Avant de partir, les Voisins de Killarney m’ont fait le don d’une nouvelle entrevue aussi effrayantes que toutes celles que j’ai pu faire jusque là. Dans la brume de l’aube, j’ai vu soudainement Richard courrir à tout allure vers moi et se cacher devant mes jambes. Il avait du oublier sa taille, car il a failli me renverser comme une quille ! En guettant l’horizon, j’ai pu voir la raison de son effroi. Au loin… il y avait un cavalier. Sur un cheval noir, il chevauchait la lande au galop. Il tenait la crinière de son cheval d’une main, et semblait tenir comme un casque de l’autre. Mais il n’était pas une armure.
On est samedi, et je quittais pour sûr la ville la plus peuplée en Sidhe de l’Irlande. J’ai frotté mes yeux, et je me suis immédiatement caché dans un buisson avec Richard. J’avais déjà des doutes au vu de l’air densifié autour de lui, et de cette aura de peur et de désolation qui émanait autour de lui, mais… Nom de Dieu, celui-là il n’a pas de tête ! Encore un autre passager de la mort que je rencontre en un mois, et celui-là, c’était le Dullahan.
J’ai serré très fort contre moi le chien et la pièce en or que m’avait offert Eilís, et puis j’ai prié. Qu’il ne s’arrête pas devant moi, qu’il ne crie pas… Je l’ai vu attraper a sa ceinture une sorte de fouet. J’ai senti une sueur froide passer sur tout le long de la mienne, car c’était bien un fouet en colonne vertébrale humaine qu’il usait là pour faire avancer son cheval plus vite. Sa monture a cabré, et il a disparu. Le brouillard s’est dissipé, et après avoir attendu une heure dans un buisson avec un chien tremblant, nous avons repris la route.
Au moins, contrairement a moi, Richard n’est pas traumatisé. Ce que je viens d’écrire s’est passé il y a à peine quelques heures et maintenant il va et vient, il essaie de debusquer les lapins et est revenu vers moi avec un mulot mort, bien trop fier de sa trouvaille. Je dois dire qu’il est au moins efficace pour m’alléger le cœur. Pour ma part… je pense que l’on a eu beaucoup de chance, comme beaucoup trop de fois depuis bientôt un an que je voyage. Et je repense a ce que m’a fait promettre Eilís après l’aventure de la Banshee. Mais… Je pense qu’il va me falloir de l’alcool pour tenir le coup, si des Voisins s’amusent à me faire peur toutes les semaines… !