Il faut dire ce qui est ; c’était une belle veillée mortuaire, il en aurait été très fier. Maman a tout fait dans les règles de l’art ; elle a mis le corps dans son salon, près de l’endroit où il fumait sa pipe en buvant une bière. Avec mon frère, on est parti au bar dévaliser leur stock. Pendant la soirée, il y a quelqu’un qui en a renversé sur son costume, maman a sourit en disant que de toute façon, il n’avait jamais porté de vêtement immaculés et que ça n’allait pas commencer aujourd’hui.
Tout le monde s’est ramené avec quelque chose ; des tuyaux, du whiskey, des poèmes… Il y a même eu un concours de blague, vers trois heures du matin. Je pense que c’est papa qui a fait la plus mauvaise. Elle était si nulle que l’on a regardé vers lui. L’espace d’une seconde, je crois qu’on s’est tous attendu à ce qu’il se redresse et qu’il lui dise à quel point il le trouvait stupide, comme il le faisait tout le temps. Je pensais pas que papa pourrait avoir la larme à l’œil de ne pas entendre d’insultes en gaeilge.
Quand le jour s’est levé, il a simplement éclairé la brume sur la ville. Un à un, ceux qui étaient en état de marcher sont partis. On lui a donné un coup de chapeau, comme à leur habitude. J’allais remonter dans ma chambre me coucher quand maman m’a pris à part dans la cuisine. Elle m’a dit : « Pádraig, j’ai retrouvé ceci dans ses affaires. Il aurait du te le donner lui-même, mais tu sais, pudique comme il était… Il te revient, maintenant ».
Et nous voilà. Honnêtement, ça ressemble plus à un dictionnaire vide qu’à un carnet, vu sa taille. Mais c’est vrai qu’il écrivait beaucoup, parfois beaucoup plus que ce qu’il parlait. Il devait s’imaginer avoir besoin de beaucoup de papier pour ancrer tout ce qu’il ne disait pas. Mais j’ai lu la première page, et je n’ai pu m’empêcher de laisser tomber quelques larmes sur le papier. Heureusement que les feuilles sont épaisses ! J’aurais bien trop peur de l’abîmer.
La pensée de le laisser vierge m’a honnêtement traversé l’esprit. C’est un si bel objet, j’aurais l’impression de le gâcher en gribouillant… Puis, après avoir lu et relu cette première page, ce que je devais faire est devenu clair, limpide même. Dans quelques minutes je fermerai cette reliure de cuir et je descendrai dans le salon. Je regarderai papa dans les yeux, et je lui dirais : « C’est décidé, je quitte la maison. »
Il s’énervera sûrement, il me dira que c’est stupide et insensé, que je ne peux pas laisser tomber mes études aussi vite, et je n’aurais rien à en dire. Mais je pense qu’il comprendra vite que je ne changerai pas d’avis. Il y a tant de page à remplir dans ce carnet, et il avait tant d’espoir, et tant d’histoires pour moi… Il faut que j’aille les chercher. Il faut que je les retrouve. Et ça ne peut se faire dans notre vieille, sale et laide ville qu’est Dublin. Où est la magie et le folklore, dans notre capitale fantoche ? Au milieu du typhus, peut-être ?
Mais je ne partirai pas tout de suite. Je lui dirai au revoir, encore une fois, à l’enterrement. Et cette fois-ci, je chanterai avec les autres et je leur laisserai entendre ce que j’ai entendu de lui ce soir. Je l’imagine, au paradis, un verre de whiskey a la main, chanter ces vers avec un sourire aux lèvres…
Tim Finnegan lived in Walkin Street, a gentle Irishman
Mighty odd
He had a brogue both rich and sweet, and' to rise in the
World he carried a hod
You see he'd a sort of a tipplers way but the love for
The liquor poor Tim was born
To help him on his way each day, he'd a drop of the
Craythur every morn
Whack fol the dah now dance swing to yer partner around the
Flure yer trotters shake
Wasn't it the truth I told you? Lots of fun at
Finnegan's Wake
C’est officiel également pour moi: ton histoire est particulièrement touchante et je vais pas pouvoir la quitter
Bravo!
