Samedi 31 Avril 1819 - Blessing of the Black Cow

Par Pouiny
Notes de l’auteur : Musique de référence : https://youtu.be/n3A3kGENQSQ?si=yFgYMOaV5j0ibWzl
J'ai légèrement déformé le titre pour que cela corresponde mieux à mon histoire ! (blessing doit faire plutôt référence ici à la ville de blessington dans le comté de wicklow)

Comme je regrette, tout comme je regrette de m’être plaint de l’océan de verdure de Clare ! Ah, comme il me manque aujourd’hui !

 

Il faut dire que rien n’aurait pu me préparer à ce qu’est le Burren. Il est unique en son genre. Pas un arbre, pas un ruisseau, pas une ville, pas un lac ! Seulement de la roche grise fissurée de toute part jusqu’à perte de vue. Autour de moi, seulement des ruines… Et je n’ai plus d’eau dans ma besace.

 

J’essaie de ne pas m’inquiéter, mais je vois bien que la situation est critique. Les nuages me manquent et Richard refuse d’avancer. Sa langue pend jusqu’au sol, et je lui ai déjà donné les dernières gouttes qu’il me restait. Nous avions fait une étape à Inis Tí Meán dont je suis parti certain d’être assez bien préparé à ce qui m’attendait. Les villageois m’avaient même offert une outre supplémentaire, impressionnés par la fidélité du colosse qui désormais me suit partout sans laisse ni collier, aussi libre que je puisse l’être. Je revois encore le vieux pont de pierre bordant les cascades rocheuses de la ville. Mais une région d’Irlande sans aucun cours d’eau, comment cela peut-il exister ?

 

J’ai regardé le ciel, mais pour l’instant aucune pluie ne semble s’annoncer… Je bénis à chaque pas sur les roches les chaussures solides et fiables du leprechaun, mais si seulement j’avais pu lui demander un chant qui pouvait faire tomber la pluie… ! Le paysage est pourtant splendide, et tout aurait d’ordinaire attisé ma curiosité – les amas de pierres, les ruines de monastère, de château… Mais tout ce à quoi je peux penser, c’est que je n’ai aucun repère sur ma carte et que je ne sais plus aller pour trouver de quoi sauver mon chien.  Quel triste jour pour fêter ma première année sur les routes. Ma première année, et peut être la dernière…

 

Désespéré, j’ai levé la tête pour observer devant moi, voir si je pouvais trouver quelque chose qui m’aiderait à savoir où je suis sur ma carte. Toujours pas un arbre, toujours pas un lac, mais j’ai l’impression de voir une… vache ? a l’horizon ? ça me semble improbable, et Richard refuse encore de bouger, mais si c’est vraiment une vache, cela veut dire qu’il y a un troupeau, et peut-être même des humains. C’est ma seule chance ! Je vais laisser le carnet à Richard, après tout s’il a été béni par un dieu il le protègera surement. Et je vais aller courir après cette vache, sauver mon chien et ma peau, par Dieu !

 

***

 

J’aurais du me douter en écrivant la date du jour que ce ne serait pas une vache ordinaire que je rencontrerai là. Mais quand je suis arrivé devant elle, vache de Kerry qui me semblait on ne peut plus banale, seule, avec aucun humain à l’horizon dégagé, j’ai cru que mes jambes allaient me lacher de désespoir. Mais j’ai regardé ses pis, bien rose et enflé, et une idée folle m’est venue. J’ai commencé à m’approcher doucement de la vache, qui en me voyant m’accroupir recula farouchement. Inquiet qu’elle s’enfuie, bien plus que d’une ruade, j’ai commencé à la supplier en gaélique. J’ai repensé à Oran aux booleying, et a Conn, qui parlaient toujours à leurs animaux  en cette langue. L’un, ou peut-être l’autre ? M’avait un jour expliqué que le gaélique était une langue si ancienne que le bétail la comprenait instinctivement, car elle était la langue universelle du monde. J’ai alors tout raconté à cette vache. Mon voyage, mon rêve de découvrir et de comprendre l’Autre Monde, puis le manque d’eau, la nouveauté de ce paysage indescriptible à mes yeux, mon chien en train de dépérir sur un rocher non loin. Je lui ai expliqué ce que je voulais ; juste assez de quoi remplir une de mes outres, rien de plus. A la fin de ma tirade j’osai enfin la regarder vers elle ; son regard s’était adouci. Ses grands yeux noirs bordés par de longs cils laissaient entrevoir comme forme de pitié à mon égard. Je me suis approché de nouveau, et elle n’a pas bougé. Alors, le plus délicatement possible, j’ai commencé à la traire.

 

A peine avais-je touché un de ses pis que le lait jaillit en continu comme une fontaine. Je pu remplir une outre, puis la deuxième, et une fois la deuxième remplie je m’éloignai et vit le liquide continuer de couler par terre. Dès qu’il tombait au sol, il se transformait en eau, et bientôt je vis méduser comme des rigoles se former entre les fissures de la roche. Des gentianes poussaient autour des minuscules rivières qui bientôt allait parcourir l’entièreté du Burren. Je suis resté immobile, médusé ; la vache noire poussa mon sac de son museau, laissant tomber la flûte du Leprechaun. Je pris le whistle dans mes mains, et instinctivement, je me pris à jouer pour elle. Sous mes doigts vinrent un reel de remerciement que je n’avais jamais entendu auparavant. Ses yeux se fermèrent et sa tête remua légèrement en rythme. Elle semblait presque satisfaite ? J’ai joué comme ça une bonne heure, jusqu’à ce que la rivière cesse de couler de son pis et qu’elle finisse par s’éloigner dans l’obscurité du soir. Je suis revenu là où j’avais laissé Richard et le carnet ; il buvait goulument l’eau entre les interstices de la roches. Il allait déjà bien mieux. Comme j’ai été soulagé !

 

Impossible de faire un feu dans le burren tant il n’y a ni arbre ni branche. Heureusement que le printemps et là et que les nuits se font plus agréables ! J’écrit ces lignes à la lueur de la pleine lune. Cette vache extraordinaire… Je suis sûr d’avoir déjà entendu son histoire. A une veillée Inis Tí Meán , peut-être ? Autrefois, il existait dans le burren une vache nopmmée Glas Gaibhne, possédée par un odieux forgeron. Celui-ci se vantait à qui voulait l’entendre que cette vache bénie était capable de remplirde lait n’importe quel récipient. Une sorcière jalouse se décida alors de lui faire remplir un tami. Le liquide jailli du pis de la vache, tant et plus que bientôt le burren fut comme aujourd’hui, remplie de rivières qui érodèrent la roche. Mais la vache, vexée que l’on ait abusé de son don et de sa bonté, ne se laissa plus jamais traire et disparu à jamais du désert.

 

Merci, merci à jamais de m’avoir fait confiance et d’avoir sauvé mon compagnon ! Maintenant, il ne me reste plus qu’à retrouver mon chemin…

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