Le samedi suivant, Adeline alla prendre un café chez les Sherwood pour discuter avec Lauren. Elle pensait laisser ses trois filles à la maison, mais c’était sans compter l’amour de son aînée. Sélène était ravie, car elle avait une excuse parfaite pour voir Léo. L’adolescente avait presque terminé Les Chroniques de Spiderwick ; il ne lui restait qu’une vingtaine de pages, soit moins d’une demi-heure de lecture.
Les deux femmes frappèrent à la porte en bois. Aussitôt, Abu aboya pour avertir ses maîtres.
– Hello ! les accueillit Lauren avec un sourire radieux. How are you[1] ?
Quelques expressions anglaises avaient coutume de s’échapper de sa bouche, restes d’une jeunesse passée en Angleterre.
– Ne faites pas attention au bazar, entrez seulement ! Pas de problèmes sur ce trèèèès long trajet, j’espère ! plaisanta-t-elle.
Pendant que sa mère répondait, Sélène pénétra dans le vestibule et ôta ses sandales. Il faisait plus frais à l’intérieur, contraste avec la chaleur estivale qui s’annonçait même tôt dans la matinée. Abu tourna autour de la jeune fille pour quémander quelques caresses qu’elle ne lui refusa pas. Une fois le chien satisfait, l’adolescente avança jusqu’à la cuisine, suivie par les deux mamans.
– Léo, tu nous ferais deux cafés s’il te plaît ? lui ordonna gentiment Lauren. Et tu mets qu’une seule cuillère de sucre, n’est-ce pas ?
Sélène ne l’avait pas remarqué plus tôt. Debout devant la cafetière, l’adolescent s’empourpra légèrement face à la dernière remarque de sa mère, sans lever les yeux des deux tasses dont il s’était emparé. Sans doute lui était-il déjà arrivé d’en verser plus que nécessaire, par inadvertance. Sélène ne put s’empêcher de le détailler rapidement : Léo portait un vieux tee-shirt et un jean délavé, mais ça lui allait bien. Quelques épis dépassaient de ses cheveux, une mèche rebelle tombait sur son front.
– Sélène est venue pour vous rendre le livre… Honnêtement, je doute qu’elle parvienne à terminer, mais elle voulait absolument essayer…
Ce fut au tour de l’adolescente de rougir. Adeline discutait avec la mère des Sherwood, tandis que sa fille aînée s’était rapprochée de Léo. La maman n’avait peut-être pas tort, même si Sélène avait espéré le contraire. Pas moyen pour elle de se détacher de Léo alors qu’il demeurait si proche, à sa portée. Il lui serait impossible de lire.
– Tu veux tester un nouveau jeu ? On l’a reçu avant-hier, en vrai il est sympa. Sauf si tu veux finir les Chroniques de Spiderwick ? hasarda l’aîné des garçons.
– Non, c’est bon, je peux jouer, répondit Sélène sous son regard inquisiteur.
Ils s’installèrent autour de la table, puis Léo reprit la parole :
– Le jeu s’appelle Omerta[2]. Tu incarnes un personnage de la mafia américaine, pendant la prohibition. Quelqu’un a donné l’alerte, et tu dois te débarrasser de toutes tes bouteilles d’alcool le plus vite possible.
Léo, Sélène et Mathéo, qui avait pointé le bout de son nez, commencèrent à jouer. Elle commença un peu maladroitement, puis acquit très vite une bonne stratégie. Ce jeu était vraiment addictif, et ils ne virent pas la matinée passer. De temps en temps, les deux aînés échangeaient un coup d’œil significatif. Sélène avait l’étrange impression que de l’amour flottait entre eux. Comme si ces regards en disaient bien plus long que leurs mots.
Durant toute la matinée, une mystérieuse atmosphère s’installa entre Sélène et Léo, qui ne les lâcherait plus. Pourtant, c’était impossible. Cette bulle qui semblait les entourer ne pouvait pas exister, à moins que… Non. Léo ne pouvait pas savoir ce que la jeune fille ressentait. Pourtant, Sélène espérait qu’il se pose les mêmes questions, pour les mêmes raisons.
<3
– Bonnes vacances Sélène ! s’exclama sa meilleure amie en la prenant dans ses bras.
– Interdiction de pleurer, Norelia, n’est-ce pas ? rigola-t-elle. De toute façon, on va se voir, promis.
Sur ses mots, les deux adolescentes prirent le chemin de la plage. Le soleil brillait haut dans le ciel, c’était une journée parfaite pour terminer l’année scolaire. Presque tous les élèves se retrouvaient pour passer l’après-midi sur le sable chaud et dans les vagues. Chloé et Maïwenn accompagnaient les deux filles, mais devant et derrières elles, de nombreux groupes s’étaient formés. Un peu plus loin, Sélène remarqua Léo et son meilleur ami, Julien. Ils discutaient avec leur bande de potes ; de temps en temps, les garçons éclataient de rire, puis reprenaient leur conversation très animée.
