Les trois frères Sherwood s’amusaient dans le jardin quand la famille de Sélène arriva pour l’après-midi jeux que l’aînée avait tant attendu. Le soleil éblouissait Mathéo et Léo, qui se faisaient des passes avec une balle de volley. À côté d’eux se trouvaient le benjamin. Fidèle à lui-même, il babillait gaiement à propos de dragons et de princesses à sauver, même si ses aînés ne l’écoutaient pas. À l’entendre, le ballon était une boule d’eau et de terre superpuissante qui détruisait tout sur son passage. Sélène restait toujours ébahie devant tant d’imagination.
Abu vint leur dire bonjour en secouant la queue avec frénésie. Toutes ces petites choses anodines firent sourire la jeune fille. C’était une ambiance où elle se sentait elle-même, avec sa famille et celle des Sherwood. C’était comme rentrer à la maison après une longue absence.
– Salut ! lança Mathéo en les apercevant. Les parents sont à l’intérieur, ils vous attendaient.
En effet, Lauren et James sortaient par la porte-fenêtre, les bras encombrés de nombreuses boîtes de jeux. Sélène en reconnut quelques-uns, mais de loin pas tous.
– Hello ! Ça fait longtemps ! Vous avez passé de belles vacances ?
Laissant discuter les adultes, Coralie et Sélène se rapprochèrent des enfants. Maëlys préféra quant à elle rester près de sa maman, bientôt rejointe par Bruno.
– Vous voulez continuer à faire des passes, ou on monte le filet pour un match ? demanda Léo.
– Des passes, répondit Sélène du tac au tac. Tes adversaires n’ont aucune chance de gagner.
Le garçon rigola, flatté, mais ne rétorqua rien. À la place, il s’empara du ballon, qui était tombé au sol, et fit une passe à son frère, qui la renvoya à Coralie. Sélène, Léo, Coralie, Léo, Sélène, Mathéo. Et ainsi de suite. L’adolescente avait tendance à l’envoyer à l’aîné, même si elle essayait tant bien que mal de la passer aux autres aussi.
– Bon, on arrête ? proposa Mathéo après une demi-heure. Je vous avoue, j’en ai marre de jouer avec une balle.
– Toi ? ricana Coralie. Alors que tu joues au foot depuis, quoi… ta naissance ?
Elle n’obtint pour seule réponse qu’un regard aussi noir que la nuit. Les deux aînés regardaient leurs frère et sœur se chamailler, bouches bées. Ils s’amusaient de voir Mathéo se faire ridiculiser par son amie, qu’ils n’imaginaient pas aussi rentre-dedans. Léo finit tout de même par les interrompre.
– Bon. On fait quoi, alors ?
Une voix qui parvenait de la terrasse réagit à cette question.
– Vous pouvez aller promener le chien, proposa Lauren. S’il vous plaît ! ajouta-t-elle en entendant le concert de protestations de ses fils. Allez, hop !
Les enfants n’avaient pas le choix. Ils enfilèrent leurs chaussures et le harnais d'Abu, puis se dirigèrent vers la plage. Maëlys et Bruno restaient près des deux aînés, tandis que Coralie et Mat marchaient un peu devant.
– C’était bien, la Provence ?
Sélène remercia silencieusement Léo de commencer la conversation. Elle adorait parler avec lui, mais aucun sujet ne venait à elle quand il était si proche, distraite par les expressions et les sourires ravageurs du garçon.
– Trop chaud, mais bon. Comment tu sais qu’on était là-bas, d’ailleurs ?
– Je sais pas, c’est Maman qui m’en a parlé, je crois.
– Vous êtes partis, vous ?
– Alsace… Rien d’extraordinaire, quoi. Mais on a fait du kayak, c’était sympa.
Sélène ne savait pas si c’était ironique ou pas, et avant qu’elle ne lui posât à la question, ils arrivèrent sur la plage. Maëlys et Bruno filèrent au bord de l’eau pour ramasser des coquillages. Bientôt, les Gavillet posséderaient un musée maritime complet dans leur jardin ! Heureusement que Loïc remettait en douce les trouvailles de sa fille à la mer. Les quatre plus grands firent d’abord une pause pour ôter leurs baskets. Abu attendait impatiemment qu’on le détachât pour aller jouer dans les vagues.
