Joséphine, touchée par le soutien de ses employés malgré son terrible mensonge, questionna Nicolas sur sa surprenante décision.
- Mais comment vas-tu faire pour à la fois t'occuper de cette vieille Chaumière croulante et assurer ton job à Paris ? Il n'y a que vingt-quatre heures dans une journée...
Nicolas, encore un peu secoué par les évènements de cette soirée sylvestre, et on peut dire que cette dernière avait bien surpassé les précédentes, commença lentement :
- Cela fait maintenant de nombreuse années que je suis parti à Paris, me construire une vie de toutes pièces, sur-mesure, comme j'en avais toujours rêvé. J'ai passé beaucoup de temps à courir après les chiffres, la performance, l'adrénaline, le dernier métro... Aujourd'hui, je réalise que tout ça ne tenait à pas grand-chose, la preuve en est, mon couple s'est essouflé dans cette course effrénée. Je me retrouve seul, sans enfants, avec un avenir qui ne me donne plus vraiment envie, entre deux buildings éternellement en travaux de la Défense. Je suis arrivé à cette soirée sans grande conviction et vous m'avez offert, à un mort près, la soirée la plus atypique de toute ma vie. J'ai du temps à rattraper, auprès des miens, de ceux que j'ai délaissés, pourtant sans jamais les oublier.
Nicolas croisa le regard de Jessica qui eu du mal à soutenir son regard flamboyant.
- L'avantage de toute ça, c'est que je m'y connais pas trop mal en finance, et qu'avec moi à vos côtés, cette vieille bicoque prendra moins l'eau que prévu.
Soudain, un gigantesque vacarme provenant du vieux placard des toilettes se fit entendre.
- Il n'a pas l'air si mort que ça, notre Pignot ! lança Pablo, se saisissant de sa matraque téléscopique avant d'aller libérer le détestable malheureux.
Henry Pignot, la chemise rose saumon ayant viré écrevisse, s'extirpa tant bien que mal de l'enchevêtrement de serpillères et de balais.
- C'est la pire soirée de toute ma vie ! invectiva-t-il, terriblement furieux, une coulure marronnasse dégoulinant de la boucle de ceinture tête de lion, qui ressemblait plutôt à un Carlin à présent. Apercevant la matraque, sa voix vrilla dans les aiguës. Je vais me tirer de cette vieille cabane décrépite, fissa !
Jessica s'apprêta à lui river le clou mais réalisant qu'elle avait quand même failli le tuer, se ravisa. Il valait mieux laisser passer l'orage et le vieux con qui se trouve en dessous.
- Ce fut un plaisir de vous accueillir dans notre établissement, M'sieur Pognon, surtout, hésitez à revenir la prochaine fois ! lança-t-elle, avec un sourire crispée et une main tendue qu'il jaugea avec horreur.
Une fois le pignouf parti, Françoise ramènera au milieux du bar la marmite de Punch de Noël, Dieu soit loué, il en restait encore un peu.
- Allez, on va quand même pas se laisser abattre, dit-elle en servant à chacun une pinte bien remplie.
Nicolas profita de ce moment d'apaisement pour sortir prendre l'air dehors, le soleil commençait déjà à se lever sur ce premier jour de l'année. Jessica le rejoint et tout deux s'assirent sur le banc près de l'entrée, entre quelques verres vides laissés à l'abandon et de vieux mégots.
- Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas vécu une soirée aussi calamiteuse, commença-t-elle, la mine contrie. Un laxatif de plus et je finissais en prison !
Nicolas souria, il appréciait chez elle son côté fougeux, qui pouvait parfois la rendre déraisonnable.
- Et à ton tour tu serais partie, c'est finalement un peu l'histoire de notre vie... murmura-il, la voix à peine audible.
- L'histoire de notre vie, c'est plutôt d'être incapable de reconnaître ce que l'on ressent l'un pour l'autre, non ? ajouta-t-elle. Malgré toutes mes tentatives pour t'oublier, je n'ai pas réussi. Quand je t'ai vu au bras d'Elisa, à la fête des Lavoirs il y a 5 ans, j'en ai eu le coeur brisé.
- Moi aussi je n'ai pas réussi. Chaque baiser, chaque étreinte me semblait fade, j'essayais de me faire une raison.
Jessica glissa sa main dans celle de Nicolas, et après un tendre échange de regards, ils s'embrassèrent.
Et c'est sous ce décor quelque peu démodé, en bordure de la nationale 223, qu'une nouvelle vie s'offrit à La Chaumière, à qui il restait finalement encore quelques années à supporter la fièvre des samedis soirs, sous le Sunlight d'un palmier un peu jauni par l'excès d'humidité.