Secrets et confidences

Par Dédé

 

— Donc, vous êtes un de mes nouveaux patients ?

— Oui, madame.

— Appelez-moi, mademoiselle. Je me sens divorcée depuis que mon mari est parti chez les Birmans...

— Je comprends. Je vais moi-même divorcer bientôt.

— Vous êtes marié, je présume ?

— On peut dire ça...

— Ôtez-moi d'un doute... Il faut bien être marié pour divorcer, n'est-ce pas ?

— Oui, oui... Mais ce n'est pas là le problème.

— Le divorce, c'est le problème, non ?

— Pas vraiment, non...

— Mais qu'est-ce qui ne va pas ?

— Ma femme... Elle me rejette.

— D'où le divorce, non ?

— Oui et non.

— Explicitez, je vous prie.

— Elle me rejetait avant même que je n'envisage le divorce.

— Pour quel motif vous rejetait-elle ?

— Perte de mémoire, ça a tout cassé entre nous.

— Perte de mémoire, vous dites ?

— Elle ne se souvient plus de son nom, ni de moi, ni de nous... Elle ne me considère plus que comme son prétendu mari...

— Oh ! Mon Dieu !

— Qu'est-ce qu'il y a ? Vous faites une drôle de tête, tout à coup...

— Je dois être maudite... Ce n'est pas possible...

— Madame la psy, je ne comprends plus rien, excusez-moi.

— Vous êtes le mari de J... de Ja... de cette Jane ?

— Jane ? C'est qui ça ?

— Votre femme. Enfin, votre prétendue femme, je présume.

— Elle se fait appeler Jane ? Vraiment ?

— Vraiment.

— Bon Dieu ! Ce prénom ne lui va pas du tout au teint...

— Nous sommes d'accord, monsieur.

— Appelez-moi Albert, si vous préférez.

— Entendu, Albert. Dites, comment avez-vous fait pour ne pas être allergique à Jan.. euh... à votre femme ?

— Allergique à elle ? Mmmh... Je ne sais pas... Je ne me suis jamais posé la question.

— Une entrevue avec elle et mes crises d'allergie ont commencé. C'était horrible !

— C'était ? Ça ne l'est plus ?

— Plus depuis que je l'ai congédiée.

— Congédiée ? Mais pourquoi ?

— Les allergies, entre autres.

— Entre autres ?

— Disons qu'elle est très énervante, très intrusive et que je ne vois pas très bien ce que je peux faire pour elle.

— Oh ! Je comprends mieux...

— Vous êtes bien le seul.

— Ah oui ?

— Depuis que je me suis débarrassée de Jan... euh... de votre femme, on me prend pour une femme jalouse ou aigrie.

— Mademoiselle, vous n'avez rien à lui envier.

— Merci du compliment, Albert. Il me va droit au cœur.

— De rien, ma chère.

— Et donc, vous venez me consulter pour surmonter votre prochain divorce ?

— C'est un peu plus compliqué que ça...

— Compliqué comment ? Encore plus compliqué qu'une femme amnésique ?

— Tout aussi compliqué vu que tout est lié à la femme amnésique.

— Expliquez-moi !

— Tout a commencé quand je me suis aperçu que j'avais perdu le contrat du mariage.

— Ah ! C'est fâcheux...

— Ce n'est pas tout.

— Poursuivez, Albert ! Poursuivez !

— J'ai demandé à un avocat de m'aider à en refaire un tout neuf.

— C'est légal, ça ?

— Je ne demande qu'à refaire un papier qui existait déjà. Il n'y a rien d'illégal là-dedans. Ce sera comme si je ne l'avais jamais perdu.

— Vu comme ça, je ne peux vous contredire. L'avocat était d'accord, lui ?

— Pas vraiment vu qu'il m'a suggéré le divorce.

— Il veut divorcer de vous ? Mais vous n'êtes pas marié à Jane ? Je ne comprends plus rien...

