— Jane, l'avocat a vraiment dit ça ?
— Oui, il veut que je divorce de mon prétendu mari.
— Ceci dit, ce n'est pas si bête quand on y réfléchit...
— Tu trouves ?
— Cet homme te retient à cause d'un prétendu mariage. Si le prétendu mariage est annulé, il n'aura plus de raisons de te harceler.
— Mais pourquoi divorcer si le mariage n'existe pas ?
— Si ça te débarrasse de lui, ça vaut le coup de tenter, non ?
— Sans doute, Adrien... Sans doute.
— Et tu as confiance en cet avocat, chérie ?
— Il se méfie de mon prétendu mari, ça me suffit.
— C'est pas faux. Et une fois le divorce prononcé, tu comptes faire quoi ?
— C'est-à-dire ?
— Tu voudras retrouver ton ancienne vie ou t'en construire une nouvelle ?
— Tu veux savoir si je vais te quitter après le divorce ?
— Je voudrais être rassuré, oui...
— La question est idiote.
— Ah ?
— Je n'ai aucune intention de te laisser tomber, Adrien.
— J'en suis ravi !
— Tu as vraiment cru que j'en étais capable ?
— Si tu te libères de ton prétendu mari, je me suis dit que tu n'aurais pas envie de te mettre en couple de suite avec moi.
— Au contraire, au contraire !
— Ça me fait tellement plaisir ce que tu me dis là !
— La seule chose que je vois dans mon avenir, c'est toi.
— Vraiment ?
— Oui ! Je ne sais pas ce que je vais faire de ma vie, si je vais retrouver mon nom d'origine, des membres de ma famille, un métier, mais je sais que je t'aurais toi et ça me suffit.
— C'est la chose la plus gentille qu'on m'ait jamais dite...
— Et toi ? Comment vois-tu ton avenir ?
— Avec toi, voyons ! Avec toi !
— Dois-je comprendre que tu envisagerais le mariage, mon cher Adrien ?
— Et comment !
— C'est vrai ? Tu veux te marier ?
— En extérieur, un pingouin nous emmènerait nos alliances, on mettrait du gangsta rap en fond sonore pendant l'échange des vœux. Et enfin, on ferait une fête du genre «soirée mousse»
— Tu es sérieux ?
— Pas du tout ! Mais j'étais sérieux pour le mariage.
— J'avoue que je préfère ça. Je suis pas très fan du gangsta rap.
— Moi non plus. Je déteste ça... Et toi ? Tu le verrais comment notre mariage ?
— On se marierait devant un moine Shaolin avec deux babouins en smoking en guise de témoins. Et à la fin, les invités nous jetteraient des verres de grenadine en pleine figure.
— Tu me fais marcher là ?
— Absolument ! Je détesterais voir de la grenadine salir ma jolie robe de mariée...
— C'était plutôt le moine Shaolin qui me faisait peur. J'ai un peu la phobie des moines Shaolin...
— Elle sort d'où, cette phobie ?
— Une vilaine tapisserie pleine de moines que j'ai croisée dans mon enfance. Depuis, je cauchemarde que des moines-vampires cherchent à m'étouffer dans mon sommeil.
— Tu en cauchemardes aujourd'hui encore ?
— De temps en temps mais ça devient rare, fort heureusement.
— Tant mieux ! Et alors, pour de vrai, tu le verrais comment notre mariage ?
— On pourrait demander à notre psy de nous marier. Jane, qu'en penses-tu ?
— C'est la pire idée qui soit, Adrien ! La pire !
— Ton futur-ex-prétendu mari accepterait, lui ?
— Certainement pas... Et il ne serait même pas invité ! Et toi ? Sérieusement, tu le verrais comment notre mariage ?
— Une petite cérémonie privée dans les égouts officiée par un raton-laveur. C'est si mignon, un raton-laveur !
— Ce sera sans moi, Adrien ! Sans moi !
— Mais pourquoi ça ?
