derrière la porte, il ne bouge pas. Il regarde, attentif, maman, pourquoi le soir tu te déguises ?
Simon a quatre ans ET DEMI (!) comme il tient à le préciser. Il aime jouer pendant les récréations, le chocolat, par dessus tout, il aime sa mère. Ceci dit, il y a quelque chose qui l'intrigue, il lui en a d'ailleurs parlé, un jour au petit déjeuné, la bouche auréolé de lait:
"Maman, c'est bizarre."
La destinataire de son intrigue buvait son café -odeur forte dans la cuisine, pique le nez-, Simon savait qu'il n'avait pas le droit d'en boire; une trompe d'éléphant risquerait de pousser à la place de son nez: "Qu'est-ce qui est bizarre ?"
Il fixait ses lèvres -coeur framboise ta bouche- pensait que tu sais que ta bouche, on dirait un coussin rose.
"Les mamans de mes copains, elles s'appellent comme toi !"
Sa mère avait souri, coupant un croissant deux, mettant un morceau dans sa bouche, sentant la suite venir: "Elles s'appellent toutes Sarah ?"
Simon avait froncé les sourcils: Mais de quoi parlait-elle ?
"Mais non ! Elles s'appellent toutes maman !"
La sienne faillit s'étouffer de rire avec son croissant: "Mon ange, ce n'est pas mon prénom !"
Simon eut alors un éclair de génie en regardant les vienoiseries sur la table, pensant que la boulangère connaissait le prénom de sa mère et pas lui: "Tu t'appelles MADAME ?!"
Elle avait alors redoublé de rire.
Les adultes sont vraiment trop bizarres.
Simon aime l'école, mais être chez lui c'est mieux. Comme ça, il peut rester avec maman. Le soir, quand il a peur, elle vient le réconforter. Enfin... Quand elle ne part pas au travail. Simon dort, pense que la nuit avale sa maman, puis la recrache le matin et la laisse rentrer. Quand elle arrive, alors que le soleil se lève, elle rentre doucement dans la chambre de Simon pour l'embrasser sur le front. Dans ces moments là, il fait semblant de dormir, pour ne pas qu'elle s'en veuille de l'avoir réveillé.
Sa maman, Avec ses pyjamas roses et bleus, ressemble à la Belle au bois dormant quand elle dort. Elle y ressemble même si elle râle lorsqu'il vient la réveiller le dimanche parce qu'APPAREMENT six heures du matin, c'est trop tôt.
Ses amis ont pourtant tous quelque chose qu'il n'a pas: un papa. Au fond, il ne sait pas s'il en a déjà eu un, peut-être que non. Les autres en ont un, voire deux (Jade a deux papas et pas de maman), mais lui n'en à pas.
Ce matin, il a essayé: "Maman, j'ai un papa ?"
Sourire s'efface.
Sa voix tremble -tu as froid maman ?-: "Ce n'est pas quelqu'un de bien."
"Il s'appelle comment ?"
"Pour moi, Clara."
"C'est pas un prénom de fille ?"
Sa mère ne répond pas, Simon n'aime pas qu'elle soit triste: "C'est un monstre alors, ce papa ?"
Elle le regarde, sourit, comme s'il avait enfin su mettre un mot sur la chose qu'était son père.
"Si c'est un monstre, alors ça doit être lui qui se cache sous les lits des enfants le soir !"
Elle soupire, le prend dans ses bras: "Un jour, tu comprendras que les vrais monstres ne se cachent pas sous les lits."
"C'est pas grave que j'ai pas de papa, comme ça tu m'aimes."
"Mais même si tu avais un papa, je t'aimerais mon ange."
Il réfléchit: "Tu es sûre ? L'amour, c'est dans le cœur, mais c'est qu'un bout de viande tout petit et tout moche."
Sa mère rit, alors il fait de même, elle le couvre de baisers: "Oh, mais moi mon bout de viande tout moche il est énorme tellement je t'aime mon ange !"
Simon fronce les sourcils: "Maman, t'as la bouche colante ! Et puis en plus, mon cœur, il va exploser ! Mon amour pour toi, il est trop grand, ça risque pas de faire boum ?"
Et elle continu à le serrer contre elle en riant.
Les.adultes sont vraiment trop bizarres.
Il est là, derrière cette porte, ça fait un temps qu'il la regarde se maquiller. Les yeux noirs de sa mère brille de larmes.
Maman, pourquoi tu pleures ? Ça brille fort dans tes yeux, et le rouge à lèvre sur ta bouche, t'en met jamais, mais là tes lèvres, c'est plus un coussin rose, c'est un rose rouge, et tes épines, elles sont à l'intérieur, ça doit te piquer dur en dessous. Ou alors elles sont sur ton bout de viande tout moche, et c'est pour ça que toi ton cœur, il va pas exploser, parce que ça protège ? Maman le soir, tu met du noir, pourquoi tu te déguises ? Là c'est pas toi, le soir, la nuit, comment elle t'avale, en fait c'est pas toi, c'est une autre. En fait, quand tu pleures, tes larmes, on dirait des étoiles. Si tu veux, on partira dans l'espace ! Tu te rappelles à la blibinothaque ou je sais pas comment ça se prononce, la fusée rouge et blanche sur une BD, je sais plus laquelle c'était, mais vient, on va dans cette fusée, on décolle, on frôle la lune, et puis les étoiles, ce sera tellement beau que t'auras plus envi de les fabriquer dans tes yeux noirs. Maman, sois pas triste. Maman, je t'aime tu sais.
Tout ça il veut lui dire, mais elle va partir travailler, et Simon a peur qu'elle le gronde si elle le voit encore de bout à cette heure-ci. Alors il refile dans sa chambre, ferme les yeux, attend.
Maman.
Avoir un cœur qui pompe des larmes à la place du sang, ce n'est pas un présent facile à porter. Peut être l'avons nous choisi, avant de naître; mais à quel dessein ?
Quand dessinons nous notre destin ? Pour combien de temps encore, avant qu'on le gomme, à la faveur de quelqu'un d'autre ?
Ma phrase préféré : "Un jour, tu comprendras que les vrais monstres ne se cachent pas sous les lits."