J’avais fait quasiment demi-tour, redescendant les falaises vers le sud comme si je comptais retourner à Liscannor ou Ennistymon. Je ne sais pas vraiment si j’ai vraiment espéré retomber sur cette clé d’or… Mais j’ai quand même fait le tour, au cas où. J’ai même tenté d’expliquer à Richard comment m’aider et ce qu’il fallait trouver, mais n’ayant pas d’or dans mes poches je ne pouvais même pas lui faire sentir ce que l’on cherche ! Qu’à cela ne tienne, il a quand même retourné l’intégralité des terriers de lapin. On ne sait jamais, si jamais le voleur était finalement un simple rongeur…
Mais je pense que je vais abandonner et reprendre mon voyage. Après tout, rien ne dit que le seigneur a perdu la clé aux falaises de Moher. En plusieurs millénaires, elle a eu le temps de faire cinquante fois l’intégralité du pays ! Autant ne pas perdre de temps et tracer sa route. Ce sera un problème pour plus tard, je pense. Sauf si j’ai rêvé toute cette rencontre, auquel cas ce ne sera pas un problème du tout et je n’ai rien à perdre à ne pas chercher une clé d’or inexistante !
Mais avant de m’endormir, il fallait que j’écrive ici ce qui m’est arrivé. Des légendes à Liscannor m’avaient été raconté pour m’encourager à voyager sur les falaises de Moher et notamment une au sujet d’une sorcière m’avait particulièrement intrigué. Mais quand je suis passé au lieu-dit la première fois, il n’y avait rien eu de semblable. Etait-ce parce que ce n’était pas un samedi ? Toujours est-il que j’étais reparti déçu. S’aurait pu s’arrêter là et sans cette histoire de Kilstiffen, je n’y sûrement jamais retourné ; seulement, sans le réaliser, je me suis arrêté aujourd’hui après avoir passé le nez au sol toute la journée. Je suis actuellement au Hag’s Head, le promontoire de la sorcière.
Quelques semaines auparavant, je m’étais retrouvé à écrire a propos de la razzia des vaches de Cooley, organisé par la reine Mève et le roi Aillil afin de départager lequel des deux était le plus riche. Mais je n’ai pas ressenti le besoin d’évoquer le plus grand héros de cette épopée, celui qui leur a tenu tête et qui fait que les quatre royaumes unis par les deux roi et reine n’aient pas entièrement rasé l’Ulster. Celui que tous les irlandais admirent pour sa force et son abnégation, fils du dieu Lugh, le plus grand guerrier que le monde n’ait jamais porté, je veux parler bien sûr de Cuchulainn.
En effet, Mève était stratège. Elle savait que tous les hommes de l’Ulster avaient été maudit par la déesse-sorcière Macha. Celle-ci avait entretenu une relation amoureuse avec un fermier du nom Cruncchù, à qui elle avait promis l’abondance et la prospérité s’il gardait cette union secrète. Seulement le pauvre homme, après avoir bu trop d’alcool, n’avait pu s’empêcher de se vanter en présence du roi que sa femme était si extraordinaire qu’elle pouvait courir plus vite que le meilleur attelage du Roi. Vexé, le souverain Conchobar MacNessa convoqua Macha, enceinte de jumeaux, et la força à prouver les dires du fermier. La course fut organisée et la déesse-sorcière courut, si vite qu’elle dépassa deux fois l’attelage royal. Elle gagna la course en donnant naissance à ses enfants, Fior « le véridique » et Fial, « la pudique ». Pour se venger de l’affront qu’il lui avait été fait Macha jeta une malédiction à tous les hommes d’Ulster ; chaque année, à cette date anniversaire, tous deviendront aussi faible qu’une femme en couche pour cinq jours et quatre nuits. Le Roi d’Ulster tenta bien de renommer son royaume « Emain Macha » en son honneur et celui des jumeaux, mais rien n’y fit. Plus jamais la déesse ne mit les pieds en Irlande du nord, et chaque année tous les hommes du pays furent atteint par celle malédiction qui fut vite appelée « La neuvaine des Ulates ». La reine du Connaught, royaume de l’ouest, le savait bien et c’est bien sûr à cette période où personne ne pourrait se défendre qu’elle décidât de lancer l’assaut avec les guerriers venu de tous les autres royaumes d’Irlande. Mais c’était sans compter sur Cuchulainn, dont son ascendance divine le faisait échapper à la neuvaine. Il les mit tous en déroute, affrontant parfois jusqu’à mille contre un sans jamais faiblir.
