Shimmering Manor, vendredi 14 décembre 1877

Par Beatrix

 

Mon cher cousin,  Je suis certaine que je n'aurai jamais l'heur de vous revoir, à présent que j'ai compris quel funeste sort m'attendait.  Aujourd'hui, quand Lord Henry est venu me chercher pour m'escorter jusqu'à la salle à manger, je l'ai accidentellement bousculé. Je ne l'avais jamais ne serait-ce qu'effleuré. Et l'effet a été très étrange : c'était comme si, sous son superbe costume, son corps n'avait ni substance ni consistance. Derrière ses lunettes, son regard s'est fixé sur moi, avec une intensité pour le moins effrayante. Je me suis reculée, comme si de rien n'était. Mais l'étrangeté de la situation demeurait. Il montrait à mon égard une impatience, une froideur nouvelles. J'ai détourné les yeux, décidée à me montrer la plus soumise possible.  Par la suite, je suis restée ldans ma chambre, devant le miroir, contemplant ce reflet que je reconnaissais de moins en moins. Quand madame Fooley est venue coiffer mes cheveux et farder mon visage, j'espérais tout du long qu'elle ne sentirait pas les tremblements qui m'affectaient. Dans le miroir, les présences chuchotaient, bruissaient... invisibles et insaisissables... Elles semblaient cerner mon reflet, de plus en plus près. Puis elles ont brusquement reculé, comme si quelque chose les avaient effrayées. J'ai senti une présence dans mon dos : je n'ai pas eu besoin de me retourner pour réaliser que du seuil, hors du champ du miroir, lord Henry m'observait... ou peut-être, observait-il mon reflet dans le miroir. Une idée folle a traversé mon esprit... Si l'homme dans la chambre ne possédait plus de reflet... Se pouvait-il que Lord Henry... soit ce reflet ? Un reflet dont l'une de ces créatures qui chuchotaient dans le miroir s'était emparé pour vivre en ce monde ? 

 Et mon propre reflet... se pourraient-ils qu'ils le convoitent aussi ? Au point de faire plus que le nécessaire pour qu'il soit parfait à leurs yeux ?  C'est une chance que vous ne puissiez jamais lire ces mots, cher cousin. Vous penseriez que votre cousine n'est plus qu'une pauvre insensée.  Votre cousine,  Elisand Hartley 

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