-Merci, Ryak pour ton exposé !
Le salke Ryak fixe Narwen de ses yeux brillants d’intelligence, en attente d’une réponse plus prolixe. Trapu, quatre petites cornes ornent un front large et haut. Sa peau, marron clair par endroit, foncé en d’autres, est parsemée de taches d’un vert tendre. Il se balance lentement de droite à gauche solidement campé sur ses quatre pattes. Par moment, sa queue épaisse, terminée par une vertèbre en forme d’enclume, bat l’air.
-Merci Ryak ! répète Narwen pensivement. Tout comme toi, je suis désolé que les cultures hydroponiques soient en retard sur le planning, mais nous ne pouvons pas faire grand-chose de plus pour l’instant.
Je suis bien conscient que le manque de main-d’œuvre vous fait perdre un temps précieux. Mais, je ne puis accéder à ta requête, du moins, pas avant quelques jours. Les seules personnes que nous sortons de stase, pour le moment, sont affectées aux travaux indispensables à la réouverture et au bon fonctionnement de la base et des espaces de vie. Pour l’heure, tout fonctionne à flux tendu. Un petit retard, un manque, une pièce qui fait défaut et tout le travail qui reste à effectuer, en pâti gravement. N’oublie pas, mon cher Ryak, que nous sommes actuellement comme les passagers d’un navire qui fait route vers l’inconnu, sur une mer inexplorée, sans aucun moyen de secours et nous ne pouvons prévenir qui que ce soit !
Il y a une très forte probabilité, et ce n’est pas à toi que je vais l’apprendre, que les étoiles qui devraient guider nos instruments soit ont fortement dérivé, soit nous sont inconnues ou ont disparu.
- C’est évident ! Mais, j’ai le sentiment qu’il est urgent de penser aux nourritures exerystres. Crois-moi, nous allons, assez vite, en avoir marre des rations de survie. Elles sont incolores, inodores et sans saveur… Sans saveur, sauf celles contenant des compléments alimentaires de synthèse qui, elles, malheureusement, en ont une ! Rien que d’y penser, j’en ai des hauts le cœur… surtout quand je me remémore la bonne odeur du foin séché, celle de l’herbe fraichement broutée à la rosée du matin, toute encore parfumée des multiples fragrances des bois et des prairies exhalées par une fine pluie nocturne.
- Moi aussi, Ryak, moi aussi ! Bien que les senteurs que tu évoques avec tant de poésie me laissent assez froid, en ce qui concerne mes plats favoris. ; tu connais mon régime alimentaire ! Mais, je reconnais pourtant que toutes ces odeurs de la nature s'éveillant me manquent aussi…
Vous, les Salkes, aurez au moins peut-être la chance que, dans les autres abris, les cultures hydroponiques fonctionnent correctement et donc, qu’ils puissent nous dépanner.
Pour nous les Reken, de même que pour les Exten et notre Ristan, il va falloir attendre que les cheptels se reproduisent de manières satisfaisantes, pour pouvoir puiser dedans. Et là, nous devons compter en mois, si ce n’est en années. Pour le moment, Reken, Resten et notre Ristan devront se contenter de viandes en boites, ou alors des pièces de viande reconstituées qui n’ont plus aucun goût ! la grimace de Narwen, en prononçant ces derniers mots, se passe d’autres commentaires.
Les Restens ont, au moins, la chance de pouvoir agrémenter leur repas de fruits et de légumes réhydratés, pour varier les plaisirs. Pour nous qui sommes quasiment uniquement carnivores, pour déguster de la viande fraiche, il nous faudra attendre que les kals soient arrivées à maturité pour la reproduction. Heureusement, ils se reproduisent très vite… !
Mes espoirs, l’espoir pour nous tous réside dans le rapport que vont nous faire les cinq personnes qui viennent de sortir à l’air libre, ainsi que dans celui de pouvoir communiquer avec les autres bases.