— Non ! Il veut que je divorce de ma femme. Selon lui, ce serait la meilleure solution.

— Je confirme ! Vous serez mieux sans Jan... euh... sans elle.

— Vous trouvez ?

— Oh oui ! Un aussi bel homme que vous, vous méritez tellement mieux qu'une femme qui vous rejette.

— C'est très gentil ce que vous me dites là.

— Sincère, surtout. Très sincère.

— On vous a déjà dit que vos yeux sont ravissants ?

— Ça a été le premier compliment de mon mari...

— Celui parti en Birmanie ?

— Celui-là même.

— Mais qu'est-il allé faire là-bas ? Ce n'est tout de même pas très anodin.

— Élevage de chèvres...

— Vous êtes sérieuse ?

— Je ne plaisanterais pas sur un sujet pareil.

— Bien évidemment, pardonnez-moi...

— Vous êtes tout pardonné, très cher Albert. On vous a déjà dit que vous avez un beau sourire ?

— Parce que vous me voyez sourire ?

— Une psy est capable de voir beaucoup de choses, vous savez.

— Je suis impressionné !

— Avez-vous déjà pensé à refaire votre vie depuis que votre femme amnésique vous rejette ?

— Jamais ! Mais selon l'avocat, je n'en aurais pas besoin.

— Selon le même avocat qui vous suggère le divorce ?

— Lui-même. D'après lui, le divorce va permettre à ma femme de moins me rejeter et ainsi, on pourra réapprendre à se connaître et renouer. Je sais que ce ne sera pas de suite comme avant mais j'ai bon espoir que tout s'arrange.

— L'espoir fait vivre, comme on dit.

— Tout à fait ! Dites donc, c'est que de là, ils sentent bons vos cheveux !

— Merci, Albert. Merci ! Vous avez remarqué l'odeur de mon nouveau shampooing. Le genre de choses que mon mari ne remarquait jamais...

— Peut-être est-il plus sensible aux odeurs de chèvres.

— Ça expliquerait sa lubie d'en élever en Birmanie. Vous savez, j'ai dû engager un détective privé pour retrouver sa trace. Apparemment, il est très heureux là-bas. Une légère addiction au fromage de chèvres mais rien de bien inquiétant...

— J'ai beau cogiter depuis tout à l'heure, je ne comprends toujours pas comment on peut vous délaisser pour des chèvres. Vous êtes tellement ravissante !

— Vous n'êtes jamais à court de compliments, Albert. J'ai longtemps recherché un mari tel que vous. Puis, je me suis rabattue sur cet éleveur de chèvres refoulé... C'est une grave erreur de baisser la barre de ses exigences, je vous le dis !

— Ce n'est pas mieux de trouver quelqu'un qui correspond à ces exigences. Regardez où ça m'a mené : marié à une femme amnésique qui ne me supporte plus...

— Nous sommes tous les deux très mal tombés.

— Je l'aime pourtant, ma femme. Mais l'aimer, ça me fatigue en ce moment...

— Je vous comprends, ça m'épuise d'être mariée à un éleveur de biquettes...

— Dans une autre vie, on aurait pu bien se trouver tous les deux.

— Et on se serait trouvés comment ?

— Je me serais introduit dans votre cabinet, me faisant passer pour votre client et on aurait eu un tel coup de foudre que vous auriez refusé de m'écouter sur le divan.

— J'aime bien votre scénario.

— Vous croyez que ça paie bien, scénariste ?

— Je pense. D'ailleurs, il va s'en dire que cette séance ne vous sera pas facturée.

— Ah bon ?

— Vous m'avez séduite et ce ne serait pas très déontologique de vous faire payer la séance. Surtout que, maintenant, j'ai envie de vous inviter à dîner.

— Vraiment ?

— Oui. À condition que ça reste entre nous pour l'instant et que l'on évite le fromage de chèvres, bien sûr.

 

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