Soirée en terrasse (5) - Pas perdus

Par Pouiny

« ’’ If she had a mobile phone, she could have call for help.’’

– You made a mistake : She could have called for help, it’s better with conjugation !

– Ugh, it’s too ard !

– Hard, Beatrice, Hard, s’amusa Alexandre, your accent !

– Ah non, on ne va pas recommencer à parler de mon accent, s’il te plaît ! S’insurgea la jeune fille.

– In english, please ?

– Je t’en prie, Alexandre, n’imite pas madame Stan, elle n’a pas besoin de ça ! »

Alors que son compagnon riait de bon cœur, la jeune fille soupira. Elle n’aimait pas le sentiment que lui provoquait le fait de ne pas être à la hauteur. Alors qu’elle restait silencieuse, presque boudeuse, à regarder ses livres de cours posés sur le bureau, Alexandre déclara d’une voix plus calme :

« C’est toi qui m’a demandé des cours d’anglais, tu sais.

– Oui ! Et c’est bien la preuve que j’en ai besoin. J’aimerai tellement être bilingue comme toi.

– Tout le monde ne peut pas avoir des parents comme les miens. Moi, je trouve que tu te débrouilles très bien.

– Je fais des erreurs tout le temps et tu le sais très bien.

– Moi aussi, j’ai du en faire des erreurs, quand j’ai appris la langue, répliqua Alexandre en haussant les épaules. C’est pas parce que j’ai commencé avant toi que je suis meilleur. »

 

Ils étaient tous les deux seuls dans un lycée qui semblait presque abandonné. Les cours étaient terminés et la plupart des élèves étaient rentrés chez eux. Mais il leur arrivait de rester plus longtemps, sur une des tables de terrasse à l’extérieur du bâtiment. Souvent, Béatrice implorait à Alexandre de travailler l’anglais, une des rares matières où elle ne parvenait pas à l’excellence. Mais parfois, ils révisaient leurs danses, poussant légèrement les tables et les chaises pour créer une piste au milieu du sol en goudron, la jeune fille chantant doucement la musique sur laquelle ils devaient travailler.

 

Alexandre appréciait chaque instant à ces côtés, bien qu’il n’arrivait pas à saisir pourquoi une fille comme elle s’attachait à un vaurien comme lui. Avec sa douceur, sa beauté et ses résultats prodigieux, en danse comme ailleurs, elle était très vite devenue l’élément moteur de la classe, ainsi que la déléguée des élèves. Elle était populaire, avait des amis, des admirateurs et peut-être même des amants. Et pourtant, dès qu’elle le pouvait, elle restait avec lui. Lui qui était solitaire, renfermé, avec un air qui faisait peur à ceux qui avaient envie de sympathiser avec lui, il avait beau être très doué dans la danse, il n’inspirait en rien ce qui plaisait chez son amie. Il était l’ombre de la lumière et il en avait très bien conscience, bien qu’il n’était pas sûr que ce rôle lui convenait véritablement. A tel point qu’en l’observant briller lors de magnifiques chorégraphies, il ne savait plus ce qu’il aimait de ce qu’il enviait pour lui-même.

 

« Ah, il va falloir que je rentre, déclara Alexandre en regardant son téléphone. Mon père vient d’arriver.

– Déjà ?

– Déjà, déjà, on ne voit plus rien tant il fait sombre ! Comment tu fais pour rentrer, toi ?

– Je n’habite pas très loin, je rentre à pied.

– En pleine nuit ? Tu es sûre que tu ne veux pas qu’on te dépose ? Ça pourrait être dangereux !

– C’est gentil, Alexandre, mais je me débrouille. »

Elle avait dit ceci avec le même sourire que d’ordinaire, mais il sentait par son ton sec qu’il n’avait pas intérêt à insister. Il rangea ses affaires avec un air désolé, avant d’ajouter :

« Si jamais tu as le moindre soucis avec l’ exercice d’anglais, appelle-moi, je t’aiderai. Promis, je ne ferai pas tout pour toi !

– Je ne pourrai pas t’appeler, j’ai l’interdiction de communiquer par téléphone après vingt heures.

– Ah … »

Alors que son amie détournait le regard, il ne trouva rien à dire. Une souffrance très nette se dégageait de son attitude et de ses paroles. Mais il n’avait aucune idée de ce qu’il aurait pu dire. Alors, en silence, il rangea ses affaires en se maudissant de ne pas être comme son parent.

« Mais je pourrai t’envoyer un message, discrètement, murmura Béatrice en cassant le silence.