- Je te remercie de ta franchise, Narwen ! Tes paroles et ton esprit sont en accord… Même, si en ton esprit, je perçois toujours, en arrière-plan, ce léger sentiment de défiance et de gêne que toutes les autres races de notre Peuple ont à notre égard. Tu me tiens au courant de la suite, merci !
Le Salke sort.
Narwen s’adosse alors à un mur, silencieusement, mais le cerveau en ébullition. Il remplit lentement ses sacs aériens avant d’expirer tout aussi lentement, renouvelant par deux fois l’exercice. Se dirigeant alors vers son bureau, il avale d’un trait un large verre d’eau.
Un sentiment de défiance et de gêne ! pense-t-il, comment ne pas avoir un sentiment de gêne et de défiance quand on s’entretient avec un Salke ! J’ai horreur de converser avec les Salkes ! Ils ont le don de mettre votre esprit à nu. Ce sont de fins stratèges, de fins analystes, des mathématiciens hors pair, mais ils sont dotés de ce sacré pouvoir ! Avant même d’avoir le temps de leur dire bonjour, ils savent déjà dans quel état d’esprit vous êtes. Quand vous leur parlez, ils savent déjà ce que vous allez dire, avant même d’avoir ouvert la bouche. Ce n’est ni par tricherie ni par hasard qu’ils sont champions de gruttsed et ceci depuis bon nombre d’années. Non ! ils sont champions, parce que ce sont des Salkes ! … Et pourtant, on peut leur faire confiance… ils ne trahissent jamais leur parole…et c’est grâce à leurs dons, que nous sommes ici, aujourd’hui et en paix.
« - Narwen ?
- Oui IRAL.
- Le rapport du géologue est prêt.
- Tu me le passes. (Heu…) le géologue, pas le rapport… Au fait, quel est son nom ?
- Zedylam.
- Merci IRAL ! Dès que l’équipe est rentrée, tu me les envoies, saluant alors son interlocuteur, Bonjour Zedylam ! Alors ?
-Bonjour Tseshen Narwen ! Pas grand-chose à dire !
Les structures générales n’ont guère changé depuis ma dernière analyse du terrain, ce qui confirme le rapport que j’ai effectué avant ma mise en stase.
Pourtant, j’ai relevé quelques légères modifications : de très légères variations des courbes de niveau, dues soit à des affaissements soit à des relèvements de terrains. J’ai noté également une légère augmentation générale du volume de sable.
À ce sujet, vous aviez raison, j’ai retrouvé des grains de sable provenant de cailloux et de graviers qui ont entamé leur transformation le jour de ma naissance ! finit-il, avec un sourire dans la voix.
- Je constate, avec plaisir, que Monsieur le géologue est également un pince-sans-rire !
- En bref, pratiquement rien n’a changé en presque un million d’années. Le terrain était stable, il est stable, et il restera stable dans l’avenir. Les seules infimes modifications viendront de l’érosion et du tassement naturel des diverses couches du substratum. La seule transformation géologique notable, et pas des moindres, est de notre fait : Construction de la base, camouflage de celle-ci, et surtout son violent dégagement dernièrement.
- Ce dernier point pose-t-il un problème géologique ?
- Absolument pas !
- Merci, Zedylam, tu peux disposer !
Dans les couloirs de la base, la lumière commence très lentement à baisser d’intensité, signe que la journée touche à sa fin. Narwen, machinalement, tourne les yeux vers l’horloge posée sur son bureau. Elle est le fruit des meilleures technologies de compteurs du temps d’un très lointain passé. L’objet était, et est toujours, une merveille de précision. Une pièce devenue extrêmement rare, puisqu’entièrement mécanique. Pourtant, Narwen fixe, incrédule, l’horloge sur son bureau, après avoir jeté un coup d’œil rapide sur l’écran du micro-ordinateur implanté à l’intérieur de son poignet gauche. Ils indiquent exactement la même heure.
- Impossible ! impossible !… il y a près d’un million d’années qu’elle, qu’elle est… IRAL !
