Le calme régnait dans le salon bien éclairé. Assise dans son fauteuil, la grand-mère s’enfonçait un peu plus chaque jour dans le velours du siège. Elle faisait corps avec lui. Elle y passait désormais ses nuits.
Ce soir, elle était heureuse que sa petite-fille, effrayée par un cauchemar, soit venue à elle. Avec ses grosses jambes, elle n’aurait pu monter les marches. Elle était lourde comme une antique géante, aux membres usés comme une vieille pierre. Au diable les chaussures, les bas et les bijoux. Ses orteils et ses chevilles gonflées prenaient l’air. Elle restait dans sa robe informe, sans col ni fioriture, facile à enfiler. Sa tignasse blanche mal coiffée lui faisait un casque moche mais douillet.
La fillette s’était endormie sur le ventre plein de bourrelets comme sur un bon matelas bien épais. L’énorme bras de la vieille s’enroulait autour d’elle. Pour conjurer les cauchemars, la grand-mère lui avait raconté les forêts profondes et les aventures des constellations, qui étaient des héros, des animaux fantastiques ou des princesses savantes.
Seule à présent et bien éveillée, l’ancêtre, regard tourné la fenêtre, rêvait à la nuit. Elle n’avait pas peur des profondes ténèbres, massées comme un lac d’encre noire qui l’avalerait bientôt. Elle contemplait les étoiles et sentait comme il serait bon de reposer sous ce ciel. Elle était prête à rouler de son fauteuil pour rejoindre ces minuscules soleils, lucioles amies, illuminant le sombre tissus de l’éther.
Mais elle maintenait de sa main solide le dos de sa petite-fille, pour la protéger d’une mauvaise chute. Impossible donc de basculer vers l’autre monde, ni de s’envoler vers le Pays du Jamais. Elle se contenterait d’errer encore en songe en attendant le grand voyage.