Pourquoi les saules pleurent ?
Je ne sais pas. Non, vraiment : je n’en sais rien du tout. Pas la moindre idée. Je n’ai encore jamais réussi à parler avec un saule, malgré toutes mes tentatives. Je n’ai pas encore atteint ce degré de conscience, de maturité de l’âme. Peut-être que…
Non, c’est absurde. Mais quoi de plus absurde qu’un arbre qui pleure ? Alors, peut-être…
Peut-être que les saules ne pleurent pas, en fin de compte. Peut-être qu’on a envie de croire qu’ils pleurent, pour nous refléter dans leur prétendue tristesse, dans un élan pathétique d’empathie qui ne se révèle être qu’un méprisable auto-apitoiement. Peut-être qu’on se raconte que les saules pleurent pour excuser les amis qu’on a fait pleurer. Pour excuser celles et ceux qui nous ont fait pleurer. Peut-être bien.
Mais peut-être aussi que les saules pleurent pour de bon, accablés d’une infinie tristesse qu’ils ne peuvent que transmettre de génération en génération. Peut-être est-ce supplice même, ce fardeau héréditaire, qui les fait pleurer ainsi. Car quel genre de parent voudrait voir son enfant pleurer ? Peut-être est-ce moi qui projette ma propre misanthropie sur ces nobles végétaux, souffrant en silence, et en lesquels je m’efforce de voir le miroir de notre espèce difforme. Dégénérée. Peut-être suis-je le difforme, le dégénéré, incapable de reconnaître la beauté et la tristesse quand elles me crèvent les yeux.
Peut-être encore les saules mènent-ils un double jeu ; comme des enfants feraient craquer leurs parents avec des yeux doux, peut-être que les saules fomentent le plus grand complot de l’histoire de la flore sous leurs apparences tristounettes, peut-être se penchent-ils sur nos rivières, sur nos lacs, pour les empoisonner, pour les assécher, n’attendant qu’un signal pour mettre à mort notre espèce, attendant d’avoir envahi la totalité de nos habitats. A quelle fin ? De vengeance, peut-être. N’entendez-vous pas leurs cousins hurler de douleur et de terreur, découpés et carbonisés, broyés et déchiquetés, réduits en pâte, en charbon, en cendres ?
Peut-être sont-ils simplement coquets, ou timides. Qu’ils se voilent comme des mariés avant la grande cérémonie pour ne se révéler qu’au moment opportun. Les arbres peuvent-ils rougir ?
Peut-être que les saules pleurent leur grandeur passée, le confort de leurs forêts, l’émerveillement et la jalousie qu’ils suscitaient dans les prunelles et dans les racines. Peut-être qu’ils pleurent car ils meurent à petit feu, parqués dans des enclos, cernés de goudron et de barrières pour les protéger de gamins un peu trop turbulents. Salix babylonica. Aussitôt lu, aussitôt oublié. Au moins y’a-t-il de l’animation en journée ; le soir venu, quand les grilles du parc se referment, peut-être les saules se recroquevillent-ils un peu plus, pour camoufler leurs pleurs aux voisins.
Peut-être les saules pleurent-ils d’être saules au monde.
j'aime beaucoup cette idée d'écrire en s'inspirant des questions des lecteurs, de son entourage...
Tes textes sont drôles, intelligents, fluides, intéressants et agréables à lire.
Dans ce chapitre-là, le jeu de mot de la fin est bien trouvé et conclut de manière inattendue la réflexion.
Bon courage pour la suite !