-Oui Narwen !
- L’horloge du bureau ! elle fonctionne encore !
- Normal. Je sais que tu aimes cette chose sans pensée. J’ai donc régulièrement programmé un des robots d’entretien pour la, pour la…excuse-moi… je cherche le terme... !
- Remonter.
- Pour la remonter ? Elle n’a jamais été démontée !... Sauf à sa construction, quand elle était encore démontée. Elle n’est jamais tombée du bureau, aucun des nombreux robots qui se sont succédé au cours de votre stase, ne m’a indiqué l’avoir remonté sur ton bureau…
Narwen éclate de rire aux explications d’IRAL
Narwen, pourquoi cette soudaine hilarité ?
- Pour rien, IRAL ! je t’expliquerais plus tard quelques bizarreries de notre langue. Autre chose : ce sont les capteurs de luminosité à l’extérieur qui provoquent la diminution de clarté des couloirs ?
- Oui ! Passage au mode nuit : moins de passages d’êtres vivants dans les couloirs transversaux donc moins besoin d’un éclairage à son maximum. La phase suivante est le couplage des détecteurs de mouvements avec l’éclairage. C’est en substance la teneur de ta directive 352-66 T, ayant trait aux économies d’énergies.
- D’accord ! Dès que l’équipe extérieure est rentrée, passée à la décontamination et douchée, tu préviens les trois biologistes et le spécialiste en communication que je les attends dans mon bureau. Terminé.
Profitant de cet instant de répit, Narwen fait le point.
Pour l’instant, tout semble se dérouler comme prévu : aucune perte dans le Peuple ; aucune des races le composant ne semble avoir souffert de la stase. Les dégâts matériels, sous réserve de l’inventaire complet, sont dans les limites des pourcentages prévisionnels. Le parc des robots et des drones est sensiblement égal à celui mis en œuvre au départ. Les stocks des provisions de nourriture (si on peut appeler cela de la nourriture !) semblent actuellement suffisants pour tenir les six prochains mois. La production globale de l’énergie est satisfaisante. Enfin, au premier abord, il semblerait que la flotte n’ait pas trop souffert.
Restent les inconnues :
Quelles sont, aujourd’hui, les possibilités agricoles et d’élevages d’Exeris ? Ce n’était déjà pas terrible avant ! Comment la vie a-t-elle été remaniée après la catastrophe provoquée par les Zyloques ?
Comment la planète a-t-elle évolué géologiquement ? Il y a certainement dû y avoir un remaniement notable de sa surface, peut-être des glaciations. Les cartes d’Exeris vont devoir être remises à jour.
Sous quelles étoiles renaissons-nous ? Nos cartes stellaires doivent être également obsolètes donc à refaire aussi.
Trois coups secs frappés à la porte le sortent de ses pensées.
- Entrez !
Se retournant sur son siège il découvre ses deux visiteurs : Une charmante Reken et un Exten
- Bonjour vous deux ! Vous revoir, voilà ce qui me fait plaisir ! Je vais ne plus être le seul ici à avoir des soucis… Tsezen Exten Vifkla, Tsezen Reken Endoewy, bienvenus à bord.
Il y a longtemps que vous êtes réveillés ?
-À peu près une heure et quart. Une heure pour passer les tests et récupérer et à peu près un quart d’heure de compte rendu de la part d’IRAL.
- Parfait, je n’ai pas à vous refaire le topo ! Un de vous deux peut-il se rendre aux hangars de nos oiseaux, j’aimerais avoir une expertise de notre flotte et l’état des bâtiments ? Vifkla ?
- J’y vais !
- Je t’offre quelque chose, Endoewy ?
Le regard d’Endoew se porte sur un petit réceptacle posé sur le bureau.
- Je vois que tu te réserves quelques provisions
Narwen se lève, plonge sa main dans le récipient, saisit quelques boulettes de viande.
- Ouvre le bec en grand !