– Je te répondrais de manière tout aussi discrète, alors, répondit Alexandre avec soulagement. A demain ! »

Il l’embrassa avant de s’éloigner vers la voiture noire de son père. La nuit était tombée avec l’hiver et il se sentait coupable de voir le petit corps de Béatrice lutter contre un vent glacial sur le trottoir.

« Tu lui a demandé si elle voulait qu’on la dépose ? Demanda William avec un peu de suspicion.

– C’est une fille forte, elle se débrouille, répondit le jeune homme avec une pointe gelée dans le cœur.

– Ce n’est pas une question de force ! S’exclama son père, surpris.

– Ah bon, et de quoi, alors ?

– C’est juste… Aider quelqu’un en difficulté, lui éviter quelque chose de désagréable inutilement.

– Et si elle ne veut pas ?

– Ah, donc tu lui as demandé, soupira William en démarrant sa voiture. Si elle ne veut pas, eh bien, on ne va pas lui forcer à monter dans notre voiture… Tout va bien ?

– Je ne sais pas. »

Alexandre s’était recroquevillé contre la porte de la voiture. Quelque chose n’allait pas. Mais il n’avait aucune idée de ce que ça pouvait être. Tout était flou, comme une ombre dissimulée. Ce qui était tangible était indescriptible. Un sentiment de douleur, profonde et triste, quand il pensait à elle qui décrivait sa maison et sa famille comme une prison dorée. Ceci se mélangeait le reste, qui n’était déjà pas bien clair. Et sentant son fils s’enfoncer dans une spirale désagréable, William passa la vitesse supérieure, avant de lui caresser les cheveux. Il ne pensait qu’au moment où il allait s’arrêter, sortir de l’habitacle pour prendre son fils dans ses bras. Si aucun mot ne pouvait être dit, cela ne le dérangeait pas de s’en passer.

 

Avec l’hiver, le bar pour lequel la famille Fearghail avait pris l’habitude de jouer le mercredi soir ferma. Alexandre ne put même pas s’interroger sur s’il regrettait ou non, car les exercices et la danse au lycée, ainsi que les demandes de Béatrice lui prenait quasiment tout son temps. Il n’avait qu’à peine la possibilité d’avancer ses lectures des écrits d’Aïden et Bastien, qu’il allait voir chaque semaine avec l’air penaud. Mais ils n’écoutaient même pas ses excuses. Aïden emmenait Alexandre en moto dans les montagnes, lui racontant de lui même des choses et d’autres, comme ça lui revenait sur Béryl. Ainsi, même avec la difficulté de tout concilier, la jeune fille continuait de hanter les nuits d’Alexandre dès qu’il éteignait la lumière.

 

Ne se passait pas une journée sans qu’il ressente une douleur dans son corps. Des courbatures dans les jambes, des douleurs dans les hanches, les épaules trop tendues… Il commençait à découvrir un monde d’excellence, qui ne tolérait pas le repos. S’il avait toujours beaucoup dansé, avec l’entrée dans un lycée spécialisé ajoutait drastiquement plusieurs heures de technique par jour. Mais autour de lui, parmi les élèves, personne ne se plaignait de quelconques douleurs ou traitement difficile. Alors, presque honteux, il cachait ses douleurs, se massant les mollets et les bras dans le noir, caché dans sa couverture. Son corps lui semblait tordu, rigide, bien que son père le félicitait régulièrement pour ses progrès dans ses pas. Si s’approcher de l’excellence de Charlie lui semblait impossible, il commençait à sentir qu’il se rapprochait de son père dans la maîtrise de son art. Il dansait régulièrement avec William à la maison, dans la grande pièce en bois, fier de lui montrer ses progrès, ses devoirs et ses exercices. Intéressés, les deux parents l’observait évoluer alors qu’il fermait les yeux en virevoltant avec souplesse. Ce fut seulement lors de longues sessions, qu’il remarqua que son père se tenait étrangement le genou gauche après ses danses. Alors que son visage luisait de bonheur, et que rien ne se laissait paraître, ses doigts serrés contre son pantalon était le seul signe de douleur qu’Alexandre pouvait voir, sans le comprendre. Il essaya de lui poser des questions, essayant de comprendre si son père avait véritablement mal où s’il affaire seulement à un tic. Mais William ne laissa passer aucune question. Tout fut comme si cette main, perdue sur son articulation, serrant à en froisser son pantalon, n’avait aucune incidence, aucun propos. Alors, les mains sur les hanches d’Alexandre, serrant comme pour se déplacer le bassin, n’eurent pas plus d’impact.

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