Ce fut Bastien qui les déposa en voiture à l’aéroport. Il discuta pendant tout le trajet avec Charlie de l’Irlande, de ce qu’ils allaient voir et de ce qu’il pourraient leur ramener. S’ils n’y avaient eu qu’eux dans la voiture, l’ambiance aurait pu paraître joyeuse. Mais sur la banquette arrière, William et Alexandre se rejoignaient dans un silence pesant. Le jeune homme observait son père, sans un mot : il avait la tête posée sur la vitre, le regard vide, le poing serré. L’impression de se regarder dans un miroir le frappa en pleine tête. Se devant alors de faire quelque chose, comme son père faisait tout le temps pour lui, il tapa légèrement l’épaule de William d’un petit coup de poing. Comme sorti d’un rêve, l’homme se redressa pour dévisager son fils, qui le fixait avec un petit sourire triste et un regard empli d’inquiétude. Comprenant alors qu’il manquait à ses devoirs, il le prit dans ses bras en lui embrassant la tête. Touché, il se laissa faire, comme s’il était un petit garçon. William lui murmura à l’oreille :
« Tu vas voir, l’Irlande, c’est un pays magnifique. »
Dans une pensée parasite, Alexandre senti alors qu’il aurait aimé le voir plus tôt. Mais il ne le révéla pas à son père, qui s’en voulait déjà bien assez alors que la voiture se garait à l’aéroport.
C’est différent tout en ne l’étant pas. Ce fut ce que pensa Alexandre quand il sorti de l’avion qui les avait emporté au-delà des frontières. Oui, les gens parlaient anglais autour de lui. Mais le bruit de fond restait le même : les foules le mettait toujours autant mal à l’aise, française ou anglaise. Et l’aéroport de Dublin était immense. Blanc et gris, au fenêtre coupé par des sortes de volets géants, le bruit des valises roulant sur le carrelages, il semblait impossible d’en voir le bout. Par réflexe, il attrapa un bout de la veste de son père. Mais William semblait aussi perdu que lui : suivant Charlie sans un mot, il cherchait du regard Harry et sa femme qui étaient censé les retrouver.
Alexandre s’était attendu à ce que les deux amis se sautent à nouveau dans les bras en se retrouvant. Mais manifestement, le regard de sa compagne incitait les deux hommes à faire preuve de plus de retenue. Néanmoins, Charlie laissa échapper un soupir de soulagement sincère, quand il vit enfin son mari sourire avec sincérité. Harry et Marie habitaient au plein centre de la ville de Dublin, près du quartier du fleuve le plus animé en musique et bar traditionnels. Ce fut en traversant la ville en voiture, passant près du centre, qu’Alexandre comprit que tout ceci ressemblait en rien à tout ce qu’il avait pu voir jusque là.
« Vous inquiétez pas, on ira très bientôt se perdre dans les montagnes de Wicklow ! S’écria Harry alors qu’il s’arrêtait dans un énième bouchon. »
Protégé par l’habitacle de la voiture, et alors qu’il savait pourtant qu’il détestait les bruits de foules, en voyant ce qu’il n’avait jamais vu jusqu’alors dans ses petits villages perdus dans les montagnes, il découvrit avec une émerveillement qu’il ne connaissait pas l’effervescence d’une capitale. Tout semblait se trouver sous ses yeux : la musique, les magasins, les gens, les statues, les infrastructures… pour la première fois, le monde ne lui semblait pas étranger. Chacun avait sa route, son chemin sur les routes immenses, étudiées pour. Et alors que la voiture frôlait les eaux du fleuve, il apercevait les ponts immenses qui chevauchaient les deux rives, reliant avec démesure les deux quartiers de la ville. Les maisons aux couleurs chatoyantes et au style ancien l’appelaient à lui. Le nez collé à la vitre, il posa sa main comme pour espérer toucher cet air qui lui semblait si loin. William, observant tour à tour la grande ville rayonnante et son fils fasciné, grommela :
« Mouais. Belfast a quand même plus de prestance que cette ville en patchwork.