Une série de bips provenant du bureau se fait alors entendre.
- Non, mais ce n’est pas vrai ! on ne peut pas avoir trois minutes de tranquillité.
Le bleu pastel de la gorge d’Endoew vire au bleu roi et Narwen esquisse un léger sourire, en invitant l’importun à entrer.
Ce sont quatre importuns qui franchissent le seuil du bureau et que Narwen accueille cordialement.
- Voici donc mes trois biologistes et l’expert communication. Bonne promenade ?
- Il fait frais, la température relevée vers les 9 h était de seulement 37Syb ! Non seulement il fait frais, mais de plus notre testeur d’air indiquait une augmentation du taux de l’oxygène par rapport à l’avant.
- Pouvez-vous me rappeler vos noms s’il vous plait ?
- Je m’appelle Mokycs, je suis le spécialiste en biologie végétale ; à ma droite, Kaiguoom est spécialiste en biologie animale ; Vomzrachs, à ma gauche, est spécialisé dans les pathogènes.
- Moi, c’est Pheziower, spécialiste communication, continue le quatrième personnage, et je peux vous dire, Tseschen Narwen, que nos moyens de télécommunications sont tous opérationnels. J’ai pris l’initiative d’envoyer des appels vers les autres bases.
- Excellente initiative ! Au nom de toute la population d’Exerys, je vous remercie !
- En revanche, reprend Pheziower un peu tristement, je n’ai eu aucune réponse. J’ai juste obtenu le signal de retour, indiquant que la liaison était possible. J’ai bien dit possible, pas certaine. J’ai mis des opérateurs au travail. Ils vont émettre continuellement, jour et nuit, en attente d’une réponse positive ou mieux d’une communication réelle.
-Ce qui veut dire que pour le moment, nous sommes les seuls réveillés au monde. Il ne nous reste plus qu’à attendre et espérer.
Vomzrachs, tes conclusions après cette sortie hors de l’enceinte ?
- Bonnes, Tseschen, hormis l’écart de température entre avant et maintenant et dont il faudra se méfier… Il faudra également compter avec l’augmentation d’oxygène dans l’air. Nos organismes ne sont pas taillés pour affronter celle-ci ; du moins pour le moment ! Ceux qui travailleront à l’air libre devront apprendre à reconnaître les signes avant-coureurs d’une suroxygénation. Je propose qu’un membre de l’équipe médicale accompagne les premières personnes qui seront amenées à travailler hors de la base.
En ce qui concerne les agents pathogènes présents : pour l’eau je ne sais pas, elle est absente du voisinage. Pour l’air, certains ont totalement disparu, d’autres ont muté, mais ne sont pas dangereux. La seule inconnue vient du pollen des plantes. En effet, un nombre significatif de celles-ci nous est inconnu. Mais Mokycs vous en parlera mieux que moi. En conclusion, pour ma part, une sortie hors base est possible, en suivant mes recommandations.
- Mokycs ?
- Je vais être très bref. Nous sommes dans un environnement minéral qui, comme le dit Zedylam, n’a guère changé : des pierres et du sable. Dans son ensemble, la flore présente ici est quasi analogue. À part quelques modifications structurelles minimes dues à l’adaptation et à l’acclimatation, nous retrouvons des plantes analogues à celles d’avant, avec parfois quelques variantes. Mais vu leur rareté, il est inutile de compter sur les plantes sauvages pour nourrir l’ensemble de la population, quand elle sera réveillée. En ce qui concerne les pollens, on va rester, Vomzrachs et moi, en constante relation.
Devant l’inconnu, on va travailler de façon empirique : le premier ouvrier, ou cadre, qui éternue, pleure, se mouche, rote ou pète ; direction Vomzrachs pour prise d’antihistaminiques et une série de tests et d’analyses.
-Pour la faune, Kaiguoom ?
- Je vais être plus bref que Mokycs : rien ! Du moins, rien qui puisse nourrir une Exerys. Rien de plus qu’avant, et je pense, même moins, à cause du changement de climat.