Une fois que les quatre amies furent installées, Chloé et Maïwenn coururent vers l’eau, dérapant sur les grains de sable jaune.
– Sélène, tu viens ? demanda Norelia.
Elle sautillait sur place comme une enfant. Sélène ne parvenait pas à comprendre si c’était à cause de la chaleur du sol ou de l’excitation d’être en vacances. De toute manière, l’adolescente ne partageait pas vraiment son enthousiasme. Elle était plutôt triste de quitter ses amies, même pour deux mois.
– Je sais pas… D’accord, je viens.
Elle n’osait pas l’avouer, mais en son for intérieur, c’était la douce mélodie du rire de Léo batifolant dans les vagues qui avait décidé Sélène. Heureusement que Norelia n’était toujours pas au courant des sentiments de la jeune fille, car elle n’aurait pas fini d’en entendre parler.
Voyant que Norelia se dirigeait justement vers la source des éclats de rire, Sélène se figea sur place. Pourquoi là-bas ? Puis, elle aperçut enfin Chloé et Maïwenn qui pataugeaient avec les garçons. Et se rappela que Julien et Norelia s’étaient beaucoup rapprochés depuis la dernière soirée du camp de voile, et que leurs amis essayaient de les mettre ensemble pour de bon.
Sélène se sentait stupide et un peu honteuse de ne pas s’en être souvenu plus tôt. Obnubilée par sa propre histoire, la jeune fille n’avait que peu joué les intermédiaires. De plus, Norelia restait très discrète sur ses sentiments, tout comme sa meilleure amie, qui ne pouvait pas le lui reprocher. Peut-être Sélène pourrait-elle se rattraper dans les minutes qui suivraient.
– Ah, vous êtes là, enfin ! s’écria Julien.
L’eau n’était pas froide, mais un cri échappa tout de même à Sélène quand elle se retrouva entièrement trempée. Une vague bien étrange qui semblait provenir de derrière l’éclaboussa, alors qu’elle faisait face à l’océan infini. C’était a priori impossible… Il ne restait donc qu’une solution, et Sélène avait déjà sa petite idée sur la provenance de cette vague. Tournant lentement sur elle-même, la jeune fille fit face à Léo, tout sourire, ses yeux blagueurs remplis de la joie d’avoir réussi son coup.
Sélène eut le souffle coupé. Des paillettes d’or parsemaient le torse du jeune homme. Ce n’était que l’eau salée et les rayons du soleil, pourtant, Léo resplendissait. Ses mèches étaient collées sur son front, presque noires à cause de l’eau. Le regard de l’adolescent transperça son amie, car Sélène n’était rien de plus. Sauf si… Le tourbillon de feuilles mortes qui virevoltaient dans ses yeux hypnotisa la jeune fille bien plus que d’ordinaire. Bercée par les vagues, Sélène avait l’impression d’être seule au monde, uniquement avec Léo. Norelia cassa bientôt cette atmosphère en aspergeant sa meilleure amie.
– On aurait dit que tu étais sur une autre planète, murmura-t-elle à son oreille. Détends-toi, ce n’est que Léo ! Attends… Il n’y a rien, entre vous deux, n’est-ce pas ?
– Non, non ! s’emballa Sélène. Ne t’inquiète pas, Noli, je pensais juste à quelque chose.
– À quelque chose ou quelqu’un ? insista son amie.
Sélène espérait que Norelia prendrait la rougeur qui colorait ses joues pour un simple coup de soleil.
– Pff, laisse tomber. C’est pas important. Pourquoi tu n’es pas vers Julien ?
Ce disant, l’aînée Gavillet poussa Noli dans l’eau salée, jusqu’à ce qu’elle s’affalât sur le meilleur ami de Léo. Un détournement de conversation dont Sélène n’était pas peu fière, d’autant que ce geste ferait peut-être battre le cœur de son amie plus fort. Les jeunes gens s’amusèrent sans voir le temps passer. Dans l’eau sableuse, sur la plage bondée. Chaque fois que Sélène levait les yeux vers Léo, elle revoyait l’inconnu de la balançoire.
Chaque nuit, elle le retrouvait inlassablement. Maintenant que l’adolescente avait reconnu Léo, elle ne se réveillait plus au moment d’arriver près de lui, légèrement essoufflée. L’inconnu se retournait, et Sélène pouvait contempler le visage de Léo aussi longtemps que le lui permettait son sommeil. Souvent, quand elle ne l’avait pas aperçu durant la journée, ses traits devenaient un peu flous, mais chaque fois, la rêveuse prenait soin de l’observer le lendemain.