Ils longèrent doucement la lisière de l’eau, leurs chaussures à la main. Quelques habitants se prélassaient au soleil ; des enfants construisaient d’immenses châteaux forts en sable, espérant vaincre la marée. Ce cadre idyllique rappelait son rêve à Sélène, même si la plage était bien plus peuplée. Elle était avec Léo, et cette fois, elle était seule. Mathéo et son amie se trouvaient à une dizaine de mètres devant et les petits semblaient fascinés par des bouts de verre poli par le sel.
Sélène brisa le silence paisible qui s’était installé entre eux :
– Tu viens souvent promener Abu par ici ?
Léo baissa rapidement les yeux sur la jeune fille, avant de les reporter sur le chien qui s’éclaboussait avec sa queue.
– Non, je préfère un autre endroit quand je suis seul. Un endroit secret, conclut-il avec un clin d’œil.
– Tu es sûr que je ne peux pas savoir ? tenta l’adolescente.
– Ouais. Sorry, sorry[1]. Une autre fois, peut-être.
Pourtant, le garçon ne semblait pas du tout désolé, au contraire. De dépit, Sélène lui donna une petite claque sur le bras. Elle n’avait pourtant pas prévu qu’il retienne sa main… Aussitôt, le sang se mit à tambouriner contre ses tempes. Sélène avait une conscience accrue des parcelles de sa peau qu’effleuraient les doigts de Léo. Cette atmosphère si particulière les entourait à nouveau ; cette fois, elle semblait électrique.
Sélène jeta un regard rempli de sous-entendus à Léo. Que comprendrait-il ? Savait-il ce qu’elle ressentait ? Était-ce réciproque ? L’adolescente prit son courage à deux mains pour lui poser toutes les questions qui traversaient son esprit embrumé. Mais à cet instant, Maëlys et Bruno déboulèrent en gesticulant.
Léo libéra la main de la jeune fille, rompant le charme qui l’avait envoûtée. Pendant qu’il s’occupait des benjamins, Sélène tenta de reprendre ses esprits – et son souffle, qu’elle avait retenu sans le remarquer. L’air entre eux était encore chargée d’électricité qui s’effilochait lentement dans le ciel bleu.
– Bon, on va faire demi-tour, décida Léo. Mat ! Coco ! On rentre !
Puis il appela Abu, qui fonça sur son maître. Le chien ne manqua pas de se secouer, répandant des milliers de gouttelettes sur les jeunes gens. Riant aux éclats, la jeune fille ne tarda pas à protester vainement.
– Eh, Abu, stop ! Laisse Sélène tranquille.
L’aîné Sherwood tenta tant bien que mal de gronder son compagnon à quatre pattes, sans succès. Sélène ne put s’empêcher de se demander s’il l’aurait aussi fait pour Coralie. Sans doute pas : le garçon n’aurait pas esquissé un geste, se moquant gentiment d'elle. Il l’avait déjà fait, en plus.
Le chemin du retour fut similaire à l’aller. Les poches des benjamins étaient pleines de trouvailles, Coralie et Mathéo marchaient derrière, cette fois. Léo commença à nouveau la conversation :
– Hâte de la course de vendredi ?
– C’est ce vendredi ?
Sélène avait complètement oublié cela. Comment avait-elle pu, d’ailleurs ? Cette course permettait de financer une partie des camps et les sorties de classe. C’était un passage obligatoire pour les élèves du collège, et pourtant, très peu l’appréciaient. Au moins, ils le faisaient pour une bonne cause.
– Bof. Et toi ?
– Bah. C’est que sept kils, quoi.
– Ah oui, pardon. J’avais oublié que Monsieur partait souvent courir avec son père.
L’adolescente avait employé un ton moqueur, appuyant sur le « Monsieur ». Après tout, mettre l’ego de son ami en péril ne pourrait pas lui faire de mal.
– Il n'y a pas tout le monde qui aime faire sept kilomètres sans entraînement… rappela Sélène. Enfin, peu importe. Tu rapporteras beaucoup d’argent, comme ça.
Plus on était rapide, plus les sponsors devaient donner, c’était la règle.
– Je ne vaux que ça ? De l’argent ? rigola Léo.