Un silence pesant suit les derniers mots de Kaiguoom. Narwen ferme les yeux, tout en expirant, il pose d’un geste lent sa main sur sa tête puis lentement la descend sur son front puis ses yeux. D’une voix lasse, il reprend.
- Bon ! résumons : pas de signe des autres abris. Pas de culture possible et pas de chasse. Au regard de la température en journée : pas d’élevage pour le moment. Du moins tant que l‘on n’aura pas fait des pacages artificiels. Pour cela, il faut compter au minimum une année, avant qu’ils soient totalement opérationnels… Nos réserves sont de six mois.
Vifkla, qui était rentré au moment où Mokycs s’exprimait, s’exclame alors :
- Mais on va tous crever de faim !
En entendant l’exclamation de Vifkla, Narwen tourne la tête vers lui. Son regard devient noir, ses yeux se plissent, un soupir rauque fuse de sa poitrine. Les Extens ont appris depuis bien longtemps ce que ces manifestations corporelles signifient…la dernière est un tassement sur soi-même, et puis la mort fond sur vous. Vifkla sait que les Rekens furent, il y a seulement quelques milliers d’années, les prédateurs installés, sans partage, au sommet de l’échelle. Il sait également qu’aux tréfonds de leur mémoire, les Rekens ont gardé cet instinct de chasseur qui demeure très vivace dans leur cerveau primaire. Pour s’en convaincre, il suffit de les regarder chasser.
Mais d’un bond, Endoew est déjà près de Narwen. Elle l’entoure fermement de ses bras et la bouche collée à l’oreille, alternativement lui souffle doucement dans le conduit auditif et d’une voix calme, lui murmure une douce et lente mélopée. Narwen semble hypnotisé. Sa tête dodeline légèrement et peu à peu son corps se détend. Le miracle de cette très ancienne méthode de relaxation, mis au point au sein des Rekens pour les calmer, a encore fait son office.
Depuis des millénaires, le rite se transmet de mère en fille. Depuis longtemps, les Rekens ont oublié le sens des paroles du chant, de même que l’utilité de souffler dans l’oreille. Pourtant, le procédé continue d’être efficace sur les sujets mâles, mais uniquement sur eux. Des générations de chercheurs se sont penchées sur le phénomène, sans jamais pouvoir apporter l’ombre d’une réponse aux trois questions : comment agit cette pratique ? Pourquoi seules les femelles peuvent-elles la pratiquer ? Pourquoi cette méthode n’agit-elle que sur les mâles ?
Ayant repris le contrôle sur lui-même, Narwen s’excuse.
- Désolé pour cette réaction violente à ton intervention Vifkla, je te demande de m’excuser. Depuis ce matin, j’ai l’impression que les résidents de cette base n’ont qu’une seule préoccupation : quand est-ce qu’on mange ?
Cela a commencé par le Slake Ryak, qui m’a tenu la jambe une bonne heure sur ce sujet. Puis le sujet est revenu régulièrement : avons-nous assez de rations ? Combien de temps vont tenir nos réserves ? Etc.
Il me semble que les personnes maintenant réveillées devraient avoir d'autres préoccupations plus pressantes que celle-là : qu'est-il advenu des autres abris ; qu'est-il arrivé à leurs familles ?
- Je suis désolé Narwen, s’excusa platement Vifkla, j’avais oublié que ton fils est dans le quatrième abri
- Effectivement, dans le quatrième… Pour ma part, je considère que l’incident est clos… D’accord Vifkla ! Au regard de la situation, il m’appartient de prendre des décisions pour parer, dans un premier temps, aux urgences. Aux urgences présentes et futures. Mais tout semble urgent… Vifkla, va voir où en sont les travaux de déblaiements des hangars de la flotte !
- C’est parti !
- IRAL ?
- Oui Narwen !
