Samedi 24 Octobre 1818 - Jack'o Lantern

Par Pouiny
Notes de l’auteur : Musique de référence : c'est mine de rien assez rare les musiques traditionnelles qui font un lien aussi précis avec une créature du folklore traditionnel irlandais. Donc je me suis orienté vers 2 compositions sur les fantômes, dans un style trad

The ghost of Ballybrolly
https://www.youtube.com/watch?v=euW0gOWjCmw

The Ghost of the Glen
https://www.youtube.com/watch?v=62Y_HcUfE3M

Oui, Eilís et même mon grand-père avant elle m’avaient mis en garde sur cette période d’halloween, d’autant plus que cette année le 31 tombe un samedi, un jour que les Voisins semblent particulièrement apprécier pour me faire des farces… Mais je pensais avoir encore une semaine de répit ! Juste une semaine de répit, c’était trop demander ?

 

Mais je crois que je ne peux m’en prendre qu’à moi-même… Eilís m’avait mis en garde, car je me suis pris au jeu de me lever en même temps qu’elle, au milieu de la nuit. Mais malheureusement, je suis bien inutile dans une boulangerie. Alors, je me promène dans les rues désertes de Killarney jusqu’au lever du jour, où je m’en vais retrouver ma belle à la boutique. Elle m’a déjà dit plusieurs fois « attention à toi Paddy, All Hallows’ Eve approche et la frontière entre notre monde et celui des morts s’affine… Toi qui y est sensible, tu ne devrais pas plaisanter avec ça, tu vas encore tomber sur un fantôme ! » Et Dieu même se demande pourquoi je ne l’ai pas écoutée ?

 

Il faut dire que j’apprécie beaucoup marcher. Je profite d’un moment en solitaire ou parfois avec Richard, le brave Irish Wolfhound, quand il est réveillé avec moi. Rester sur place, dans une ville ou derrière un comptoir, ce n’est plus mon mode de vie. Et Killarney de nuit, dépourvue de lumière autre que celle de la lune éclairant les rues, possède un charme insoupçonné. Le calme m’apaise. Et il m’arrive de retourner jusqu’au lac observer Innisfallen. J’ai eu une ou deux fois l’impression d’apercevoir un feu sur l’île, peut-être l’activité des druides qui y vivent cachés. Je repense a ce qu’avait pu me dire Lir, j’essaie de me souvenir comment j’ai pu retrouver la berge, en vain. Je laisse l’idée de rejoindre l’école druidique effleurer mon esprit, mais jamais mon cœur n’a pu s’y résoudre. Rester enfermé sur un bout de caillou au milieu d’un lac pour quoi, 5 ans, 12 ans ? Impossible. Si je dois rester immobile sur une surface aussi petite, ce sera uniquement pour rester dans la maison d’Eilis…

 

Mais j’aurais du me douter qu’aujourd’hui ne serait pas un bon jour pour une ballade nocturne, encore moins sans Richard qui, en traitre, a refusé de me suivre. Depuis le temps, j’aurais du le prévoir ! J’aurais du souhaiter bon courage a ma belle et rester bien au chaud sous le duvet. Je n’aurais même pas du quitter le seuil de la maison. Bien qu’à y réfléchir, je me dis que les Voisins aiment tellement me bousculer qu’un chat-garou aurait trouvé le moyen de venir me retrouver chez moi, même si j’étais resté cloitré dans un placard à balais. La frontière s’affine, qu’elle disait…

 

Toujours est-il que cette nuit, plusieurs heures avant le lever du jour, j’étais dans les rues de Killarney, à espionner les renards inquiets et les chats errants. Quand, à l’orée des bois, une étrange lumière m’attira l’œil. Ce n’était pas la lueur tamisée du feu des druides d’Innisfallen, non… ça ressemblait davantage a un gros vers luisant, ou bien un feu follet. Comme si quelqu’un, loin devant moi, marchait avec une lanterne accrochée à un vil, brinquebalant à chacun de ses pas. La peur évidemment s’est immédiatement pris de mon corps, mais comment mon cœur peut-il encore être autant attiré par ce genre de mystère ? Après m’être figé quelques secondes, fixant la lueur pour être bien sûr de ce que je voyais, mes pieds ont marché droit vers la lumière alors que toutes mes pensées étaient en train de maudire pour ma stupidité suicidaire.