Une fois, il avait failli lui adresser la parole, sauf qu’elle s’était réveillée en sursaut. Une autre nuit, et la seule, Sélène avait pu entendre sa voix qui semblait si grave, murmurant doucement son prénom. La jeune fille se délectait de ses songes, et plus le temps passait, plus Sélène désirait qu’ils deviennent réalité.
Quelques fois, Sélène avait esquissé des fantômes de lettre qui ne la satisfaisaient jamais. Aucun mot ne pouvait décrire ce qu’elle ressentait. Écrire, c’était enfermer ses sentiments, et Sélène voulait que Léo sache tout ce qu’il était pour elle. Qu’il comprenne combien c’était une évidence. À quel point elle l’aimait.
<3
L’absence de Léo était comme une morsure à son cœur. Tous les jours des vacances, ou presque, Sélène accompagnait sa sœur Maëlys pour voir la mer. Et tous les jours, ou presque, Sélène faisait un minuscule détour pour passer devant la maison des Sherwood. Malgré cela, elle ne l’aperçut jamais. Au début, la distance était insoutenable. L’adolescente s’évertuait à le chercher, il n’était nulle part.
À la plage, Maëlys trempait ses pieds dans l’eau fraîche et ramassait des coquillages. Sélène parcourait les promeneurs et les touristes des yeux, espérant apercevoir celui qui pourrait un instant combler son cœur. Il semblait avoir disparu de la surface de la terre. Malgré tout, la jeune fille restait optimiste.
– Sélène ? Tu viens avec moi sur les cailloux ? S’il te plaît…
Maëlys supplia sa sœur en penchant la tête sur le côté. Comme chaque fois, l’aînée céda. À regret, elle s’éloigna de la route qui longeait la plage pour s’aventurer sur les rochers. L’eau s’écrasait sur le gris, explosant en milliers de gouttelettes. Ce matin-là, la mer était claire, il était encore tôt. Le soleil dorait légèrement les boucles blondes de sa petite sœur. Ce tableau lui rappela le coucher de soleil que Sélène contemplait chaque nuit en rêves. Léo devenait de plus en plus flou à mesure que le temps s’écoulait. Il lui manquait. Tellement.
Quand les deux sœurs furent rentrées, l’aînée demanda innocemment à Adeline quand était prévue la prochaine après-midi jeux. Ce fut Coralie qui lui répondit :
– Mathéo m’a dit qu’ils partaient pendant trois semaines, donc on se reverrait en septembre…
Sa nonchalance fit envie à sa sœur aînée. Si seulement une banale après-midi avec des amis pouvait revêtir si peu d’importance ! Son cœur s’était serré à l’idée de ne pas le revoir avant deux mois.
[1] Comment allez-vous ?
[2] Voir lexique
Il manque un petit quelque chose dans la transition entre les deux premiers passages du chapitre, malgré le petit signe. La transition est un peu brusque et m'a fait sortir de ma lecture. On passe d'un moment où elle est avec Léo à une scène de vacances.
Voilà juste le petit bémol :-)
Hâte d'avoir la suite.
Je changerai cette transition, qui ne fait visiblement pas l'unanimité :'( Mais pas de soucis, je m'arrangerai !
Merci beaucoup pour tes retours ! Je me dépêche d'écrire la suite ;-)
Petite question... J'ai changé un peu la transition, est-ce qu'elle convient de cette manière, ou faut-il encore modifier tout ça ? (Tu peux être franche, je préfère qu'on me dise mille fois de retravailler un bout que de le laisser tel quel alors qu'il pourrait être tellement mieux ;-)
Merci d'avance pour ta réponse, et ton enthousiasme <3
Oui, la transition est un peu plus marquée car tu situes plus le moment du deuxième passage. Juste je trouve que le premier passage est un peu rapide, qu'on effleure seulement ce que Sélène ressent au contact de Léo. Après c'est mon ressenti personnel ;-)
Merci mille fois <3
GoatWriter...
J'approfondirai les pensées de Sélène avec grand plaisir (c'est ce que je préfère dans l'écriture...), mais, comme avant, n'était-ce pas assez clair dès le début ?
Et je vérifierai les cohérences quand j'aurai un peu plus de recul sous ce chapitre. Avez-vous remarqué quelque chose en particulier qui ne fonctionnerait pas ou moins bien ?
Bien à vous
A.
Je suis ravi que vous trouviez de la valeur dans les émotions et la dynamique entre les personnages de votre histoire. Concernant les transitions entre les scènes, je suggérais simplement d'assurer une progression fluide pour que les lecteurs restent immergés sans interruption. Les <3 sont charmants et ajoutent une touche personnelle, mais une clarification supplémentaire des émotions de Sélène pourrait enrichir davantage son caractère et sa relation avec Léo. En ce qui concerne la cohérence, une relecture attentive aidera à maintenir la crédibilité de l'intrigue et à renforcer l'impact émotionnel de votre récit. Continuez votre excellent travail d'écriture !
Bien à vous,
GoatWriter...