Tu poses un personnage en peu de mots. Ce mélange d’ambition, de sincérité, de sensibilité au monde, c’est tellement attachant! (Oui je suis enthousiaste et ça se voit un petit peu)
Me reste une petite question que je pose quand je suis conquis par un texte: est-ce que tu y vois des imperfections, des failles?
Je trouve toujours la réponse intéressante, qu’elle qu’en soit la teneur…
Encore bravo!
Et on se retrouve dans un prochain espace commentaire (si j’apporte quelque chose bien sûr!)
J'écris aussi avec la musique que je veux aborder en boucle pendant tout le temps de l'écriture, ce qui m'aide énormément pour capter l'émotion que je veux transmettre, mais ce qui handicape un peu mon cerveau sur ce qui concerne la syntaxe et les fautes d'orthographes... je sais qu'il y en a beaucoup et ça sera retravaillé en phase de réécriture et relecture.
Paddy Orson était au départ un personnage de conte oral, que j'ai créé dans le cadre de mes concerts de musique traditionnelle irlandaise afin de créer du contexte au public sur ce qu'ils écoutaient sans que ça semble être des cours d'histoire. Mais un personnage de conte, c'est un "actant" qui n'a pas d'autre personnalité que ses actions, ce qui ne fonctionne pas en littérature. Cette problématique que tout soit écrit un samedi (ça vient du nom de mon groupe, Sweet Saturday xD) crée un côté poétique mais assez difficile à gérer pour que ça paraisse cohérent, et surtout sur les premiers chapitres je pense que c'est loin d'être parfait. C'est justement parce que les textes sont loin d'être sans défaut pour moi que je les confronte à la communauté de plume d'argent, afin que ça m'aiguille sur l'écriture et la réécriture ! Je veux déjà constater si l'idée de base fonctionne, si malgré tout ça parle à des lecteurs... et qu'ils me relèvent aussi ce qui ne fonctionne pas ! Voilà, un peu long mais j'espère que ça aura répondu à ta question. Au plaisir de se recroiser dans l'espace commentaire et j'espère que la suite te plaira tout autant, merci beaucoup !
Cette dimension profondément humaine dans la musique et la culture irlandaise de manière générale, je crois que c'est ce qui me parle le plus. Tout est relié, et c'est pour ça que j'ai du mal avec le fait qu'on écoute beaucoup d'Irlandais sans rien savoir du contexte dans lequel tout ça vient. C'est cette envie de redonner du sens qui a créé Paddy Orson et je suis vraiment heureux de voir que ça a l'air de fonctionner, au minimum de plaire ! Merci beaucoup encore <3
J'adore la suggestion de musique à chaque début de chapitre, je trouve ça vraiment important et c'est quelque chose que j'aime faire également :)
Enfin voilà je n'épilogue pas plus, je m'en vais poursuivre ma lecture :)
(Je suis honoré d'être le premier texte lu pour un nouvel arrivant, mais du coup j'ai un peu la pression aussi ! 😱)
Sinon, c'est officiel : je suis tombé sous le charme de ton histoire. Ces petites tranches de vie sont succulentes. A voir où va aller Paddy ! Va-t-on voyager en Irlande ? J'adore déjà l'idée !
Si jamais, j'ai relevé quelques coquilles (ou coquillettes au beurre) dans ces deux premiers chapitres. Si tu le souhaites, je peux t'en faire le relevé.
A bientôt, Pouiny !
Merci beaucoup et j'espère que la suite te plaira tout autant !
C'est la première fois que je réécris depuis plusieurs années donc j'ai posté en premier jet pour me motiver et avoir des retours sur le principe, je sais qu'il doit y avoir des fautes, mais pour le moment j'aimerais avancer encore un peu dans mes chapitres avant de passer en relecture ! Mais quand ça sera le cas je pourrais te demander de l'aide avec plaisir oui 😊