Samedi 21 Mars 1818 - Brian Boru's March

Par Pouiny
Notes de l’auteur : Chansons de référence : https://www.youtube.com/watch?v=1gY45Gv2pno
https://www.youtube.com/watch?v=KkfJIFCwK8k

Je repousse mon départ d’une semaine encore. Par la peste, plus jamais je ne ferai confiance à mon frère ! C’est un vrai diable, je le reconnais bien à présent. Il sait déjà comment exploiter les vices des hommes.

 

Je ne peux pas lui reprocher de m’avoir compris pourtant. J’ai passé mon temps à réfléchir à ce que je pouvais mettre dans mon sac. Je pliais mes affaires, puis je les ressortais. J’ai pensé à ma prendre mon whistle avant la nourriture, il n’y a pas à dire, Père serait fier. Hier enfin, j’avais enfin eu le courage de lui expliquer ce que je préprais. Ou plutôt… C’est lui qui m’a interrogé plus intensément que d’ordinaire. C’est que c’est pas n’importe qui, Marty. A lui seul, il justifie l’expression « têtu d’irlandais » !

 

Enfin qu’importe. Je lui ai révélé que je comptais partir aujourd’hui. « Et tu comptais t’enfuir comme ça, comme un voleur ? Il faut bien fêter ton départ ! Ressors ton wistle, on va au Byrnes. » Et sans m’attendre il a enfilé ses plus belles chaussures, celles dont les talons claquent et résonnent même sur le plus dense des pavés de la ville.

 

Mon frère a le pas sûr et léger comme l’enfant qu’il est encore, mais il a déjà le regard cynique et révolté comme l’adulte qu’il deviendra. Quand on va au pub ensemble, tout le monde sait déjà qu’il va y avoir des étincelles. Quand il monte sur le marchepied en bois, tout le monde semble oublier qu’il n’a que 14 ans et tout le monde veut être le premier à lui payer son coup. Et cet idiot alors m’offre la moitié ce qu’on lui a donné pour qu’on boive ensemble.

 

Il aime tant quand nous dansons tous les deux et entendre nos pas résonner à l’unisson, comme si nous allions pour toujours marcher de concert. Mais je n’ai pas son talent et son endurance, et j’ai encore en souvenir malheureux les leçons de danse de Père, où il nous faisait porter des seaux remplis qui ne devaient jamais se renverser. Je préfère largement avoir les mains libres et les doigts mobiles, a chacun sa partie du corps la plus agile ! Bientôt le monde afflue pour nous rejoindre et l’ivresse et totale, à tel point qu’il en devient difficile de rester musical.

 

On était parti au Byrnes dans le début de l’après midi, nous n’en sommes sorti que dans le brouillard, au beau milieu de la nuit. Nous devions rentrer chez nous, mais en riant Marty s’est exclamé : « si tu veux partir, eh bien allons sur les docks ! Je vais te monter sur un bateau, direction l’Angleterre ! » Et comme si c’était une bonne idée, je l’ai suivi en titubant.

 

A partir là, mes souvenirs deviennent flous. J’ai souvenir d’avoir tenté de pousser Marty à la mer, mais la bière et le whiskey n’atteignent jamais son pas sûr. Et alors que je regardais vers l’horizon sombre et brumeux, un son de corne dans le lointain m’a fait perdre mon hilarité. Alors que je me concentrais pour comprendre ce qui s’approchait sur cette mer d’huile, la vision d’horreur me fit tomber en arrière.

 

Une flotte de drakkar immense couvrait en entier l’horizon nocturne, couvrant la mer de dizaines de têtes de dragons et de voiles immenses illuminés par des flammes. En plus des cornes sifflaient à mes oreilles les hurlements de rages. Marty posa une main sur mon épaule et me demanda, comme dans un rêve, ce qui me prenait. J’allais lui demander : « mais tu ne vois pas ce qui se passe ? » quand je fus aveuglé par un halo de lumière. Derrière mon frère se trouvait désormais une armée à cheval, avec tout le vacarme de hénissement et de hurlement qui allait avec. Et, surplombant le tout, se trouvait un homme gigantesque, baigné dans la lumière, un Haut-Roi de l’Irlande.

 

Il était assis en amazone sur son cheval, une barbe de feu éclairait son visage par boucles et une couronne d’or ornait sa tête. Dans ses bras et sur ses jambes reposait une harpe celtique en bois massif, dont le son hypnotique accompagnait le chant de la guerre. Son cheval blanc gigantesque se dirigeait sans un doute vers la mer au trot, prêt à écraser la flotte ennemie de ses sabots. Malgré le chaos indicible qui reignait… Aucune haine tordait le visage de roi. Il semblait sûr de lui, en conquérant. Alors qu’il s’approchait, la chaleur qu’il dégageait de sa lumière me monta à la tête… et ce fut le trou noir.