- Ordre de lancer la recherche pour la conception d’un masque réduisant le taux d’oxygène extérieur. Dès que les chercheurs auront mis le pied dehors, dans les dix minutes qui suivront, ils comprendront le but d’une telle recherche. Quand ils auront un peu avancé, ils me présenteront un cahier des charges. Je verrais la suite avec eux. Autre chose : Combien d’ouvriers polyvalents disponibles actuellement ?
- Quatre-vingt-dix- sept.
- Tu les répartis selon les demandes d’Endoew et de Vifkla. Ils sont prioritaires. Combien de personnes en première phase de réveil actuellement ?
- Deux cents.
- Tu vérifies les couples avec enfants et ceux sans enfants. Ceux sans enfants, tu poursuis la sortie de stase. Pour les autres, tu les remets au frais. On va, pour le moment, ralentir les sorties de stases. Combien de pilotes de chasseur sont disponibles ? De porteur F2-Q ? Combien de mécanoaéronef, les communicateurs de localisation sont-ils encore en état ?
- Chasseur : 2 ; porteur F2-Q : complet, mécano : 6 ; les com. sont opérationnelles à 90 %.
- Envoie un mécano dessus, je n'ai pas envie de heurts entre chasseurs et tu me sors également le personnel nécessaire pour utiliser un des vaisseaux spatiaux. Combien d’engins de transformation d’air en eau disponibles ?
- Vingt.
- Impeccable, merci IRAL, ce sera tout pour le moment !
Vingt pourvoyeurs d’eau : donc, si mes souvenirs sont bons cela fait deux transformateurs par serre pour le démarrage des plantations, puis un pour deux serres par goutte-à-goutte.
Endoew, tu t’occupes de faire monter neuf serres ! Les deux derniers pourvoyeurs restants sont destinés à ceux qui vont travailler hors de la base.
Un bref et léger bourdonnement de son oreille droite indique à Narwen une demande de communication. Un nom est prononcé. Il porte un doigt à son oreille et bouche brièvement le conduit auditif, afin d’établir la communication.
- Je t’écoute Vifkla !
- L’accès aux hangars est dégagé. J’ai fait un rapide tour des lieux. C’est notre principe de précaution qui nous a joué des tours…
- Explique.
- Beaucoup de matériels, des zones de stockages et de la machinerie étaient fixés au plafond. Pour pouvoir y accéder, et surtout pour que rien ne tombe sur les appareils, on a posé un faux plafond. À première vue, une explosion a dû se produire. Des produits chimiques pourtant très stables, nécessaires à l’avionique y étaient entreposés. Mais ‘très stable’ pour combien de temps ? La désintégration atomique naturelle qui entraine une modification structurelle des éléments a été prise en compte. Mais je pense qu’il en est du temps qui passe, comme celui de la mesure d’angle. Une erreur d’un centième d’écart n’a aucune importance sur un kilomètre, mais sur mille kilomètres… Une minuscule erreur qui aurait pu anéantir la base.
- Je te rejoins Vifkla. Je veux me faire une idée précise des dégâts.
Quelques minutes plus tard, accueilli par Vifkla, Narwen pénètre dans le hangar.
- Tu as mis des mécaniciens sur un chasseur ?
- C’est fait Narwen !
- On va procéder à une inspection méticuleuse des lieux. Tu t’occupes de signaler les problèmes à IRAL ?
- C’est parti ! On commence par les stocks de ce qui est redevenu maintenant le plafond. Il ne doit pas rester pas grand-chose, mais on peut tout de même y jeter un coup d’œil. Comment va-t-on y accéder ?
- On n’y accède plus ! J’ai prévenu IRAL pour qu’elle envoie un drone.
- Et bien, on va se contenter du bas !
Une demi-heure plus tard, l’inspection est terminée ; notes et recommandations transmises à IRAL, celle-ci se chargeant d’activer les drones et robots dédiés au bon fonctionnement de cette zone.
Narwen interpelle alors un technicien qui prenait sa pose.