C’est ainsi que le jeune homme devint un des guerriers les plus proche de MacNessa et qu’il fut envoyé, après la razzia, dans nombre de voyage diplomatiques. Et dans l’un d’entre eux il rencontra une vieille sorcière du nom de Mal. Elle n’était plus de toute fraîcheur, ni de grande beauté, mais elle tomba éperdument amoureuse du guerrier. Elle le poursuivit avec passion dans tous les pays, bien que Cuchulainn se refusait fermement à elle. Le roi d’Ulster, quelque peu amusé par la situation, lui conseilla de faire attention ; Mal n’était ni jeune ni belle, mais elle était puissante. Il valait mieux éviter de la combattre mais seulement la fuir jusqu’à ce qu’elle se lasse. Alors le jeune guerrier courut a travers toute l’île, créant un immense nuage de poussière derrière lui. Mais Mal était si amoureuse de lui qu’elle le poursuivi, si transportée par ses pouvoirs et sa passion qu’elle arrivait à le suivre. Cette course effrénée leur fit traverser les quatre royaumes et le mena jusqu’ici, précisément à cet endroit des falaises de Moher, où l’on peut voir la plus petite des îles de l’Archipel d’Aran, Inisheer. Nous sommes au point le plus haut des falaises, là où le vent peut se faire le plus violent et la mer le moins clément. Mais c’était sans compter sur le courage et le désespoir de Cuchulainn, qui ne voyant pas d’autre issue à la poursuite, s’est élancé droit vers les falaises d’un bond sauta des falaises pour atterrir de justesse sur Inisheer, à six miles de là. Mal tenta le saut à son tour, mais ses jambes affectées par l’âge la lâchèrent. Son hurlement de terreur résonna dans l’île toute entière. Il alerta jusqu’à Macha elle-même, qui eut pitié de sa chute interminable et de sa mort certaine. Avant que le corps de Mal touche le sol, la déesse le fusionna aux pierres de la falaise, ne faisant plus qu’un avec la terre pour l’éternité. Des roches s’élevèrent alors au sommet de la falaise à l’endroit où la vieille femme était tombée et Cuchulainn put apercevoir la tête de sa poursuivante sortir du sol, chanter de tristesse avec le vent. Il s’en retourna alors sur la terre ferme rendre hommage à sorcière disparu et nomma l’endroit à son honneur afin que l’on n’oublie pas cette aventure. Ainsi est né le Hag’s Head, le promontoire de la sorcière, où je me trouve.
Quand j’y étais passé la première fois, effectivement j’avais été assez stupéfait de découvrir ce visage de profil, faisant face à la mer avec un air mélancolique, se mélanger à la roche. Mais cela en était resté et j’avais continué mon chemin. Mais ce soir, effectivement, j’entends le fameux chant qu’elle avait adressé à Cuchulainn. Une voix aigue et sifflante sort de l’air et semble rebondir sur les rochers. C’est une mélodie assez simple, lancinante, mais il m’hypnotise et ne semble pas prête de s’arrêter. S’il continue encore quelques heures, je vais pouvoir retrouver les paroles que Mal semble chanter… Peut-être que d’être devenu rocher lui manque ces rondes de sorcières auquel elle devait participer lors de rituels magiques et démoniaques. Continue encore un peu vieille dame, les paroles de ton chant me viennent…
Cummer, go ye before, cummer, go ye
If ye willna go before, cummer, let me
Ring-a-ring-a-widdershins
Linkin’, lithely widdershins
Cummer, carlin, crone and queen
Roun’ go we
Cummer, go ye before, cummer, go ye
If ye willna go before, cummer, let me
Ring-a-ring-a-widdershins
Loupin, lightly widdershins
Kilted coats and fleein’ hair
Three times three