 

J’ai du émergé dans mon lit vers midi. Marty avait raconté au moins trois fois à mère comment il avait du me trainer jusqu’à la maison, mais elle était loin de le prendre en pitié. Faisant la vaisselle, elle garda pour les assiettes et les couverts son regard moqueur. Alors que je m’asseyais à table prendre mon déjeuner, mon frère changea de sujet pour me demander : « Eh bien alors, raconte ! Qu’est-ce que tu as vu sur les dock de Clontarf ? Tu avais l’air tellement effrayé, on aurait cru que tu avais vu une Banshee ! »

Avec un grand soupir, j’ai donc raconté ma vision. La flotte, les flammes, l’armée, le roi… Mère resta silencieuse, continuant de frotter les assiette. Même quand j’eus fini mon histoire, elle continua de me tourner le dos en silence. Après quelques minutes où je pensais qu’elle en restera là, elle murmura en retournant vers moi :

« Vous étiez a Clontarf, c’est ça ?

— Oui, c’est Marty qui en a eu l’idée, dis-je pour me dédouaner. »

Il étouffa sa protestation, trop impatient d’entendre Mère réfléchir. Quand elle restait silencieuse et immobile ainsi, c’était souvent car il y avait une histoire qui n’attendait qu’à poindre le bout de son nez. Et celle d’aujourd’hui ne se fit pas attendre.

 

« Quand j’étais petite, mon père me disait qu’il y a très longtemps, un Haut-Roi d’Irlande avait trouvé la mort à Clontarf.

— Dans une embuscade ? Tenta Marty.

— Non, dans une bataille contre les Northmens. Il l’a remportée et réuni l’Irlande pour une dernière fois, mais il paya cette victoire de sa vie.

— Attends, dis-je en discernant vers où mère se dirigeait. Ce roi, est-ce…

— Oui, je pense que tu as deviné, mon Paddy. Le dernier haut-roi d’Eire, Béal Bóruma.

— Impossible ! Pourquoi Paddy aurait l’honneur de percevoir l’esprit de Brian Boru et pas moi ? S’est exclamé Marty avec une pointe d’envie. 

— Et bien, peut-être qu’il est difficile pour Bóruma de rester en paix en voyant l’état de son île et la déchéance de ses jeunes, a rétorqué Mère avec un ton acerbe… » 

Et elle nous tourna alors le dos. Elle sortit les assiettes de l’évier pour les ranger dans des placards. C’était sa manière de nous signifier que la discussion était terminées. Nous sommes restés penaud, mon frère et moi, comme des enfants qui venions de se faire gronder. Puis nous sommes retournés à nos occupations. Vu mon état, ce n’était plus question de partir aujourd’hui…

 

Et me voilà à écrire toute cette histoire dans ce carnet, comme si je voulais m’excuser auprès de grand-père de cette promesse non tenue de la semaine passée. Mais même si Mère voulait surement que se moquer de nous, sa dernière remarque ne cesse de me tourner en tête. Je me sens coupable et honteux, mais de quoi donc exactement ? Est-ce ma faute a moi si Brian Boru était déjà depuis si longtemps parti vers l’autre monde quand les chiens d’anglais sont venus sur notre Île d’Emeraude et depuis la brûle feuille par feuille ?  

 

Mais je pense que tout irlandais aimerait que son roi légendaire soit en paix. Tout irlandais doit rêver de cette union depuis si ancienne qu’elle est depuis des siècles oubliée. Alors peut-être que, modestement, comme Brian Boru, je dois marcher d’un royaume à l’autre, transmettre le message de son âme.

 

Back in 1000. died Brian Boru, on the emerald Irish isle
But his fiery locks and golden harp survive him for the while
The banner and the sword, remain driven in the ground
And peace is back in Leinster, how ever sweet the sound

 

 

Samedi prochain, je tiendrais ma promesse.

 

Dead Brian Boru gives life to lreland
In a tree of peace, come light the garland
The children know the fear of hell no more
Peace has at last come to Leinster door

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Dédé
Posté le 16/04/2025
S'il marche sur plusieurs royaumes, ça me va ! Il a peut-être besoin d'un but pour voyager et pas seulement "avoir envie de partir".

C'est chouette aussi d'avoir un aperçu de la relation de Paddy avec son frère, puis sa mère. Et l'histoire de la légende du Haut Roi, ça apporte un petit plus folklorique. Cette vision est tout de même intrigante.

Hâte de voir où tout ça va nous emmener par la suite !
Pouiny
Posté le 16/04/2025
Les delirium tremens ça ne pardonne pas ! 😆 Merci beaucoup pour le retour. Brian boru est une icône de l'Irlande, et son ombre plane sur Dublin un peu partout, le Trinity College posséderait sa harpe, il est le fantasme ultime de cette Irlande unie, il fallait forcément que je l'aborde :3 j'espère que la suite te plaira tout autant, merci de lire et de commenter ! ❤️☘️
Dédé
Posté le 17/04/2025
C'est normal, cette histoire mérite d'être lue et commentée ! :)
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