-Oui Tseschen, qu'y a-t-il ?
Le bras tendu vers le chasseur Narwen demande :
- Encore combien de temps pour qu’il soit totalement opérationnel ?
- Environ dix heures.
Narwen pousse un soupir de soulagement.
-Si peu de temps que cela ? Je craignais le pire en voyant l'état du hangar et constaté l’ampleur des dégâts.
- Pas d’inquiétude Tseschen, j’ai dit dix heures, ce sera dix heures !
- Autre question : Combien de temps et sur combien de vaisseaux pourrons-nous nous appuyer pour une hypothétique mission de sauvetage ?
- Les autres abris, hein ?
- Oui.
- Le plus rapidement possible ! J’ai de la famille dans l’abri trois ! Donc vous pouvez compter sur moi pour que mon équipe se remue. Pour répondre à votre question ; si l'on ne découvre pas de dégâts supplémentaires dans les systèmes des appareils et si on diminue au minimum les règles de sécurité pour qu'il puisse voler avec une charge utile maximale, voyons…
Tout en réfléchissant, le technicien regarde un à un les aéronefs, son regard s’attardant quelques secondes sur chacun, afin d’évaluer l’état de l’appareil et le temps de réparation nécessaire.
- Voyons, reprend-il, en ne prenant que le porteur F2-Q qui a le moins souffert des deux et, pour suivre la procédure, un chasseur avec son armement complet ; en comptant le temps de rechargement en deutérium, le temps de testage de l’ensemble et cela va de soi, celui nécessaire pour finir de débloquer les portes externes, je dirais, au mieux deux jours, trois au pire.
Tsechen Narwen, vous avez, en cet endroit et en ce moment, l’équipe la plus performante en entretien d’aéronef de la base. Elle est entièrement dévouée à la tâche qu’elle a entrepris il y a aujourd’hui quelques spires.
- Et quelle est cette tâche ?
-Survivre ! Survivre un jour de plus et comme celui-ci se termine, encore un jour de plus ! et reconstruire notre civilisation…
Narwen regarde son interlocuteur, incline son buste puis sa tête fait un brusque mouvement de bas en haut. Cet enchainement de mouvements propre aux Extens, adopté par les Rakens, avait pour unique signification : Respect !
Un peu ému, Narwen reprend :
- Dès que ces trois aéronefs seront opérationnels, que l’accès à l’extérieur sera devenu possible, sortez-les et prévenez les équipages qu’ils doivent se tenir prêts à décoller. Prévenez-moi dès que cela sera fait.
Je ne vous retiens pas plus. Finissez de profiter de votre pause et veillez à ce que les autres la prennent aussi, même par la force si besoin est ! termina-t-il en souriant !
- Je ne vous avais pas attendu pour le faire, même si parfois on doit en trainer certains de force hors du hangar. Si je puis me permettre, Tseschen, vous devriez vous aussi prendre une pose et dormir. Je ne suis pas de votre race, mais il ne faut pas être un grand devin pour constater que vous êtes épuisé. Et, si vous ne le faites pas, je connais des gens ici qui seront ravis de vous trainer de force jusqu'à votre couchette, après avoir veillé à ce que mangiez vos rations correctement.
-Je vous remercie pour votre sollicitude. Je vais suivre votre conseil. Je n’ai pas envie que vous détourniez quelques personnes de leur besogne pour s'occuper de ma petite personne.
- J'en suis ravi ! Maintenant, excusez-moi, je retourne m’occuper de nos oiseaux.
Narwen, pour la première fois depuis son réveil, ressentit une extrême lassitude. Elle était sans doute due à la sollicitude du mécanicien qui l’avait libéré de l’extrême tension de cette première journée durant lesquels il n’avait pas cessé d’être assailli par les décisions à prendre, les doutes et les incertitudes.
Après tout, pourquoi pas ? pensa-t-il, chacun sait ce qu’il a à faire, et demain j’aurais les idées plus claires.