– On ne va pas commencer les insultes à notre belle ville alors qu’on vient à peine d’arriver, l’anglais ! S’écria Harry avec amusement. D’autant plus qu’excuse-moi, mais Belfast, c’est morne ! Tout est blanc, on dirait une petite Angleterre…
– Morne, Belfast ? S’étrangla William. On en parle de l’hôtel de ville ? Est-ce que vous avez ne serait-ce qu’un seul bâtiment avec autant de prestance, à Dublin ?
– Je t’en prie, William, ton hôtel de ville et ta little big ben ne vaut rien face au Trinity College et le château de Dublin !
– Le château de Dublin, tu parles, son seul intérêt, c’est qu’il est vieux… en plus, je suis désolé, mais le mélange viking et gothique ne lui va pas du tout.
– Ah bah ça, c’est sûr que c’est un peu plus cossu que vos grands bâtiments royaux… Nous, au moins, on reste dans l’essence même de ce qu’est la culture irlandaise ! Et tu n’as rien dit contre la bibliothèque parce que tu sais pertinemment que tu ne peux rien au bâtiment qui conserve le livre de Kells.
– Les enfants, s’interposa Charlie, si on pouvait se calmer sur les disputes patriotiques pour profiter d’être tous ensemble, ce serait très agréable ! »
William tenta un regard de protestation, mais elle lui prit la main avec un air moqueur, qui ne laissait aucune place à la répartie. Après un instant de silence, elle murmura à l’oreille de son mari. Elle espérait peut-être que son fils ne l’entende pas, mais ils étaient tous les trois serrés à l’arrière de la voiture, si bien qu’il attira les oreilles aiguisées d’Alexandre malgré tout.
« Tu veux aller à Belfast, mon chéri ?
– Non, ça va.
– Tu sais que si jamais la ville te manque, on en est pas très loin…
– Ça va aller, Charlie, je suis désolé de m’être emporté.
– Tu sais, je suis persuadé que ça ferait plaisir à Alexandre d’y passer au moins une journée… »
William lui pris les mains avec une force qu’il sembla pas contrôler. Mais quand il répondit, ce fut toujours avec une douceur blessée :
« S’il te plaît, mon cœur. Ne me fais pas ça. S’il te plaît. »
Avec un léger mouvement, le parent hocha la tête. Avant que William ne détourne le regard, Charlie l’embrassa sur le bord des lèvres, si bien qu’Alexandre se colla à nouveau vers la fenêtre, mais avec un enthousiasme amoindri. Essayant d’oublier ce qu’il n’aurait pas du entendre, il continua d’admirer la ville jusqu’à ce qu’ils arrivent chez leurs hôtes.
Harry et Marie vivaient dans une maison à peine excentrée, en brique rouge et avec un toit en triangle. Trouée par un nombre colossal de fenêtre, Alexandre venait presque à se demander s’il avait bien valu la peine qu’elle soit faite en brique et pas comme une immense véranda. Un petit bout de jardin se contentant d’être une haie bien taillée avec du gravier et quelques buissons abritait un petit chat noir qu’Alexandre s’empressa d’aller saluer. La maison n’était pas plus grande que celle des Fearghail, mais au milieu de la ville, même dans les rues plus calme, elle semblait gigantesque. Sur deux étages, tout en hauteur, elle était précisément encadrée par deux arbres de ville, comme l’aurait dessiné un petit enfant rêvant d’une maison triangulaire, où tout est bien à sa place.
La plus grande pièce de cette maison était le salon au rez-de chaussé. Tout était un mélange entre la brique et le bois, le moderne et le traditionnel : une immense cheminée trônait le mur principal, alors qu’une collection de plafonnier noir ornaient l’immense table ronde en bois, accueillant manifestement très souvent du monde. Tout semblait petit, dans cette maison immense : le canapé était bas, et la table basse plus encore, n’étant constituée d’un bout de bois posé sur des roulettes. Des lumières de toutes sortes illuminaient toute la maison : des guirlandes sur les murs, des lampes de bureau sur tous les meubles, des lampadaires et même des projecteurs de concert qui n’attendaient que le bon moment pour briller.