 

Je ne saurai combien de temps je l’ai suivie. J’eus plus d’une fois l’impression de m’en rapprocher, puis de m’en éloigner… Après plusieurs minutes, j’ai courru dans les bois, espérant pouvoir rattraper celui a qui appartenait la lanterne. Mais bien que la lumière grossissait, son propriétaire, lui, demeurait invisible. Je le savais, j’aurais du le deviner, pourquoi n’y avais-je pas pensé à ce moment-là ? C’était évident que c’était un fantôme, nom de Dieu ! Mais je ne sais pas pourquoi, dans mon esprit à ce moment là, la seule question qui me taraudait, c’était « lequel ? »

 

Puis la lueur s’est figée, tremblante dans les airs. Je commençais a haleter de ma poursuite, j’ai saisi ma chance. Je me suis rapproché au plus près possible, et je me suis caché dans un buisson. La personne qui tenait la lanterne m’était toujours invisible mais je pouvais discerner sa sillouhette, et sa main décharnée qui tenait la baguette a laquelle la lampe était accrochée. Drôle de lampe, d’ailleurs, j’ai pensé, avant de réaliser que c’était un gros navet vidé et dans lequel avait été taillé un visage et posé des braises à l’intérieur. Alors la question de « quel est ce fantôme » ne se posait plus, c’est très probablement l’âme en peine la plus connue de toute l’Irlande. Mais j’étais trop proche pour m’éloigner et quelqu’un venait de sortir des fourrés pour s’adresser à l’esprit.

 

« Mon vieux Jack, tu es bien en avance ! Mais quel que soit le jour, tu sais bien que je ne te ferais jamais rentrer. Je suis sous serment, tu n’as pas oublié ? »

 

L’esprit fit une réponse que je ne pus entendre, très probablement parce que la panique totale venait de se prendre de mon corps. Ce fantôme, c’était celui de Stingy Jack, un vieil ivrogne qui avait tenté de rouler le diable et qui à sa mort se vit refuser l’enfer et le paradis. Et l’homme d’âge mur, au beau costume et à la moustache bien taillée… Pour s’adresser à lui d’une telle manière, aucun doute, c’était le Diable, le seul et l’unique. Dans la panique, un souvenir fugace m’est revenu, celui de mon père qui m’avait pris sur les genoux et qui m’avait expliqué une légende, comme quoi si le paradis nous est innaccessible, l’enfer lui est atteignable a pied, car il y existe une entrée dans toutes les forêts d’Irlande. Jack aux lanternes était posté en face d’une grotte, d’où venait de sortir le bel homme et à y réfléchir, il y avait bien une chaleur inhabituelle ainsi qu’une odeur de souffre qui semblait en sortir.

 

J’ai pas pu rester là une seconde de plus, j’ai pris mes jambes à mon cou et j’ai couru jusqu’à la maison d’Eilis. J’ai pris toutes les croix, l’argent, le sel, et j’ai prié… Quand ma belle est rentrée, elle a très vite compris qu’il s’était passé quelque chose de grave. Je lui ait tout raconté et après m’avoir rejoint dans la prière, elle m’a déclaré :

« Tu sais, si le diable avait vraiment voulu de toi, ce n’est pas trois pauvres buissons qui t’auraient caché de lui. Quand il veut faire de toi sa proie, je pense qu’il est capable de courir bien plus vite que toi. Tu n’as pas entendu ses sabots après toi ? »

J’ai secoué la tête. Elle eut un soupir soulagé.

 

« Alors tu n’a rien à craindre ! Tu sais, il n’y a qu’une seule raison pour laquelle le diable pourrait t’emporter. Tu sais quel est le seul point commun entre toi et Stingy Jack ?

--  Non ?

-- Vous êtes tous les deux des gros ivrognes. »

D’un geste de la main j’ai repoussé la sienne en simulant l’agacement. Elle eut un sourire moqueur et me tendit mon whistle.

« Il n’y a rien de mieux que la musique pour calmer les esprits. Ca marche même pour les fantômes ! »

 

Mais elle m’a quand même promis qu’elle n’ouvrirait pas la boulangerie le samedi 31 Octobre. Nous irons ensemble sur la grande place de Killarney au soir, avec chacun une lanterne comme celle de Stingy Jack, et on verra bien ce qui s’y passera…

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