Ah, après tant de temps, j’avais presque oublié la beauté et la douleur du froid humide de la mer d’automne. Après avoir profité des hauteurs et du vent de la Gortaleen Moutain, nous avons fait comme je le pensais cap vers l’ouest, vers la péninsule. Les paturages sont tous déserts, alors que nous allons de ruines en ruines sans croiser âme qui vive… Je me suis rarement senti aussi serein. La solitude n’est pas toujours une souffrance, après tout. Et puis, il faut le dire, Richard égaie bien mes journées. A force de me suivre, il va presque devenir un bon chasseur ! Je pense qu’il a compris que la nourriture uniquement si on savait la trouver.
Aujourd’hui, nous avons atteint le bout du bout de l’Irlande, a Dunmore Head. Ici les vagues n’ont rien à voir avec celles du port de Dublin et le vacarme de l’écume se brisant sur les falaises est assourdissant. Au loin, malgré la brume, on peut deviner plusieurs îles, dont une particulièrement grande et proche. Il me semble qu’elle s’appelle la Great Blasket, mais il faudra me payer pour que j’accepte de faire la traversée en bateau, en Kelpie ou que sais-je ! Les îles, petites ou grandes, ça ne me réussit pas. Et puis je pense que Richard serait incapable de me suivre. Le pauvre est en train d’aboyer après les vagues comme si elles lui avaient volé sa nourriture. Ce chien a beau être gigantesque, je pense que c’est le plus trouillard que je n’ai jamais rencontré. Ici, pas de plage a proprement parler, mais on peut rejoindre la mer par la berge, et l’on peut apercevoir quelques cabanes de pêcheur.
Ici, il fait froid, mais l’herbe est douce. J’ai décidé d’écrire ici, à même le sol, pour décrire ce paysage fantastique… Mais une mélodie merveilleuse est sortie du vacarme de l’eau. Un chant si beau qu’il recouvre même le bruit du vent. J’ai l’impression de me retrouver comme protégé par les 4 murs de ma maison, et la voix qui accompagne la pureté de la harpe ressemble à celle de ma mère. Tout se calme autour de moi, tout se fige, comme si l’univers entier se dressait pour écouter la mélodie ; même Richard s’est tu, restant a observer les vagues avec l’œil vif et l’oreille dressée.
C’est comme si je n’avais vécu que pour cet instant. Comme si tous les pas de mon voyage n’avaient été que pour m’emmener à cet endroit. Comme si tous les mots de mon journal n’avaient été que pour écrire cette musique. C’est sans conteste la plus belle voix jamais entendue, qui sait toucher au cœur par une magie incroyable. Je vais poser mon stylo, il faut que j’apporte mon grain de sel. Je ne chante pas aussi bien, mais mon modeste whistle pourrait peut-être l’accompagner sans trop briser de son indiscible beauté…
J’ai joué, que dis-je ? Mes doigts tremblaient sur mon whistle de bois mais j’ai tenu bon. J’ai trouvé la mélodie et j’ai laissé filer ce qui venait à mon esprit, ce qui pouvait le mieux rendre honneur à ce que j’entendais. J’ai fermé les yeux, n’existait désormais pour moi que ce chant incroyable et ma flûte dans mes mains, comme le plus beau et le plus des trésors à porter. Quand j’ai ouvert les yeux, elle était devant moi. Une queue de poisson dont les écailles brillaient sous un soleil timide, des longs cheveux clairs et ondulés… Elle ne me regardait pas, elle faisait comme si elle n’avait pas remarqué ma présence. Mais elle maintenait l’air. C’était la plus belle des ondines, qui chantait là en gaélique.
Puis son regard d’un jaune éclatant me transperça si fort que je dus retenir Richard de faire ce que j’avais très envie de faire ; sauter dans le vide pour la rejoindre… Mais avec un merveilleux sourire, elle a continué de chanter, et en faisant, elle m’a raconté son histoire.
Un pêcheur était tombé amoureux d’elle et sous les conseils de la sorcière de Dingle, il lui avait retiré sa queue de poisson. Elle s’était mariée à lui et avaient eu des enfants ensemble. Un jour, ses enfants ont par ignorance libéré sa queue de poisson et elle avait pu retourner à la mer qui lui avait tant manqué. Mais depuis, le pêcheur l’appelle jour et nuit comme une âme en peine, et ses enfants pleurent le départ de leur mère. Elle n’est pas de leur monde et ne peut rester chez les hommes sans dépérir, mais souhaite transmettre à ses enfants ces derniers mots, ce chant de bénédiction, pour que le reste de leur vie soit la plus douce possible.
« S’il te plaît… Va les trouver à Dún Chaoin porter ce message. Je ne peux plus m’approcher sans commettre un malheur. Va les soulager de leur souffrance par ma chanson ».
Sans réfléchir, j’ai hoché la tête. Avec un sourire, la mélodie comme l’ondine ont disparu dans les profondeurs de l’océan. Et voilà que je me suis retrouvé tout seul, de nouveau dans le vacarme des vagues et les doigts gelés sur mon whistle et une nouvelle destination à atteindre. Dún Chaoin, il me semble que c’est au nord d’ici, je devrais y arriver rapidement…
Ho! mo nigh’n dubh
He! mo nigh’n dubh
Mo nighean dubh
‘S tu mo chuachag.
Eala rid' thaobh
Is roin os do chionn
Lacha Mhoire 's a' chaol
'S cha'n fhaobar bhrònag
Sleep beneath
The foam o’ the waves
On reefs of sleep
Dreaming in dew mist.
While I croon,
White swan of the moon,
Wild duck of the sound,
By thee are resting.