— Les égouts ? Mais tu es fou ! J'aurais trop peur dans les égouts. Et puis, pense à ma robe ! Toute sale ! Non, non et non...
— C'est sans doute le bon moment pour te dire que je plaisantais encore une fois ?
— Oui ! Merci bien, tu me rassures. Ma robe te remerciera sans doute.
— Je rêve ou on parle déjà mariage, ma Jane d'amour ?
— On discute simplement. Je ne suis toujours pas divorcée de mon non-mariage, ne mettons pas la charrue avant les bœufs, mon cher Adrien.
— Oui, il est sans doute encore un peu tôt...
— On est ensemble depuis quoi ? Deux semaines ?
— Quelque chose comme ça, oui.
— On se marie après deux semaines ?
— Très rarement, à ce que je sache.
— Mais en tant qu'amnésique, ça fait du bien de papoter projets d'avenir, tu sais.
— Parler projets d'avenir me fait oublier ma dilemmite, c'est très agréable.
— Et donc, le rêve de tes rêves pour toi, c'est quoi ?
— On se marie en peignoirs, des sandales aux pieds et les invités nous jettent des nems quand on quitte la cérémonie ?
— Je préfère les nems comme cadeaux de mariage.
— C'est pas un peu impersonnel des nems, comme cadeau de mariage ?
— Penses-y ! On se remplirait la panse de nems pour notre nuit de noces. C'est tentant, non ?
— Très tentant, même. Tu as eu une idée de génie, Jane. De génie !
— Il faut noter l'idée des nems quelque part, pour ne pas l'oublier le moment venu.
— Le mariage de mes rêves te convient-il, ma chère ?
— Je suis séduite ! Séduite !
— Tu ne serais pas déçue de ne pas porter de robe blanche ?
— Tu plaisantes ? Une robe sur laquelle je vais marcher sans arrêt ? Non merci...
— C'est ce que je me disais. Avec les peignoirs, on n'aura pas ce problème au moins. Et on fera attention à ce que tu aies un peignoir blanc et moi un noir. Pour garder un peu les couleurs traditionnelles, vois-tu !
— Et le repas de mariage, tu y as pensé ?
— Déjà, on ne servira pas de nems. Ils sont pour nous les nems.
— Des pizzas ? Une fondue savoyarde ? Qu'en dis-tu ?
— Jane, on ne pourra pas proposer de fondue savoyarde pour notre mariage...
— Pourquoi donc ?
— Une grande partie de ma famille est allergique au fromage, ma chère... Quelle tragédie !
— Mon Dieu ! Quelle horreur ! Mais comment pourrait-on faire ? Est-il possible d'envisager une fondue savoyarde sans fromage ?
— Vu que le mariage n'est pas pour tout de suite, ça nous laisse du temps pour mener l'enquête.
— Bien vu !
— Mais des pizzas sans fromage, pourquoi pas.
— Ça ne va pas te rappeler ta mauvaise expérience en tant que pizzaïolo ?
— Tu te souviens de ça ?
— Comment oublier un pizzaïolo qui prétend savoir soigner une dilemmite. Comment oublier...
— J'aimerais oublier, j'aimerais...
— Je sais bien. C'est pour ça que les pizzas, on oublie !
— Il prend forme notre mariage, tu ne trouves pas ?
— J'ai déjà hâte d'y être.
— Dès demain, je prends rendez-vous avec l'avocat pour le divorce du non-mariage.
— Il va falloir que je réfléchisse longuement à comment je vais faire ma demande...
— Et tu crois que je pourrais en profiter pour demander un contrat de mariage ?
— A qui ?
— Mais à l'avocat, Adrien. A l'avocat !
— Demande ! Il a l'air d'aimer les affaires matrimoniales.
— Mais c'est qu'il a tellement insisté qu'il préférait le droit pénal. Ça me gêne de lui demander une telle faveur. Je ne voudrais pas freiner sa grande carrière prometteuse, tu comprends...