Exaspérée, Marie-Fleur raccroche le combiné. En proie depuis trois jours à un tumulte d’émotions, elle se donne un instant le luxe de se poser et d’analyser la situation. Rien dans toute cette histoire ne l’avantage, songe-t-elle. Surtout, elle ne sait pas pourquoi cette stupide histoire de vol qualifié a tellement le don de l’enquiquiner. Ce n’est pourtant rien qu’elle n’ait déjà vu : un client bavard, une Couronne décidée à le laisser sous garde préventive, une preuve un peu trop lacunaire pour laquelle elle va devoir demander complément sur complément… Elle ne comprend pas, c’est comme si chacun s’était arc-bouté sur sa position et refuse tout compromis en se drapant dans les grands principes de la loi, de la liberté, de la sécurité et de la compassion envers la victime. Pourtant, le crime est commun, il n’y a pas eu de sang versé et le prévenu est plus que quelconque.
La Couronne le veut détenu. Elle y tient mordicus, comme s’il s’agissait d’un tueur de grand chemin. Elle invoque son casier judiciaire assez étoffé, l’utilisation d’une arme à feu qu’on n’a pas retrouvée - même après avoir mené une perquisition chez Michel Delormes – et l’administration de la justice. Selon l’avocate, ce n’est pas suffisant pour justifier l’incarcération de l’individu.
Lorsque Michel avait comparu, le lendemain de son arrestation, Marie-Fleur s’était présentée en personne au palais de justice. Son client était apparu en vidéoconférence depuis le poste de police, le visage défait. Comme de coutume, la Couronne avait transféré la preuve à la défense, mais s’était puissamment objectée à sa remise en liberté. Marie-Fleur avait eu beau argumenter, la Couronne, représentée par Me Cassandre Lavoie, une jeune avocate flegmatique, avait refusé de céder.
Dépitée, Marie-Fleur s’était ensuite ressaisie. Elle avait parlé à son client – et l’avait vertement tancé d’avoir cédé au chantage policier – pour ensuite préparer un plan de sortie bien ficelé qui avait selon elle toutes les chances de séduire l’adversaire. Ce plan de sortie, c’était toutes les conditions de mises en liberté auxquelles Michel était prêt à se soumettre pour prendre la clef des champs. Mais, que nenni, nouveau refus essuyé de la part de Me Lavoie.
Et donc, aujourd’hui, les deux avocates se croisent dans les vestiaires du palais. Elles mettent soigneusement leur toge et s’épient du coin de l’œil. Cassandre ajuste son rabat d’une façon presque militaire. Ses cheveux châtains sont serrés en un chignon sévère. Elle semble l’incarnation même de la Loi avec un grand L, et tout sur sa personne est ajusté au millimètre carré. À côté d’elle, Marie-Fleur a une allure plus vagabonde. Ses gestes possèdent une sorte de liberté qu’aucun code de loi n’a réussi à encarcaner. Ses émotions hautes en couleur s’affichent clairement sur ses traits expressifs et plus d’une fois elle a dû se mordre les doigts après s’être laissée emportée par une envolée passionnée. Parfois aussi, son ton convaincu en a entraîné plus d’un exactement là où elle le voulait. Il lui reste encore à apprendre un sens de la mesure que seule l’expérience peut lui permettre d’acquérir.
Et donc, pendant que Cassandre ajuste ses cheveux devant le miroir fixé dans son casier, Marie-Fleur s’efforce de mettre de l’ordre dans sa toge noire, sans pourtant parfaitement y parvenir. Après quelques secondes d’acharnement, elle hausse les épaules puis se tourne vers sa consoeur.
- Vraiment, je ne comprends pas ton obstination à vouloir le laisser en-dedans. On dirait presque que tu en fais une affaire personnelle.
- Tu n’as pas vu son casier judiciaire, lui répond sobrement Cassandre.
- Bien sûr que si, mais…
- Alors, tu as vu qu’il a des antécédents violents. Deux voies de faits et maintenant vol à main armée, ton moineau n’est pas un enfant de chœur.
