Le jour, c’est Sarah. Elle a dix-neuf ans, et veut juste être heureuse, mais elle n’a pas un sou. Sarah, tout le monde la connaît dans le quartier, mais pas sous ce nom. Sarah se fiche de tout sauf de ce qui compte. Elle n’a pas confiance en elle, mais fait comme si; il suffit de sourire, les gens n’y voit que du feu. Sarah n’a pas peur devant les films d’horreur, mais verse toutes les larmes de son corps lorsqu’un pauvre petit toutou sans défense meurt dans un long-métrage, car contrairement à certains personnages ignobles qui se font tuer dans ces scénarios, ils n’ont rien demandé. Sarah est allergique à la menthe poivrée, ça lui fait gonfler le visage - ce n’est plus une tête, c’est une monstrueuse boule de pâte posée sur son cou- ça l’a fait rire quand elle y pense. Elle est trypophobe, cela veut dire qu’elle a peur quand elle voit un alignement de trous serrés les uns aux autres, à cause d’un nid de guêpe qui lui est tombé sur la tête le jour de ses cinq ans.
Sarah le jour, elle regarde la télévision, n’arrive pas à suivre les séries, écouté de la musique, Johnny Hallyday, Daniel Balavoine, Barbara, des trucs vieux mais intemporels. Elle ne va jamais chez le coiffeur, parce que le seul qui est dans le coin fume comme un pompier, l’odeur du tabac imprégné dans son salon lui donne la nausée. Donc elle se coupe les cheveux toute seule avec des ciseaux d’école, et met les mèches coupées au rebord de sa fenêtre pour les oiseau; ils aiment bien ça, c’est un matériau formidable pour la construction d’un nid. Sarah coupe ses cheveux toujours très courts. Avant, elle les avait très longs, ils descendaient en cascade jusqu’aux bas de ses fesses, sa mère lui faisait des coiffures, et c’est la raison de ces nouvelles coupes courtes: tuer la matriarche.
Sarah le jour, elle aime lire, les livres parlant de sciences fictions et les biographies sont ses préférés. Elle aime dormir, parce que ce n’est que comme ça qu’elle se libère: quand elle dort elle ne rêve pas, elle s’échappe. Elle aime le rugby, la couleur verte parce que c’est celle de l’espoir -elle en a bien besoin-, se vernit les ongles, même si elle le faitavec un rouge qu’elle déteste, adore plonger sa main dans un sac de grains, et plus que tout, elle aime Simon, son fils.
Simon c’est son oxygène, sa raison de vivre, la chair de sa chair, son enfant c’est sa vie, et peu importe les sacrifices. Sarah n’a pas un rond, mais elle esta capable de se priver de nourriture pendant trois jours pour pouvoir lui faire un cadeau à Noël. Les gens disent qu’il a son sourire, Sarah sait que c’est vrai, et ça lui fait plaisir.
Sarah galère, pleure sous la douche pour relâcher la pression, mais fait bonne figure devant Simon et tient le coup pour lui. Ses problèmes, Sarah les appelle Clara, son harceuleuse du collège s’appelait comme ça. Donc, quand elle marche dans une flaque d’eau alors qu’elle est en chaussettes, c’est un 'Clara', pareil pour les moustiques qui la réveillent dans la nuit en été, le bruit infernal que fait la chaudière quand elle se fait couler un bain, la mayonnaise et les chauffeurs de taxi qui ne regardent pas la route.
Sarah hait le Coca Cola, son dernier verre date de ses quinze ans, à une fête; le futur père de Simon y a mis un supplément LSD sans lui dire. Le lendemain, elle s’est réveillée nue, en larmes, honteuse sans savoir pourquoi, et enceinte. Alors voilà, le père de Simon, elle l’appelle Clara. Sarah, ses parents aussi sont des Claras, elle a coupé les ponts avec eux à quinze ans et demi , le jour où ils ont découvert un test de grossesse au fond de la poubelle de la salle de bain, l’ont traité de menteuse pour son viol, et ne l’ont pas soutenu pour porter plainte, comme si une histoire pareille pouvait s’inventer.
Le soir, c’est Clara.
Elle n’aime pas son travail. C’est pour ça que quand elle le fait, les gens pense t qu’elle se nomme Clara.
Clara met des jupes sans collants, du mascara, et à l’intérieur d’elle, Sarah tremble, parce qu’elle a toujours eu peur de faire un faux mouvement et de se crever un œil. Elle met du rouge sur ses lèvres, assortis à son vernis qu’elle déteste mais que ses clients aiment. Son métier, le plus vieux de tous, la rend vide. Clara serre les dents, attend que ça se finisse, fait semblant, prend l’argent puis s’en va. La première fois, l’homme avait trois fois son âge, aurait pu être son père. Clara avait souillé l’argent qu’il lui avait donné de ses larmes, et c’est la seule et unique fois qu’elle a laissé Sarah paraître dans son métier.
A chaque fois, Sarah se dit que c’est temporaire, chaque jour, depuis cinq ans, même si elle sait que c’est un mensonge. Mais Sarah doute, pleure sous la douche, galère, mais fait bonne figure devant Simon. Tout ça a déjà été dit, mais sera répété. Il sera répété à ses parents, qui cossione en gardant le silence, à ceux qui la traitent de p*** le soir dans la rue.
On le dit, on le redira, on l’expliquera à son fils, quand il sera assez grand pour comprendre que peu importe si c’est Sarah le jour où Clara l'a nuit, pour lui, ce sera toujours maman.
J’ai été attirée par le résumé, court et intrigant, avec ce "Bonjour, bonsoir" qui laissait présager quelque chose de particulier. Je m’attendais à une histoire autour d’une double personnalité… et pourtant, ce n’est pas du tout ce que j’ai trouvé.
Le texte est poignant, réaliste. On comprend la détresse de Sarah, et on ne peut qu’espérer qu’elle s’en sorte un jour, qu’elle se libère de cette vie de souffrance quotidienne.
La plume est simple, percutante et sincère. Ce style direct, presque brut, donne vraiment l’impression d’une confession à cœur ouvert.
Merci pour ce partage qui nous montre, une fois de plus, que l’amour — ici l’amour maternel entre Simon et Sarah — est plus fort que tout.
Chapeau bas pour votre finesse d'écriture !
Hâte de vous lire d'avantage.
SVO
Et ben... Je ne m'attendais pas à ce genre de Clara... Je m'attendais plus à une Clara qui se libère de ses chaînes de Sarah la nuit pour s'évader, se libérer, profiter tout simplement. Mais au final elle redouble ses chaînes et y ajoute des boulets...
L'histoire à l'air forte émotionnellement, ta plume amènes une douceur contrastante au récit.
L'abnégation de la mère est juste magnifique dans ce décor hideux.
Vraiment bravo pour ce premier chapitre.
Bonne continuation et à très vite, très très vite...