Le sang de Sélène se mit à bouillonner. Devait-elle dire la vérité ? C’était une occasion parfaite. Le soleil, la mer. Et même s’il n’y avait pas de balançoire, qu’importe. Dans son rêve, la jeune fille avait sans doute mélangé celle qui s’accrochait au saule de son jardin et une plage qu’elle avait vue un jour.
– Oh, non, souffla Sélène. Tu es…
– Léo ! Dis à Coco que j’ai gagné contre toi au bras de fer ! Elle ne veut pas me croire, hurla Mathéo depuis derrière.
– C’est vrai, Coralie ! soupira l’intéressé. Désolé, Sélène, tu disais ?
– Non, rien.
L’adolescente s’était dégonflée au dernier moment. C’était plus facile, la réponse la terrifiait bien plus qu’elle ne voulait l’admettre.
– Tu as une bonne classe ? changea-t-elle de sujet pour éviter qu’il ne revînt sur le précédent.
– Il y a Julien, sourit Léo.
Ils étaient arrivés chez les Sherwood. Les adultes avaient dressé la table, et on s’y installa pour déguster. Le reste de la soirée se passa calmement. C’était un soulagement pour Sélène, après les intenses émotions que la promenade lui avait procurées. L’adolescente quitta tout de même Léo avec regret, espérant qu’il y aurait d’autres occasions pour elle.
<3
Le vendredi suivant arriva très vite. Tous les élèves étaient en tenue de sport. Le collège avait été décoré de bannières au nom de l’école. Dans quelques tentes, certains profs recensaient les coureurs, leur donnant dossard et épingles à nourrice pour le fixer.
– Prêtes ? lança Chloé en rejoignant Sélène et sa meilleure amie.
– Non, bougonna Norelia. Mais on n’a pas le choix, alors autant en finir au plus vite.
La queue de cheval de Chloé se balança de droite à gauche quand elle tourna la tête vers un prof de sport qui les conjurait de s’échauffer.
– Plus que quinze minutes ! Quinze ! hurlait-il dans le haut-parleur.
– Et toi, Sélène ?
– Flemme, je t’avoue. Mais j’espère que tu gagnes la première place, Clo !
Chloé la remercia d’un sourire. Toutes deux n’étaient pas très proches, même si Sélène appréciait sa compagnie. Chloé semblait un peu son contraire : populaire quand Sélène restait discrète, elle parlait sans jamais s’arrêter quand l’adolescente préférait écouter. Peut-être était-ce justement pour ça que les deux adolescentes s’entendaient si bien : elles se complétaient à la perfection, l’une comblant les faiblesses de l’autre.
Chloé avait une force de caractère qu’enviait Sélène. Tout semblait si facile, dans sa vie. Elle allait toujours à la fin de ce qu’elle entreprenait, peu importaient les obstacles. C’était pareil à la course, d’ailleurs. Depuis toute petite, Clo s’y entraînait, sans jamais être satisfaite d’elle-même. Ses amies s’échinaient à lui répéter qu’elle était formidable, en vain. Il y avait toujours quelque chose qu’elle pouvait améliorer. S’approcher de la perfection sans jamais l’atteindre. Sélène admirait sa vision des choses ; Chloé ne perdait jamais espoir.
– Sur la ligne de départ ! cria à nouveau le prof. Début dans deux minutes ! Je répète, deux minutes !
Les trois amies se placèrent parmi les autres élèves.
– Je vous abandonne, les filles, désolée, s’excusa Chloé. Je vais plus en avant… Je vous attendrai à l’arrivée !
Les deux amies hochèrent la tête, même si Clo avait déjà disparu dans la cohue.
– Trois, deux, un… C’est parti ! résonna le microphone.
Sélène se mit à courir doucement, accompagnée de Norelia. Aucune des deux ne parlait, concentrées sur leur respiration. Inspirer, un, deux, expirer, un deux. Et ainsi de suite. Au bout d’un kilomètre environ, l’esprit de Sélène s’évada, laissant son corps parcourir un mètre après l’autre. L’adolescente trouvait une forme de satisfaction à avaler les kilomètres. Elle était sûre d’écoper de courbatures le lendemain, preuves de sa bonne volonté. Sélène en serait fière, au fond.