- Peut-être, mais il n’a tué personne non plus ! Les voies de fait, c’était une bagarre d’ivrognes qui a mal tournée et l’agression à main armée c’était contre son meilleur ami qui avait couché avec son ex, alors tu sais…
- Et puis quoi ? Il l’a quand même assailli par surprise sans qu’il s’en doute ! J’en ai marre de ces gars qui ont des problèmes de gestion de la colère. Je les vois à la douzaine défiler par ici, ça n’arrête jamais ! Ils sont pathétiques, le regard chassieux, l’air torve, ils sont communs à ne pas savoir les distinguer les uns des autres et ils ont tous le même profil. En plus, ils sont exactement le genre à battre une femme. Tu sais bien qu’on a eu une hausse des féminicides depuis le début de l’année, c’est une chose à prendre au sérieux ! Alors ton ahuri-là a exactement le profil pour s’en prendre à une victime sans défense.
- Tu ne trouves pas que tu extrapoles ? Il n’a jamais battu une femme ! Et puis, peu importe ce que tu en penses, tu sais bien que tu ne dois pas laisser des préjugés guider tes agissements à la Cour ! En plus, la preuve à ton dossier est vraiment mince selon moi ! Je ne vois pas comment tu pourrais convaincre un juge au-delà du doute raisonnable.
- On a deux témoins qui l’ont formellement identifié. Puis, il y a son interrogatoire, le mobile, puisqu’on sait qu’il est sérieusement endetté, et en plus…
- Et alors ? la coupe Marie-Fleur. Tout ça sonne vraiment circonstanciel, même tes témoins que j’ai bien hâte d’interroger ! Je ne comprends pas pourquoi tu refuses mon plan de sortie, Michel a un travail, il peut respecter un couvre-feu et fournir une caution
- Il est violent ton Michel. Il a brandi un fusil dans la figure d’un homme désarmé. Pour moi, juste ça, ça justifie qu’il reste bien au frais.
Cassandre sort de pièce, ses talons cliquetant dans le couloir. Marie-Fleur la suit, de plus en plus convaincue que quelque chose dans la vie personnelle de son adversaire la mène à avoir une approche dure envers Michel. Selon elle, ce dernier n’est pas du tout le genre d’individu dont on fait un exemple. Il fait partie de la race interchangeable des petits délinquants qui peuplent les postes de police, la vie à la dérive et la colère qui leur serre les dents. Et elle ne cesse de penser que la preuve au dossier n’est vraiment pas remarquable. Ou peut-être que je ne saisis pas quelque chose, s’inquiète-t-elle en pénétrant dans la salle 307 où le juge doit venir les entendre débattre lors de l’enquête sur la remise en liberté. Quelque chose d’essentiel qui pourrait tout remettre en question. Inquiète, elle regarde Cassandre qui attend patiemment, l’air digne, que le juge entre. Ses mains se crispent.
Petit commentaire comme ça : il me semble qu’on pourrait mettre l’enjeu un peu plus difficile. Un faux revolver : c’est trop facile. Pourquoi pas un vrai, chargé à blanc (ou pas). Ça n’enlève rien à l’histoire mais l’innocence de Michel sera plus difficile à gagner. Ça va barder sur le prétoire. J’ai hâte. Je sais, je me répète…
Un chapitre intéressant où l’on découvre Cassandre, représentante de la Couronne (l’équivalent de notre procureur ?). Cassandre qui semble prendre cette affaire bien trop à cœur. Cassandre aurait -elle un passif ? Une revanche à prendre ou un compte à régler avec les hommes violents ? De multiples pistes vers lesquelles se dirige ton récit. Le juge ne semble pas désireux de tempérer… autre attitude intrigante. Il a bien comparu devant un juge ?
J’ai l’impression que Marie -Fleur va devoir mener sa propre enquête…
Encarcaner, j’aime. Typiquement canadien ?
Pour le reste, je fais confiance au radar imparable d’Ella.
À bientôt au plaisir de te lire
j'apprends pas mal de choses moi qui n'y connait presque rien en droit lol
Encore une fois, j'ai lu d'une traite. Tu sais nous emmener avec toi! Cette Marie-Fleur m'est bien sympathique et attachante. Autant Cassandre semble exagérer dans un sens, autant Marie-Fleur me semble exagérer dans l'autre.
Que se passe-t-il vraiment?
remarque:
-"Cassandre sort de pièce", de la pièce?
Bien à toi!
Pour être honnête, j'ai une idée générale d'où l'histoire va, mais pas dans tous les détails, je laisse les personnages parler au fur et à mesure et la suite se dessine ainsi. Est-ce comme cela que tu écris? Ou tu as un plan très précis que tu respectes? Mais merci encore pour tes commentaires :)
Le reste, ce sont les personnages qui décident... D'où certains rebondissements auxquels je ne m'attendais pas...
Au plaisir