« A quoi ça sert d’avoir autant de lumière quand on a des fenêtres aussi immense ? Murmura Alexandre pour lui-même, tournant dans la pièce.
– Pour quand il fait nuit, pardi ! S’écria Harry. Vos chambres sont à l’étage, si vous voulez déposer vos affaires. »
Pour la première fois, Alexandre avait un grand lit, dans une chambre située tout juste à côté de celle de ses parents. A l’intérieur il y trouvait une immense bibliothèque de bande dessinées en anglais, qui aurait fait pâlir d’envie un collectionneur. A côté d’elle se trouvait une armoire pour des vêtements et des jouets pour enfants abandonnés dessus et a ses pieds.
« Harry, vous avez des enfants ? Demanda Alexandre, surpris.
– Oui, un grand garçon, mais ça fait un petit moment qu’il a quitté la maison, désormais ! Ne t’inquiète pas, tu ne dérangeras personne, ici.
– Qu’est-ce qu’il fait ?
– C’est que tu es bien curieux, petit ! Il est dans l’architecture. Pourquoi ?
– J’aurais cru qu’il serait libraire… »
Surpris, Harry éclata de rire.
« Il n’aurait jamais pu bosser dans un milieu où il y a le moindre bouquin ! Il aurait été renvoyé pour les avoir lu sur son lieu de travail. Ce n’est pas souvent qu’on travaille dans le milieu de ses rêves, de toute façon. Je te retrouve en bas, petit ! »
Laissé seul dans la chambre, Alexandre prit un des livres au hasard. Il ne connaissait le nom d’aucune de ces bande-dessinée, il n’en avait que très rarement lu. Cherchant à comprendre ce qui avait pu passionner ce grand garçon avant lui, il feuilleta les pages, mais ne trouvant rien qui le convenait, il reposa avec précaution le vieil album, avant de rejoindre sa famille.
La soirée fut chaleureuse et agréable. Nombres d’anciens amis de William avaient été invités et la bière coula à flot. Incapables de s’arrêter, les irlandais chantaient, dansaient, faisaient parfois silence pour écouter une des histoires joyeuses de Charlie. Étant le seul enfant de la bande, il n’était pas facile pour Alexandre de se faire une place, mais il écoutait avec plaisir ses parents et leurs amis faire les pitres. Aller se coucher fut difficile pour tout le monde, et ne se fit qu’une fois la nuit bien avancée. Ainsi, le jeune homme pu comprendre tout l’intérêt des luminaires : jamais une maison lui avait paru aussi lumineuse, même au milieu de la nuit.
Ainsi, quand il parti se coucher, s’enfermant dans l’obscurité où il ne pouvait même plus deviner ce qui constituait la chambre où il était, un visage lui revint en mémoire. Cette fille qui n’avait jamais pu connaître ces éclats et qui avait pourtant aimé l’obscurité du plus profond de son existence. Incapable de trouver le sommeil, loin de ses terres natales, il repensait aux phrases qu’il devait écrire, imaginer ce qu’elle devait ressentir. Essayant de voir la lumière dans l’obscurité, il s’imagina ce qu’elle avait pu vivre jusqu’à trouver le sommeil, espérant pouvoir se rapprocher d’elle, le plus possible. Pouvant plus facilement visualiser ce qu’il voulait dans l’obscurité, il se créa alors un petit pot de myosotis, s’imaginant ses couleurs ternie par le noir. Détaillant les pétales en ne se concentrant plus sur la couleur mais sur leur texture douce et fibreuse, sur leur odeur douce et discrète, il retrouvait dans sa mémoire ce qu’il accrochait à ce souvenir qu’il n’avait jamais connu : forget me not.