– On peut marcher un peu ? balbutia Norelia, à bout de souffle. J’ai un point de côté…
Les deux filles firent une halte puis repartirent, déterminées. Dans un coin de la tête de Sélène, Léo l’encourageait de toutes ses forces, ce qui la motivait à continuer. Un pas, puis deux… C’était facile, au fond. Si elle omettait la douleur qui lui étreignait les jambes et celle qui lancinait ses poumons.
– Noli ! Sélène ! Ça va ?
Quelle ne fut pas leur surprise quand les deux filles virent Chloé se frayer un chemin à contre-sens.
– Tu fais quoi ici ? demanda Sélène, car Norelia était à bout.
– Pff, je suis pas arrivée première… Léo m’a dépassée, ajouta-t-elle, furibonde.
Un énième exemple de la force de caractère de leur amie, qui était revenue les motiver.
– Il ne vous reste que 700 mètres, allez ! Je reste avec vous.
À bout de souffle, les deux filles parvinrent enfin à l’arrivée, bloquant le chrono. Cinquante-six minutes ! Sans entraînement, en plus. Elles étaient fières, et toutes suantes. Chloé, qui semblait impossible à épuiser, leur apporta deux grands verres d’eau fraîche. Julien vint rejoindre les trois amies. Un peu timide d’abord, il finit par entourer la taille de Norelia avec ses bras. Visiblement, leur relation avait grandement évolué pendant les vacances. Sélène se promit de questionner Noli la prochaine fois qu’elles ne seraient que toutes les deux – et n’auraient pas le souffle court.
– Ah, Léo ! Le grand champion ! s’exclama Julien.
– Arrête, c’était rien, répliqua l’intéressé.
Léo semblait gêné, si seulement cela était possible.
– Non, vraiment, Léo, tu cours vite, convint Chloé. Si des années d’entraînements n’ont pas réussi à te battre…
– Arrête, répéta-t-il. Je suis beaucoup plus grand que toi, sans vouloir te vexer. Je fais des grandes foulées… Tu connais, quoi.
– Mouais. On va dire qu’on te croit.
– Mais c’est vrai ! s’insurgea Léo, haussant la voix.
– Tu pourrais quand même admettre que tu es rapide, non ? Pas la peine d’en faire tout un plat…
Sélène écoutait l’échange, peinée pour Léo, qui essayait vainement de bien faire. Pourtant, elle était d’accord avec Chloé et Julien : il courait vite, c’était indéniable. Sélène se garda cependant d’intervenir pour donner raison à quelqu’un. Elle ne voulait pas se fâcher contre Chloé, tout en désirant soutenir Léo. Et en aucun cas la jeune fille souhaitait s’attirer les foudres du garçon, même si c’était pour le défendre.
À la place, Sélène entreprit de changer de sujet, ramenant la discussion sur le nouveau couple que formaient Julien et Norelia.
– Vous êtes ensemble depuis combien de temps ? demanda Chloé, curieuse.
– Euh… hésita Noli en levant les yeux pour croiser ceux de son amoureux. C’était pendant les vacances… Je dirais, un mois.
Ils étaient mignons, tous les deux. Et ils s’aimaient, cela se voyait. Sélène pensa secrètement qu’un jour, ce serait son tour, avec la personne qui lui faisait face.
[1] Désolé, désolé
Une fois encore on assite à des rapprochements qui attisent les sentiments de Sélène et des occasions manquées. Tu traduis bien son manque de confiance en elle, et cette impression pour elle d'être à chaque fois sur le fil, prête à tout lui avouer. On reste toujours méfiant concernant les sentiments de Léo (en a-t-il ou non envers elle?).
"– Pas tout le monde aime faire sept kilomètres sans entraînement… rappela Sélène. Enfin, peu importe. Tu rapporteras beaucoup d’argent, comme ça."
-> la tournure m'a un peu fait tiquer. Il manque peut-être juste la négation "n'aime faire..."
J'attend la suite :-)
Eh oui, un nouveau chapitre ;-)
Merci beaucoup pour ton commentaire <3
Effectivement, Léo l'aime-t-il ou non ? Promis, tu auras bientôt la réponse... D'ici la fin de l'histoire, en tout cas.
Pour la phrase, je changerai, merci de m'avoir fait remarquer !
Et je devrais avoir la suite dans quelques jours, je l'espère ':D